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affaires, affligé par amitié, par une liaison de toute sa vie, par reconnoissance de M. le duc d'Orléans au dernier point, rebuté de voir que tout lui rompoit aux mains, ce prince après le Dauphin, entendit sans peine le langage de l'évèque de Fréjus, qui alla tout d'abord avec insinuation à une honnête retraite. Ce prélat avoit fait un prince du sang premier ministre, tout tel qu'il le crut lui convenir, c'est-à-dire qui lui ôteroit l'envie de la place et lui en laisseroit toute l'autorité, tant par la difficulté du prince à y suffire, que par la nécessité de la dépendance par rapport au Roi. On s'aperçut bientôt de son essor rapide, et qu'il tendoit à dépeupler la cour de tout ce qui avoit un maintien. Il réussit pleinement au dernier, et se trompa lourdement à l'autre. Mme de Prie, qui voulut régner, et régner à découvert, devint un tel obstacle aux vues du prélat, qu'après une longue lutte pour se défaire d'elle, qui n'est plus de ces anecdotes, et elle de lui, tout tendit à des extrémités où la chute de l'un et de l'autre firent place à la puissance de Monsieur de Fréjus, telle que jamais roi de France n'a joui d'une pareille.

M. de Saint-Simon suivit donc son goût, ou plutôt son dégoût, en suivant les insinuations de ce prélat, mais sans avoir lieu de se croire le moins du monde diminué dans la confiance et l'amitié de Monsieur le Duc, premier ministre, qui lui en donna toujours les mêmes marques, quoique plus rarement, parce que M. de Saint-Simon ne s'y présentoit presque point, jusqu'à la promotion de l'ordre du Saint-Esprit déclarée deux mois après. Saint-Simon n'imagina pas de le demander, ni Monsieur le Duc de ne le pas faire. Monsieur de Fréjus, qui garda toujours avec M. de Saint-Simon tous les dehors qui n'incommodoient point ses inquiétudes, le vit sur la liste que Monsieur le Duc présenta au Roi la surveille du chapitre, et le dit à l'abbé de Saint-Simon, depuis évêque de Metz, le lendemain matin. Le soir de ce même jour, Monsieur le Duc rapporta au Roi cette même liste, pour la lui faire signer et la faire lire le lendemain, jour de la Chandeleur 1724,

SAINT-SIMON. XXI.

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au chapitre. Monsieur de Fréjus fut bien étonné de n'y plus trouver [Saint-]Simon, et d'y voir en son lieu Saint-Nectaire ajouté. Cela fit devant le Roi une altercation assez longue, dont la fin fut que Saint-Nectaire demeura et que SaintSimon ne fut point remis. Il en rit, vit tout le monde, jouit de l'étonnement public et de l'embarras que Monsieur le Duc n'en put cacher à qui, jusqu'à ceux qui n'aimoient point Saint-Simon, en demandèrent la cause. Mais, avec cette conduite, Saint-Simon se le tint pour dit et cessa de voir Monsieur le Duc, et défendit à ses enfants de le voir, et d'une façon publique, sans cesser d'aller de loin à loin à Versailles. Il ne tint pas à Monsieur le Duc de se raccommoder avec lui et de faire sa femme dame d'honneur de la Reine. Du Vernay, vrai roi d'effet alors, que Saint-Simon ne connoissort point, sonda le gué autour de lui, et en fit toutes les avances. Tout ce qu'il vouloit étoit que SaintSimon allât chez Monsieur le Duc, comme s'il ne se fût rien passé, avec toutes les sûretés possibles d'y être reçu avec toute la joie et la distinction possible; et Saint-Simon se tint ferme à ne vouloir ouïr parler de rien qu'autant que Monsieur le Duc feroit en premier toutes les démarches, et de plus ne vouloit point de la place de dame d'honneur, ni la duchesse de Saint-Simon non plus. Cette conduite avec un prince du sang qui se tenoit roi de France combla la mesure de l'éloignement réciproque : en sorte que Saint-Simon, de longue main lié avec des personnes distinguées presque au même point que lui avec Monsieur le Duc, et avec d'autres qu'il vouloit perdre, garda moins que jamais de mesures. On verra, au titre d'Eu, qu'il étoit brouillé avec Mme la duchesse d'Orléans, qui, dans les suites, tenta inutilement de se raccommoder avec lui, et qu'il n'étoit pas mieux avec Monsieur son fils : de sorte que, libre de toutes sortes d'engagements, de places et de vues, il vécut pour lui-même. Il ne laissa pas de presser la chute de Monsieur le Duc; mais ces curiosités intimes ne sont pas du ressort de ces anecdotes. En gros, beaucoup de choses furent concertées de Monsieur de

Fréjus à lui, et, à l'instant que Monsieur le Duc fut expulsé, le soir même, Monsieur de Fréjus le lui manda. Il eut part aussi aux changements qui suivirent; mais il eut soin de bien inculquer à Monsieur de Fréjus qu'il ne vouloit rien, et que, ce prélat touchant à la pourpre, ce ne seroit pas la peine à lui d'entrer au Conseil pour en sortir aussitôt.

Il a donc vécu depuis avec la considération de ce premier ministre et de ses subalternes, qu'il a due à sa conduite séparée et retirée sans se mêler de rien, faisant six mois ses délices de sa maison de la Ferté, et les six autres mois dans sa maison de Paris, avec ses amis et ses livres, et allant une fois ou deux l'année à la cour. En 1728, il fut chevalier de l'Ordre, sans y avoir pensé, et s'en tint depuis à aller à la cour aux cérémonies de l'Ordre, voyant, toutes les fois qu'il s'y présentoit, le cardinal Fleury en particulier, qui lui parloit souvent d'affaires, parce qu'il savoit bien que cela ne pouvoit aller loin, ni au delà de ce qu'il vouloit. De même les autres ministres, à qui sa rareté imposoit, et sa réserve à demander sinon des choses indispensables, et fort peu d'autres : à quoi il a toujours trouvé toute sorte de facilité. Dans cette situation, qu'il appeloit d'un homme mort au monde, il est pourtant vrai qu'il fut craint et compté, et qu'on regarda comme une fortune et un trait d'habileté d'Angervilliers d'avoir su marier sa fille unique au second fils du duc de SaintSimon. Il étoit ministre d'État et secrétaire d'État de la guerre, mais en butte à Chauvelin, garde des sceaux et tout-puissant adjoint au premier ministère du cardinal, qui vouloit perdre Angervilliers, et qui fit l'impossible pour rompre ce mariage. Il avoit raison: il fut sa perte. Saint-Simon l'empêcha par trois fois, et la dernière avec un si puissant retour, que Chauvelin en fut ébranlé dès lors, et que sa fortune ne porta jamais depuis santé auprès du cardinal jusqu'à sa chute.

Il est temps maintenant de passer à ses enfants :

Jacq. Louis de Saint-Simon, dit le duc de Ruffec. Né 29 juillet 1698. Son père lui obtint de M. le duc d'Orléans, au commencement de la Régence, la survivance de son gouvernement de Blaye et un régiment de cavalerie, que sa mauvaise santé l'obligea à quitter vingt ans après. Lors de l'ambassade de son père en Espagne, il lui obtint l'ordre de la Toison d'or, qu'il y reçut des mains du roi d'Espagne, et, à son retour, il se démit de son duché-pairie en sa faveur.

Armand-J. de Saint-Simon, marquis de Ruffec. Né 12 août 1699, Son père obtint de M. le duc d'Orléans, régent, la survivance de son gouvernement et bailliage de Senlis pour lui, et un régiment de cavalerie, en même temps, l'un et l'autre, que son frère, et, lors de son ambassade, il obtint pour lui la grandesse d'Espagne de première classe, conjointement avec lui, et lui fit faire sa cou

verture.

Cath.-Ch.-Th. d'Aure, seconde fille du dernier maréchal duc de Gramont, mort dès lors, et de Noailles, fille et sœur des maréchaux ducs de Noailles.

Elle étoit veuve sans enfants de Ph.-Alex. de Bournonville, frère de la duchesse de Duras, et elle étoit sœur du duc de Gramont, pair de France, gouverneur de Bayonne, Navarre, Béarn, etc., colonel du régiment des gardes françoises, du comte de Gramont, tous deux depuis lieutenants généraux et chevaliers de l'Ordre 1728, et de la duchesse de Gontaut, dame du palais de la Reine;

Dont une seule fille.

[ ], fille unique et héritière de Bauyn, sieur d'Angervilliers, ministre et secrétaire d'État de la guerre, et de [ Maupeou. Mariée à Paris.

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Elle étoit veuve sans enfants du

dernier Longueil, sieur de Maisons, président à mortier au parlement de Paris.

j

Il est maréchal de camp. Charl. de Saint-Simon, mariée [ ] à [ Hénin-Liétard, comte de Bossut, prince de Chimay, grand d'Espagne de la première classe, chevalier de l'ordre de la Toison d'or, lieutenant général des armées du Roi et du roi d'Espagne, frère du cardinal d'Alsace archevêque de Malines;

Sans enfants.

Il faut ajouter, pour l'intelligence des anecdotes qui se trouveront au titre NOAILLES, que, quelque grand et desirable parti que fût Mme de Bournonville, le duc de SaintSimon eut toutes les peines du monde à y consentir, et que

l'agonie, pour ainsi dire, de plusieurs années du prince de Bournonville, comme il se faisoit appeler quoique sans aucuns honneurs, fut à peine assez longue pour arriver à ce but, auquel les Noailles tendoient de toutes leurs forces, et même à découvert, pour parvenir à une réconciliation entre les ducs de Saint-Simon et de Noailles, qui se fit telle quelle, et qui se put à peine obtenir du premier à la déclaration du mariage.

Reste à voir en deux mots pourquoi SAINT-SIMON est mis ici avant LA ROCHEFOUCAULD, qu'on va voir érigé longtemps avant l'autre; mais il ne le fut pas plus tôt, et enregistré aussi, que celui qui l'avoit obtenu se trouva subitement dans des intrigues contre le gouvernement qui l'empêchèrent de se faire recevoir, qui éclatèrent en guerres civiles, et conséquemment en proscriptions, qui durèrent longtemps en sorte que le duc de Saint-Simon fut reçu duc et pair en même temps qu'érigé et enregistré, et avant que le duc de la Rochefoucauld eût été reçu luimême au Parlement. Lorsqu'à la fin son abolition lui eut frayé son retour à la cour et qu'il voulut procéder à sa réception, il prétendit précéder M. de Saint-Simon, comme enregistré et vérifié avant lui; et M. de Saint-Simon s'y opposa, et, comme reçu avant lui au serment de duc et pair au Parlement, il prétendit avoir fixé son rang et précédé M. de la Rochefoucauld. La chose demeura en ces termes, sans se trouver en aucune cérémonie ensemble, jusqu'au lit de justice de 1 , que le Roi, qui n'avoit pas encore multiplié les pairs, voulut être accompagné de tous ceux qui se trouvèrent à Paris, et qui envoya au Parlement, chose fort singulière, un brevet, qui fut enregistré, portant alternative de rang, et, pour la première fois, de tirer la préséance au sort entre M. de la Rochefoucauld d'une part, et MM. de Retz et de SaintSimon d'autre, qui avoient la même cause commune contre

1. Un blanc au manuscrit.

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