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importantes, qu'un homme tel qu'étoit M. le cardinal Gualterio! Mais les regrets ne rendent personne, quelque justes qu'ils soient, et ce conclave le fera bien sentir. Il faut espérer du moins que, fatigués des derniers papes, ils en prendront un qui ait quelque bon sens et qui, dans la conjoncture présente, sente quelle est la puissance de l'Empereur, de manière à ne la pas augmenter. C'est ce qui est possible si l'élection se brusque, et ce qui le deviendra beaucoup moins si on tarde et si on laisse grossir les impériaux présents à Rome de ceux qui y vont arriver, et si on donne le temps aux instructions de Vienne. Ce qui n'est que trop vrai, c'est que jamais le spirituel ni le temporel n'ont guère eu plus de besoin qu'à présent d'un pape dont la sainteté et la capacité ne s'altèrent pas l'une l'autre et concourent également au double et vrai bien de l'Église. S'il est tel, des particuliers comme vous y trouveront aussi leur compte et leur fortune particulière, que vous ne ferez jamais si prompte et si grande que je ne vous la souhaite, Monsieur, par tous les sentiments avec lesquels je vous honore parfaitement.

Le duc DE SAINT-SIMON.

A M. L'ABBÉ GUALTERIO.

Paris, 20 mars 1730.

Je vous rends, Monsieur, mille et mille grâces de l'honneur de votre lettre du 2, et des nouvelles qui l'accompagnent. Elles sont toutes si curieuses, et le temps est si intéressant, que, si je ne craignois d'être importun, je vous supplierois de ne m'en pas laisser manquer pendant le conclave et les premiers temps de l'exaltation, et avec étendue, car tous les détails apprennent plus que souvent ils ne semblent valoir. Tout cela annonce un

long conclave; et, dans la vérité, le pillage a été tellement poussé, et avec tant d'impudence et de hauteur, que je suis surpris encore que les choses n'aient pas été portées plus loin.

Nous ne savons encore ici si nous aurons la guerre ou la paix. L'Espagne veut fort la première et s'y prépare en toutes façons. Nous desirons fort l'autre, et les Anglois, bien à leur aise en l'un ou l'autre cas, font leur cour à nos dépens à l'Espagne. L'Empereur, assurément, ne sera pas pris au dépourvu, et, si l'évènement de Moscou et les affaires de Perse ne changent rien aux secours qu'il en attend par les traités, ce sera pour lui un bonheur dont j'aurai peine à me consoler. Nous sommes dans une saison qui forcera bientôt les secrets des cabinets à paroître en évidence, puisqu'il n'y a guère plus de temps jusqu'à celui d'entrer en Italie, et ce sera l'époque qui commencera à les développer. La mort de votre second pape, je veux dire le général des jésuites, donneroit bien du spectacle à Rome, et même à l'Europe, dans tout autre temps que celui d'un conclave, mais qui ne laisse pas de conserver sa même curiosité.

Nous venons de changer de contrôleur général. Personne ne connoît le nouveau. Il n'a guère que quarante aus et a fait deux petites intendances; il est fils du fameux Orry, si connu en Espagne du temps de Mme des Ursins. Le contrôleur général qui quitte emporte une grande réputation de probité et de droiture, et succombe au malheur d'avoir une femme et un beau-frère qui n'a pas la même réputation, et qu'il a eu la foiblesse de laisser faire. Il en porte toute la peine, et ce beau-frère aucune. Ainsi va le monde.

Conservez bien votre santé, Monsieur, parmi toutes ces maladies de Rome et les choses qui agitent ce grand théâtre, et soyez bien persuadé que personne n'y prend plus de part que moi et ne vous honore davantage.

Le duc DE SAINT-SIMON.

A M. L'ABBÉ GUALTERIO.

Paris, 1 mai 1730.

Je vous fais, Monsieur, bien des remerciements de votre complaisance à vouloir bien m'informer des nouvelles de ce qui se passe à Rome, et encore bien plus de vos bontés pour MM. de Saint-Simon, auxquelles eux et moi sommes infiniment sensibles.

Je vois que ce conclave sera long, et je vois avec peine qu'on y commence à traiter si tôt des meilleurs sujets tels qu'Imperiali et Falconieri, qu'il est à craindre que, continuant à en mettre d'autres bons sur le tapis avant le temps, il n'en arrive enfin comme au dernier conclave, excepté qu'il n'y en a guère de si saint à élire que le feu pape, mais dont la sainteté a été pour lui seul, et les inconvénients infinis pour les autres. Les frayeurs de son Coscia ont diverti les indifférents, et n'ont pas suffi aux intéressés. Mais il n'est guère de gens et de choses qui ne trouvent des protections, et celle de la calotte rouge en est une bien sûre, surtout dans le centre de son empire.

Nous avons ici bien des conseils et des conférences. La saison devient pressante et favorable aux curieux de voir à quoi les choses iront. Il paroît qu'on est plus pressé et plus pressant en Espagne que prêts; et en effet un tel dessein demande bien des choses en état à la fois. Le Rhin ne peut guère être tranquille, si l'Italie ne l'est. On sait bien quand on commence; mais les suites et la fin ne peuvent être que bien ignorées, et cependant les mariages de Brandebourg et d'Hanovre viendront bien à point pour mettre ces derniers États à couvert de l'orage, qui n'en sera que plus gros ailleurs. Mais ce n'est plus la peine de raisonner quand on est prêt à voir. Je me réjouis que les maladies, si universelles partout, ne vous

aient point attaqué, et vous souhaite, Monsieur, tout ce qu'on peut vous desirer en vous honorant parfaitement. Le duc DE SAINT-SIMON.

A M. L'ABBÉ GUALTERIO

Paris, 5 juin 1730.

Je vous rends toujours mille grâces, Monsieur, des nouvelles que vous voulez bien me donner du premier théâtre du monde, et dans son temps le plus curieux. Je vois que la fête de la Pentecôte n'a pas procuré la descente du Saint-Esprit sur le conclave, et qu'il n'est pas prêt à finir, ni peut-être même à bien finir. La division des frères Albani devient un étrange spectacle. L'Église se souviendra longtemps du pontificat de leur oncle et de ses suites, qui deviennent plus funestes qu'on ne pense, et qui n'attirent pas la béné[di]ction de Dieu sur les neveux. A parler franchement, je ne sais où la cour d'Espagne a été prendre le cardinal Bentivoglio; il faut de l'expérience, du flegme et de l'acquit de plus d'une sorte pour exercer dignement et utilement la protection d'une grande couronne; et, dans sa nonciature ici et depuis dans sa légation, il a paru qu'il avoit besoin de mûrir. Il paroît que les sujets de la plus grande espérance et réputation sont tous mis sur les rangs et aussitôt coulés à fond, les uns après les autres, et que plus le temps s'allonge, et moins on voit d'issue. Il faut espérer aux chaleurs et aux incommodités, mais craindre aussi qu'elles ne bombardent tout d'un coup quelque pape semblable au dernier, qui dut son exaltation aux mêmes choses. Voilà de grandes déférences pour Turin et pour Lisbonne, et des leçons dont d'autres cours, plus considérables de tout temps, devroient bien savoir

profiter. Si le sacré collège admet la dépendance nécessaire des cardinaux napolitains, milanois, et de celui qui a le secret de l'Empereur, il n'y aura plus de pape que de sa main et de sa dépendance: ce qui peut avoir d'étranges suites en tout genre, et qui est une servitude bien différente des justes égards qu'il a eus pour ces couronnes dans tous les conclaves. Nous sommes ici dans les mêmes ténèbres, entre la paix et la guerre. La saison s'avance cependant, et l'Empereur prend à son aise toutes les mesures qu'il peut en Italie et sur le Rhin, et toutes celles qui lui conviennent en Allemagne. J'attends avec une double impatience la guérison de M la duchesse de Lauzun, ma belle-sœur, pour m'en aller à La Ferté, où, comme partout ailleurs, je vous honorerai, Monsieur, avec tout le dévouement possible.

Le duc DE SAINT-SIMON.

A M. L'ABBÉ GUALTERIO.

La Ferté, 6 juillet 1730.

Bien des remerciements très humbles, Monsieur, de l'honneur et du plaisir de vos nouvelles, qui, déjà curieuses par elles-mêmes pendant un conclave, le deviennent au double par le procédé et la durée de celui-ci. L'Église, qui se souviendra longtemps de Clément XI, ne se souviendra peut-être guère moins de la division de ses deux neveux. Nous aurons un pape tel qu'il plaira à l'Empereur, dont le manège ne peut être plus délicat, plus adroit, ni plus dangereux, puisque, sans encourir le mauvais gré des exclusions, il les multiplie sur tous ceux dont il ne veut point, et finira ainsi par celui qui lui plaira. En attendant, voilà l'élite du sacré collège par terre, et même une élite nombreuse: après quoi on ne

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