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Combien de maux,

De tristesses, d'ennuis, de larmes, de déboires,
De jours fastidieux et gris et d'heures noires,
D'espérances coulant à vau-l'eau sous ses yeux,
Depuis ces jours lointains, rapides et joyeux !
Ah! pouvoir, un moment, revivre sa jeunesse !
Esaü, pour manger, céda son droit d'aînesse,
Ne peut-on pas risquer son honneur pour aimer?
Parbleu, la passion sait tout légitimer :

Cet homme est un amant, je l'absous !

Quand nous vous disions que ce commissaire-là ne ressemble guère à ses collègues d'aujourd'hui !

Mais, soudain, il a vu se dresser devant lui l'image de la Loi, et le voilà qui change de manières et de ton:

Honteux sous ce regard fictif mais accablant,
Chassant de son esprit le rêve détestable,
Le commissaire, alors, asséna sur la table
Un coup de poing qui fit rebondir l'encrier,

Et, d'un ton raffermi, digne et froid, sans crier,
Mais enfonçant les mots dans le crâne de l'homme,
Il parla de nouveau, disant : « Ce n'est, en somme,

Qu'un indigne, coupable et piètre citoyen,

Quel que soit le motif, quel que soit le moyen,
Celui qui, sans respect pour les lois établies,

Choisit pour se livrer à ses tristes folies,
De pudiques bosquets, biens du gouvernement,
Et, lorsqu'on l'appréhende au corps, n'a seulement
Pas un mot de regret, pas un geste de honte !
Oui, je le dis encore, celui-là fût-il comte,

Fût-il duc ou marquis, préfet ou sénateur,

Fût-il dans un journal principal rédacteur,

Puissant au Parlement, souverain dans la Presse,

L'homme qui, sans vergogne et sans crainte, transgresse

La bienséance avec la Loi, les réglements,
Tout, mérite cent fois de rudes châtiments!
Car cet homme a l'esprit révolutionnaire.

La tirade continue, continue toujours, mais il nous faut arriver à la conclusion de cette harangue et à la fin du poème :

Vous serez puni.

Mais pour l'instant, dites-moi
Le nom que vous portez, vieillard, de par la loi ;
Dites-moi votre état, vos titres, votre adresse ;
Allons, vite, accusé, plus vite, le temps presse;
Levez-vous !

L'homme, alors, se leva sans courroux;
Il gratta son oreille où poussaient des poils roux,
Puis, brusquement, leva la tête. Transformée,
Sa face, tout à l'heure encore inanimée,
S'éclairait d'une étrange et rude majesté.

Il ne restait plus rien du vieux bourgeois voûté
Assis là, sur ce banc de bois. C'était un être
Nouveau, surnaturel, et qui semblait renaître.
Il passait des clartés d'aurore dans ses yeux.
Quelque chose de fort, d'auguste et de joyeux
Emanait de sa plus ordinaire attitude.

Etait-ce un vieillard? Oui! sans la décrépitude;
Etait-il jeune? Oui! mais sans la gracilité:
Il était jeune et vieux comme l'Eternité.
A le voir, on perdait la notion des choses,

Des lueurs, ainsi que pour les apothéoses,
Flottaient dans l'atmosphère alentour de son front.

Le commissaire avait laissé choir de sa main
La plume qu'il tenait, terrible comme un glaive:
Ordonner sèchement qu'un vieux drille se lève,
Et voir devant ses yeux, se dresser un géant!
La police avait-elle un pied dans le néant ?
Après Polyte, après Gugusse, après Ugène,
Faudrait-il, maintenant, aussi, qu'il morigène
Les spectres vagabonds courant l'immensité ?
Entre le gueux sordide et le miteux crotté,

Parmi les chourineurs et parmi les escarpes,

Parmi les meurt-de-faim et parmi les soulards,
Parmi sa clientèle affreuse et coutumière,
Trouverait-il des gens tout vêtus de lumière ?
On se moquait de lui, sans doute !

Bon! voici

Que les femmes, là-bas, se transformaient aussi :
Elles se dépouillaient, tranquilles, de leurs voiles,
Et, blanches, les cheveux auréolés d'étoiles,
Apparaissaient dans leur superbe nudité.

Et c'était, sous le bleu vibrant d'un ciel d'été,
Des nymphes s'ébattant, lascives et rieuses,
Avec des cris d'effroi, des mines curieuses,
Des fuites qui faisaient plier les arbrisseaux,
Et des bonds de chamois par-dessus les ruisseaux,
Une joie infinie et partout épandue.

Le commissaire était béant; l'âme éperdue,
Il murmurait des mots sans suite, il regardait
Ces êtres surhumains qu'à l'instant il grondait;

Et, telle une marée cscaladant les grèves,

Sur son esprit passait une houle de rêves.

« Qu'êtes-vous donc ? » fit-il enfin, épouvanté.

Un silence régna tout plein de majesté,

Et l'homme au nez camard sur une barbe jaune,
Dit lentement ces mots :

Je suis le dernier Faune !

Nous aurions voulu, Messieurs, vous laisser sous l'impression de ces derniers beaux vers. Mais notre tâche resterait incomplète, si nous ne vous indiquions rapidement les pièces qui ont emporté le suffrage de la Commission. Mais, au fait, est-ce bien nécessaire ? et déjà les citations que vous avez entendues ne vous les ont-elles pas désignées assez clairement ?

N'avez-vous pas applaudi comme nous aux qualités brillantes et même un peu tapageuses du « dernier Faune » : la verve, l'entrain, la bonne humeur communicative, la finesse d'esprit, l'inspiration large et facile et cette faculté de versification réellement remarquable qui semble se jouer de toutes les difficultés? Ne vous a-t-il pas semblé être en face d'un tempérament d'artiste, d'un véritable poète, à qui il suffirait de légères retouches et de quelques coups de ciseaux pour faire du « dernier Faune » une œuvre excellente ?

A côté de cet épanouissement, de cette exubérance, les autres pièces devaient nécessairement perdre de leur éclat.

Le talent ferme et sobre, un peu froid, peut-être, de l'auteur de << Bernard Palissy » et des « Mois » ne nous a cependant pas laissés indifférents. Vous avez apprécié le sentiment littéraire qui distingue ces deux pièces; vous avez goûté pleinement le charme doux et discret qui se dégage de ces poésies intimes: les Mois.

Que pourrions-nous dire de plus ? Et ne vaut-il pas mieux borner ici ce trop long rapport en vous faisant connaître que votre Commission propose de décerner :

Au poète du « dernier Faune »> un premier prix avec médaille d'or ;

Et à l'auteur de « Bernard Palissy » et des « Mois » une mention honorable avec médaille d'argent grand module.

Conformément aux propositions de la Commission, la Société Académique décerne :

1o Un premier prix avec médaille d'or à M. Claude Couturier, de Paris, auteur du Dernier Faune;

2o Une mention honorable avec médaille d'argent grand module à M. Edmond Maguier, au château de Thénac, par Saintes (Charente-Inférieure).

LITTÉRATURE

LE DERNIER FAUNE

Par M. CLAUDE COUTURIER

(1er Prix et Médaille d'Or du Concours de Poésie de 1887)

Les dieux, s'ils ne sont pas tous morts, sont en exil!
C'est heureux. S'ils vivaient sur terre, l'alguazil,
Pittoresque argousin de l'amusante Espagne;
Le gendarme français, orgueil de la campagne,
Qui porte le chapeau du grand Napoléon
Et le prénom d'Anselme ou de Timoléon;
Le froid policeman qu'ils ont en Angleterre ;
Les sbires du Sérail armés d'un cimeterre ;
Et les sergents de ville ornés d'un coupe-choux ;
Les policiers qui font l'ordre chez les Mantchoux;
Ceux qui gardent Berlin et ceux qui gardent Rome,
Leur donneraient la chasse, et prenant pour un homme
Ivre, Bacchus, et Zeus, pour un perturbateur,
Aux applaudissements du paisible électeur
Qui passe, poursuivant sa course coutumière,

Ils fourreraient au bloc tous ces Porte-lumière !

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