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Hollande et se rendroit maître de la négociation, et, en même temps, de toute la confiance du Roi dans toute la suite de l'affaire de la paix, dont Chamillart demeureroit exclus, et elle avec lui, qui n'en sauroit plus assez pour y influer par elle-même, et n'en apprendroit plus rien que par le Roi, ou par ce que Chamillart en entendroit dire au Conseil; de là, la jalousie et les brocards sur le voyage de Torcy.

XVI

SAINT-SIMON AU DUC DE RICHELIEU 1.

Paris, 9 août 1753.

Vous trouverez, Monsieur, ci-joint, le mémoire que vous m'avez demandé; vous y joindrez les choses dont vous ou d'autres de nous se peuvent souvenir, et vous aurez la bonté de me renvoyer ce mémoire quand vous en aurez fait faire une copie, parce qu'il est de ma main et que je n'en ai point d'autres. Je vous l'envoie ainsi pour ne point perdre de temps, puisque vous lisez bien ma mauvaise écriture. Surtout, je compte sur le secret entier, non du mémoire, mais de l'auteur, et que ni duc, ni prince du sang ne puisse découvrir que je prenne aucune part en tout ce qui se passe.

Plus j'y réfléchis, et moins j'en espère. Ces princes du sang sont nos plus grands ennemis, qui se repaissent avidement de nos dépouilles, et qu'en toutes occasions, les plus indifférentes à eux, nous trouvons qui nous barrent sur tout et qui veulent que, vis-à-vis eux, tout soit égal à peuple. Aujourd'hui qu'ils croient pouvoir tirer quel- que avantage de nous joindre avec eux, ils nous tournent, mais bien entendu que ce sera à leur mode, sans se départir de rien, ou de fort peu de chose, pour, en cette .considération, nous faire abandonner le reste, en tirer

1. Copie prise sur l'autographe par M. A.-W. Thibaudeau.

preuve et droit, et, quelque temps après, nous refuser ce reste, et se moquer de nous. En effet, où est la sûreté avec des gens qui ne font que ce qui leur convient, impunément et sans ressource, et qui, d'avance, vous déclarent que le Roi ne peut rien chez eux? Ils savent bien à qui ils ont affaire: témoin tout ce qui s'est passé, malgré les ordres du Roi, d'eux à M. le Dauphin.

Ceci, Monsieur, est le second tome de M. du Maine pour l'affaire du bonnet, avec cette différence que nous, voyant très bien l'intention de ce bâtard, nous n'osâmes jamais refuser jusqu'au bout ses prévenances, ses instances, la parole qu'il nous donnoit, et celle qu'il disoit avoir du Roi, des princes du sang, du Premier Président, sa créature, et par lui du Parlement, de peur de lui donner lieu de dire au Roi que nous étions si résolus de le perdre et de détruire ce que S. M. avoit fait en sa faveur dès que le Roi ne seroit plus, que nul avantage qu'il nous offroit ne pouvoit nous engager à lui avoir obligation et à nous départir de ce que nous méditions contre lui. Ce danger nous parut plus grand, plus certain, de plus grande suite que l'autre, et nous força de nous jeter dans l'autre péril, en le sentant parfaitement.

Ici au moins, il n'y a point de péril forcé comme à l'autre ; mais il y en a un évident, en conséquence duquel il faut se conduire, et n'ètre pas les dupes des jargons qu'on nous tient. Les princes du sang, qui, sous le règne présent, sentent leur force, et devant qui tout est aplani puisqu'ils nous ont tout ôté, comme le mémoire ci-joint le prouve, n'ont plus qu'un pas à faire, qui est de tirer de nous l'aveu et le consentement de ce dépouillement, pour nous empêcher d'y revenir jamais dans d'autres temps, en nous donnant à présent quelque satisfaction de bagatelle, qu'ils sauront bien nous ôter après.

Ainsi, Monsieur, un abîme ouvert sous nos pieds est de leur fournir aucun écrit, de quelque nature qu'il puisse être. Si c'est un mémoire qui contienne nos droits chez eux et nos raisons de les revendiquer, ils se prétendront

reconnus par nous-mêmes juges en leur propre cause, et le conserveront comme un titre contre nous, produit et fait par nous-mêmes. Mais il y a un autre danger, c'est que, si cela leur convient, soit par eux, soit par M. le comte de Charolois, qui sûrement ne voudra pas céder une ligne dans la contradiction où ils sont avec lui et la hauteur effrénée dont il est, ils feront courir le mémoire et le rendront public, avec les ridicules et les huées qu'ils sauront y ajouter. Vous jugez bien comment ce mémoire sera reçu, de la disposition où on est pour les ducs : gens de qualité jaloux de ces différences, gens qui s'en prétendent et qui se feront un titre de crier avec les premiers, gens du Parlement et d'autres robes qui se croient de niveau à tous, ministres et valets intérieurs qui, dans le cabinet, nous accommoderont de toutes pièces; et qui oseroit répondre que cela n'arriveroit pas ? Les princes du sang, qui vous ont dit qu'ils ne peuvent éviter de parler à M. de Charolois, mais pour ne se pas arrêter, s'il ne veut rien entendre, ne pourront lui refuser la communication du mémoire; et alors il y a à parier mille contre un qu'il le rendra public pour leur faire dépit, et à nous tout le mal qui lui sera possible. Or, ce qui en résulteroit à notre égard est tel qu'il n'y a nulle comparaison entre l'essuyer ou perdre tout ce qui nous reste, outre que le bruit, les cris, les ridicules, les mépris et tout ce que la jalousie, l'audace appuyée, la licence et l'ignorance enfante, nous l'arracheroient bien sûrement. Souvenez-vous, s'il vous plaît, de ce soulèv[em]ent de la noblesse à la mort du Roi, contre les ducs, et presque pendant toute la Régence, dont le levain s'est si bien conservé.

Qui vous a dit encore que, dans ce cas de publicité du mémoire, on n'irritera pas le Roi contre les ducs, ou sur leurs prétentions, ou d'avoir agi sans sa participation pour des distinctions qui ne sont qu'une suite attachée à la dignité qu'il donne, et qu'on traite de les tenir d'autres que de lui? Cela regarderoit également les princes du

sang; mais ils sauront bien s'en secouer, tandis qu'ils nous laisseroient dans la nasse.

Si, contre toute sorte d'apparence, on pouvoit parvenir à quelque accord sans abandon de notre part, pour y revenir en d'autres temps à ce qui ne seroit pas obtenu en celui-ci, quelle sûreté pour la durée contre les ruses, les refuites, et le refus après de ce qui auroit été rendu!

Mais, Monsieur, prenez garde à l'adresse. Le point présent est le refus des princesses du sang, non des princes. Je suppose que les princes l'accordent : mais seront-ils les maîtres de la tête de Mme la duchesse d'Orléans et de la volonté des autres princesses du sang, dont pas une n'a de mari pour leur dire : « Je veux, » et le leur faire faire? Les princes du sang diront qu'ils n'en sont pas les maîtres, et se moqueront de nous.

La seule voie d'assurer un accord est de l'écrire et le signer. Je doute que les princes du sang s'y laissent amener par les raisons susdites; mais je suppose qu'ils y consentent oseront-ils, ni nous aussi, aller jusque-là sans en parler au Roi? M. le comte de Charolois, à qui les autres princes du sang auront parlé, et qui s'y opposera, ira au Roi, criera dans le monde : il n'en faut pas tant pour nous arrêter et pour rompre tout, et la chose, rendue publique, aura l'effet qui est expliqué ci-dessus : nous n'aurons rien, et nous serons bafoués.

Je ne vois donc nul moyen d'accord stable sans écriture, et je vois l'écriture bien pis que de demeurer comme nous sommes, quelque dépouillés, anéantis que nous soyons. Ainsi le mémoire ci-joint n'est point fait pour être montré, surtout aux princes du sang, ni aucun autre, mais pour instruire votre mémoire et celle du peu d'entre nous à qui vous en voudrez parler, et vous fournir de raisons avec les princes du sang, parce que, puisqu'ils vous ont parlé et que la chose est engagée, on ne peut pas rester muet avec eux, mais toujours les laisser venir et ne faire que répondre, voir où cela peut aller, et, je crois, découdre et finir honnêtement. Je n'y vois point

d'autre porte, nul moyen d'abandonner aucun article dit en mon mémoire, encore moins de les espérer tous, ni quelque accord qu'on peut faire de le rendre solide. Je termine une trop longue lettre par demander à genoux qu'on ne donne rien par écrit, même quand les princes du sang en donneroient pour s'en attirer un de nous et s'en avantager après. Comme je l'ai expliqué ci-dessus, il est bien important qu'on ne découvre point ces pourparlers: on nous en feroit sûrement un plat auprès du Roi, et les plus cruelles gorges chaudes dans le monde. Je vous supplie de bien lire cette lettre, d'en tirer copie, si vous le voulez, et de me la renvoyer, parce qu'elle est de ma main, ou me la rapporter vous-même, parce que j'ai un autre chapitre pressé et important à traiter avec vous, qui n'est point celui-ci, et qui ne se peut écrire. Si je pouvois marcher, vous ne doutez pas que je ne vous demandasse une audience chez vous, par le respect et l'attachement avec lequel je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Le duc DE SAINT-SIMON.

M. le d. de Richelieu.

Je vous supplie de mander précisément en deux mots la réception de ce paquet dès que vous l'aurez reçu, pour que je n'en sois pas en peine.

FIN

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