Imágenes de páginas
PDF
EPUB

RAPPORT SUR LE CONCOURS QUENESCOURT

(BIOGRAPHIES)

Par M. JOACHIM MALÉZIEUX, membre titulaire

La Commission se composait de MM. BENARD, PATOUX, Jean MONNIER, JAMART, DÉJARDIN, PINCHON, E. MONNIER, BLIN, DEPREZ et Joachim MALÉZIEUX, rapporteur.

MESSIEURS,

Quand j'étais écolier, les vacances me mettaient en état de perpétuel vagabondage, et, alors que je fréquentais les petits gardeurs de bestiaux, je fis un jour la connaissance d'un vieux berger, très fort sur le flutiau.

Il ne connaissait pas ses notes et tirait de son instrument une sorte de gazouillis vraisemblablement imité du chant des oiseaux. C'était monotone et doux et j'éprouvais, en l'écoutant, une sensation de poëte.

J'avais entendu parler du Conservatoire, et je trouvai fort spirituel de l'engager à s'y rendre pour se perfectionner.

Le père Jacquot arrêta sa mélopée et tournant vers moi sa face glabre, il me jeta un regard de ses petits yeux clignotants et malicieux, et me dit en son patois :

<< Mon petit bonhomme, j'imagine que tu veux te moquer » de moi! Cependant, écoute bien ce que je vais te dire :

» J'ai fabriqué moi-même ce flutiau avec lequel je me » donne de l'agrément et j'en donne aussi aux gens de ce » pays, à ce qu'ils disent. Je crois bien, sans vanité, que » peu d'entre eux en sauraient jouer comme moi. Je me >> contente de ces succès modestes et je laisse à ceux dont » c'est l'état et aussi dont c'est le génie, le soin de com» poser de belles musiques ou de jouer de difficiles instru»ments. Mon garçon, suis mon conseil et ne te mêle » jamais de vouloir faire ce que tu n'as pas appris. >

[ocr errors]

---

Ce vieux souvenir m'est revenu en mémoire, en lisant jusqu'au bout la seule étude biographique envoyée au concours de 1887. Je pensais qu'il était beau de guider la charrue dans le sillon, de marteler le fer sur l'enclume, de fouiller du ciseau les belles planches; mais je pensais aussi que le laboureur, le forgeron et l'artisan perdraient toute la noblesse, toute la grandeur qui se dégagent d'un labeur continu et fertile, s'ils s'imaginaient pouvoir envoyer au concours de votre Société un essai biographique sur Jean La Fontaine.

Eh bien, Messieurs, il s'est trouvé un téméraire pour abandonner son établi, dans le but de vous envoyer vingt pages dont voici des extraits authentiques :

« Son père aimait passionnément les vers, quoiqu'il en » fût d'ailleurs incapable d'en juger; cette inclination lui » était chère; il voulait la voir renaître dans son fils qu'il >> ne cessait d'exciter à l'étude de la poésie. Mais ses ins» tances redoublées n'avaient rien de séduisant pour le » jeune La Fontaine qui, insensible aux attraits qu'on lui » vantait, atteint sa vingt-deuxième année, sans donner le » moindre signe d'un penchant qui devait le rendre dans » l'avenir seul et unique dans son genre. »

Avant de faire le tour de l'aimable société, l'auteur nous dit:

<< Malherbe, dès cet instant, fut l'unique objet de ses » délices: il le lisait et l'étudiait avec passion et non » content de l'apprendre par cœur, il allait jusqu'à en » déclamer des vers. >>

Messieurs, j'ai été plus loin, moi. J'ai continué le manuscrit et j'y ai encore trouvé ceci :

« La Fontaine, jamais ne put s'imaginer que le livre de >> ses contes fût un ouvrage pernicieux. Il disait que ce » livre, en l'écrivant, n'avait produit sur lui aucune mau» vaise impression et qu'il ne comprenait pas que les per» sonnes qui le lisaient en fussent si outrées.

» Je le crois, il l'avait fait trop naturellement pour com» prendre qu'il y eût du mal. C'est ici que sa nature gauloise éclate dans tout ce qu'elle a de plus franche et de >> plus drôle. >>

Veuillez croire, Messieurs, que je cite textuellement :

« Lorsque Madame la duchesse de Bouillon rappelée de > son exil revint à Paris, elle amena La Fontaine. Cette » ville fameuse qui rassemble tant de beaux esprits, etc.,

> etc. >>>

Ces extraits vous suffiront. J'ai frémi en pensant que l'auteur avait peut-être lu Walkenaer, et que, l'ayant lu, il n'avait point eu la pensée de reprendre son flutiau, le flutiau modeste, qu'on n'entend pas dans les conservatoires ni dans les académies; mais qui charme le laboureur, le forgeron et l'artisan, et sans doute aussi les moutons, si savants au temps ou La Fontaine faisait déjà parler les bêtes.

Ce rapport, Messieurs, est certainement trop long; mais votre Commission a pensé qu'il était bon d'avertir dès à présent les concurrents futurs et de les mettre en garde contre la tendance à se prendre à de trop illustres figures. Certaines biographies ne supporteront jamais la médiocrité.

Manque-t-il donc des matériaux? Combien de personnages nés dans le département y ont laissé, dans les lettres, dans les sciences, dans les armes, dans les beaux-arts, un nom justement célèbre ou tout au moins une notoriété durable!

Fouillez les archives, les bibliothèques, les études de notaires, dites nous ce que vous pourrez trouver sur Charles de Bovelle, qui fut un savant, sur Colliette l'historien du Vermandois, sur Longueval, ce compagnon de La Hire qui fut seigneur de Thenelles, sur Denizart, le jurisconsulte, sur Dutrousset de Valincourt l'académicien, sur Mathieu Bleville le verrier, sur Allard, le sculpteur, et les anciens et les modernes ; mais donnez-nous toujours et avant tout le document authentique, celui-là seul est précieux pour notre histoire.

La Commission, Messieurs, est unanime pour vous proposer de ne décerner aucune récompense pour le concours de cette année.

La Société Académique a adopté les propositions de sa Commission.

RAPPORT SUR LE CONCOURS DE POESIE

DE 1887

Par M. LÉON DÉJARDIN, membre titulaire

La Commission se composait de MM. BENARD, PATOUX, Jean MONNIER, DELMAS, Pierre HACHET-SOUPLET, ECK, WOGUE, Ch. MAGNIER et L. DEJARDIN, rapporteur.

MESSIEURS,

Le concours de poésie de 1887 a réuni un plus grand nombre de concurrents que ceux des années précédentes. Tous les genres s'y sont trouvés représentés: depuis la chanson jusqu'à l'ode, depuis le conte jusqu'au poème dramatique ou lyrique; nous avons même eu un opéracomique et un grand drame patriotique. Nous aurions été heureux de constater aussi un nombre plus considérable de pièces de quelque valeur, mais cette satisfaction nous a été refusée. La vérité, en effet, est que, dès sa première séance, la Commission, malgré des tendances peu belliqueuses, s'est vue dans la nécessité de procéder à une véritable hécatombe. Des pièces ainsi sacrifiées, les unes n'avaient guère de la poésie que le nom, d'autres contenaient, de ci de là, quelques vers ou quelques périodes passables, noyés dans un océan de mauvaises choses; chez d'autres enfin, fidèles

« AnteriorContinuar »