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roi de Saragosse, envoie des ambassadeurs à Charles pour lui faire sa soumission. La réponse de l'empereur est, naturellement, favorable Ganelon est choisi pour la porter à Marsile, mais irrité contre Roland qui a décidé Charlemagne à le choisir, lui Ganelon, pour la périlleuse ambassade, il jure de se venger et promet aux ennemis la tête de son rival.

Il décide à son tour l'empereur à confier le commandement de l'arrière-garde au paladin. Charles franchit les Pyrénées et son neveu Roland périt avec ses pairs sous les flèches sarrasines. L'empereur tire de ce désastre une vengeance éclatante: les Sarrasins poursuivis périssent dans les flots de l'Ebre et l'armée de l'émir de Babylone est taillée en pièces.

Or, à 46 ans d'intervalle, fait remarquer M. Génin, le même fait s'est exactement reproduit. Roncevaux vit en 824 la défaite aussi complète de Louis le Débonnaire. Il y eut donc deux batailles de Roncevaux et les souvenirs de l'une et de l'autre furent confondus sans doute dans une seule légende (1).

1° Quant à la substitution des Sarrasins aux Gascons, nous n'admettons pas l'explication de M. Génin, qui l'attribue à ce fait que, les Gascons s'étant soumis au joug de l'empereur, il fallait ménager leur susceptibilité en séparant leur nom d'un désastre infligé à ce même souverain. Cette substitution, d'après notre critique, était possible parce que les habitants de la Navarre s'étaient donnés aux Maures ou Sarrasins quelques années auparavant.

Il nous semble plus raisonnable de croire que la Chanson de Roland est tout simplement le poème de cette lutte, qui occupe une si grande partie du moyen âge, du Chrétien contre le Musulman, de la Croix contre le Croissant et en particulier du Français contre les Sarrasins. L'épopée en question ne serait qu'une étincelle jaillie de ce grand choc du glaive catholique et du cimeterre mahométan.

2o La question de savoir si Roland était neveu de Charlemagne nous semble devoir être tranchée dans le sens de la négative. Tout d'abord Éginhard ne dit point que le paladin était le neveu de Charles, en tout cas il n'est pas « fils de Berthe, sœur

() Voy. La Chanson de Roland, éditée, commentée et traduite par Génin.

de l'empereur », car Charles n'eut qu'une sœur, nommée Gisèle, qui consacra sa virginité au service du Seigneur. De plus, à Roncevaux Charles n'avait que trente-six ans et Roland devait en avoir quarante-deux. D'ailleurs, les dénominations d'« oncle », de « neveu », de « cousin >>> n'impliquent, dans les cours, aucun lien de parenté et sont purement honorifiques.

3 Éginhard qui parle de Pampelune, ne souffle mot de Cordoue, où le trouvère affirme que Charles a séjourné.

4° A propos de la déformation des rapports de l'Empire romain d'Occident avec l'Empire grec, déformation que nous signalions tantôt, remarquons que Roland est cité dans le Geste comme le vainqueur de Byzance. Il a pris Constantinople. Inutile de s'arrêter à prouver la fausseté d'une pareille assertion.

5o Éginhard nous avait dit que les Écossais se considéraient comme les sujets de Charles. Ce détail s'est transformé, car voici que le trouvère nous apprend que l'Angleterre doit payer un tribut à l'empereur.

6o Quant à la revanche de Charlemagne, elle était indispensable à la satisfaction de l'amour-propre national.

Nous sommes enlevés par un souffle d'épopée qui nous transporte bien au-dessus des réalités décevantes de l'histoire et nous planons dans le plein ciel de la gloire française. Le merveilleux même ne doit pas nous étonner outre mesure dans un poème qui puise sa vie jaillissante aux sources de l'imagination populaire. Éginhard n'avait-il pas, pour ainsi dire, frappé le premier le rocher pour en faire couler l'eau vive du merveilleux épique, quand il nous dépeignait les phénomènes avant-coureurs de la mort du grand empereur? Naturellement le bon moine s'était laissé aller à un courant qui ne plaisait que trop à son imagination. vagabonde: il avait tracé des tableaux étranges comme celui de la lutte de Pepin le Bref et du démon. Si l'histoire s'était ouverte au surnaturel, l'épopée devait-elle lui fermer ses portes d'or? Pouvonsnous nous étonner que Charles s'adresse au soleil et que l'astre s'arrête à son geste impérial? Pouvons-nous nous récrier contre le trouble de la nature à la mort des paladins? Non, certes! Et peu s'en faut que nous ne trouvions naturel tout ce merveilleux, transportés que nous sommes par l'éclatante fanfare des combats épiques et par l'immense sanglot déchirant du cor de Roland. L'appel suprême de l'olifant, à travers les échos du temps, nous

arrive encore grossi et colossal, comme le son des trompettes qui, selon l'apocalypse, ébranleront les montagnes de Josaphat.

De nos jours même, ne peut-on pas mesurer la distance qui sépare le Napoléon de Thiers de celui de Rostand? Il serait intéressant et suggestif de suivre en ses déformations successives la physionomie du grand capitaine à travers les quatre-vingts dernières années du XIXe siècle.

Nous la verrions passer par les stades ordinaires de l'histoire, de la légende et de l'épopée.

Heureusement, la critique historique a passé à son spectroscope le soleil d'Austerlitz et elle en a dégagé l'étincelle vivante de la vérité.

Car ç'aura été le grand honneur du XIXe siècle d'avoir à la fois revendiqué et conquis les droits de la poésie et ceux de la réalité scientifique.

Henri HENQUINEZ.

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