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de sa prétention, et voudroit la consolider par le temps et l'indécision, pour en faire après une question; et c'est à quoi il faut couper court.

Comme le hasard fit que S. A. R. sut que vous me faisiez l'honneur de m'écrire là-dessus, et que je l'appris en recevant votre lettre, j'en profitai pour prier M. le Blanc de lire à S. A. R. la longue réponse que je vous y ai faite, et en même temps une autre à lui, remplie de raisons politiques de couper court à cette prétention: ce que M. le Blanc exécuta très bien en présence de Monsieur le Duc, qui appuya fort ce que je mandois.

On parle fort de faire plusieurs ducs. Autre bombe ! Si on commence, on ne cessera point; et qui ne le sera pas ? Je compte avoir bientôt à vous apprendre l'expédition de l'arrêt, et à vous assurer de nouveau, Monsieur, de tout l'attachement avec lequel je vous honore et suis parfaitement votre très humble et très obéissant serviteur.

M. le duc de Berwick.

Le duc DE SAINT-SIMON.

IX

SAINT-SIMON AU CARDINAL DUBOIS 1.

De Couhé, 26 octobre 1721.

Je profite de la nécessité de faire repaître pour avoir l'honneur de dire à V. É. que j'ai rencontré sur le midi M. le duc d'Ossonne, à Vivonne, quatre lieues en deçà de Poitiers. Il achevoit d'entendre la grand'messe assez loin de la poste où sa chaise étoit dételée. J'ai défendu qu'on

1. Copie prise sur l'autographe par M. A.-W. Thibaudeau.

me changeât de chevaux jusqu'à ce que lui et sa suite fussent fournis des meilleurs, et j'ai été l'attendre à l'entrée de l'église, où force compliments et embrassades, et où je lui ai présenté ma jeunesse. Je l'ai accompagné à la poste, où, après les civilités sur les chevaux, dans lesquelles vous jugez bien que je n'ai été vaincu ni en paroles ni en effets, je l'ai suivi dans la chambre où son couvert étoit mis, et où je n'ai voulu être suivi de personne des miens. Aucun des siens ne s'y est présenté. Là, les compliments de joie et d'union ont redoublé, ainsi que les personnels; mais ce qui me hâte de ne pas perdre l'ordinaire de Paris, qui passe ici aujourd'hui, c'est que ma surprise a été grande quand il m'a fait entendre qu'encore que la joie soit universelle en France, il y avoit des gens très affligés, et a ajouté, comme en confiance, et même en m'en demandant le secret, qu'on avoit tâché de retarder et d'effrayer sur la peste, jusque-là qu'une lettre de Paris avoit averti qu'il prît garde à ne pas entrer en certaines maisons de Paris même, parce que cette maladie y étoit, dont il n'avoit fait autre compte, ni ceux de sa cour qui l'avoient su, que de remarquer la malignité et le chagrin de ces personnes, qu'il ne m'a point désignées, et sur lesquelles aussi j'ai cru devoir témoigner plus de mépris que de curiosité. Il m'a parlé de la joie de L. M. C. et de toute l'Espagne, aussi fortement que tout ce qui s'en est déjà répandu et que vos nouvelles portent; et, après qu'il a été servi, je me suis retiré sous prétexte de le laisser en liberté. Il m'a conduit à l'espagnole, au bas du degré, où nous avons pris congé, et, après les compliments ordinaires pour me voir monter en voiture, ce que je n'ai pas souffert, il m'a dit, et j'en ai été surpris, avoir écrit de Bayonne pour les passeports de ce qui m'appartient, gens et ballots, et ne pas douter qu'ils ne passent actuellement, s'ils ne le sont déjà. Il ne m'a rien dit d'ailleurs, ni de M. de Maulévrier, même à ce propos de passeports, ni moi à lui, seulement beaucoup d'offres de me servir des voitures qu'il a laissées à Bayonne. Je sou

haite que vous approuviez la manière dont cette rencontre s'est passée, et que S. A. R. en soit contente. Je prends la liberté de supplier V. É. de la vouloir bien assurer de tout mon respect, et de l'être parfaitement elle-même de mon très sincère attachement.

Le duc DE SAINT-SIMON.

X

SAINT-SIMON A L'ÉVÊQUE DE FRÉJUS '.

Paris, 25 juillet 1725.

On m'inquiète sur votre santé, Monsieur, de façon que je ne puis me passer de vous en demander des nouvelles, et par amitié tendre et sincère, et peut-être autant encore parce que cette santé devient plus nécessaire que jamais. Je suis ici parce que je ne puis être ailleurs. Il s'en faut bien qu'on mange à la Ferté du pain de pois tous les jours, ni son saoul, quand on en mange, et d'y être témoin d'une misère terrible même à entendre, et ne la pouvoir soulager. Il n'y a pas moyen. Il m'y est dû plus de trente mille livres sans en pouvoir tirer un sol. Je n'y ai pas un grain de blé; la marmite des pauvres y est renversée, qui avoit toujours été entretenue par Mme de Saint-Simon, les sœurs grises prêtes à revenir. Je commence à croire que mes foins resteront à faire. En un mot, jamais extrémité qui ait approché de celle-là. Ici, le pot est prêt à culbuter, et Mine de Saint-Simon n'ira prendre des eaux que par force

me

1. Copie prise sur l'autographe par M. A.-W. Thibaudeau. C'est l'original complet de la lettre dont un fragment seulement, connu par le livre de Lémontey, a été inséré ci-dessus, p. 247, n° XXXII.

et aux dépens de nos nippes, si nous en pouvons vendre du très peu que nous avons. Tout cela, Monsieur, sans faire le pauvre, ni penser à aucun secours, mais uniquement pour vous expliquer littéralement et sans grossir d'une ligne la situation présente, dans une profonde paix et parmi les profusions de Strasbourg et de Chantilly. Si j'en suis là sans folies, avec deux cent mille livres de rente, dont, à la vérité, le Roi prend beaucoup, vous pouvez juger de ceux qui en ont moins et du désespoir de tout le monde, qui s'augmente par les emprisonnements journels, qui n'ont jamais été semblables. Peut-être ne vous parle-t-on pas si franchement; mais, sans parler de personne, ni sur personne, je crois en vérité vous devoir mander ces choses, et, après, les laisser aller à la volonté de Dieu, sans raisonnement, dont je ne suis point chargé, et sans réflexions, qui sont trop accablantes. Mais comptez que le pays dont je vous parle n'est pas le seul dans cette extrémité. Le marquis de Brancas me dit avant-hier avoir vu des lettres d'endroits de Normandie où on vit des herbes des champs après quoi, jugez des maladies qui suivront. Quelque proche que soit une bonne récolte, il y a loin sans pain ni assistance aucune, et c'est ce défaut total d'assistance qui me fait le plus de frayeur, parce qu'outre la disette de vivres, qui diminuera à la moisson, rien ne prouve d'une manière plus évidente et plus complète la violence de la situation générale. De tout cela, Monsieur, je ne tire aucune conclusion. Je parle en secret et en confiance à un françois, à un évêque, à un ministre, et au seul homme qui paroisse avoir part à l'amitié et à la confiance du Roi, et qui lui parle tête à tête, du Roi qui ne l'est qu'autant qu'il a un royaume et des sujets, qui est d'âge à en pouvoir sentir la conséquence, et qui, pour être le premier roi de l'Europe, ne peut être un grand roi, s'il ne l'est que de gueux de toutes conditions et si son royaume se tourne en un vaste hôpital de mourants et de désespérés à qui on prend tout chaque année, et en pleine paix. Je vous le répète, Monsieur, je ne grossis rien; je vous expose les

choses plus au-dessous de ce qu'elles sont qu'à leur vrai niveau, et, sans consulter personne, je le fais pressé par la conscience, puisque j'en suis à portée avec vous. Personne ne saura que je l'ai fait. Tout ce que je vous demande, c'est uniquement de le recevoir sur ce pied-là, avec bonté, de ménager votre santé comme une ancre bien nécessaire, de sentir qu'elle l'est plus que vous n'avez fait, de brûler ma lettre, et d'être persuadé de l'attachement tendre et fidèle avec lequel je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Le duc DE SAINT-SIMON.

M. l'év. de Fréjuls (sic), ministre d'État.

XI

SAINT-SIMON AU PRINCE DE MONACO 1.

La Ferté, 18 avril 1731.

Je reçois, Monsieur, l'avis que vous me faites l'honneur de me donner de la prétention de M. de Creuilly, qui compte apparemment être plus heureux que ne le fut en cela Monsieur votre père. Il a raison. Nous sommes au temps des prétentions les plus absurdes et les plus nouvelles en tout genre. Pour moi, qui suis d'âge et d'expérience à ne devoir plus songer qu'au repos, je me contenterai de vous envoyer le peu de lignes ci-jointes, qui ne sont même que de mémoire et écrites tout de suite et

1. Copie prise sur l'autographe par M. Gustave Saige, avec l'autorisation de S. A. S. le prince de Monaco.

SAINT-SIMON, XXI.

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