JOURNAL DES AUDIENCES DE LA COUR DE CASSATION, O U RECUEIL DES ARRÊTS DE CETTE COUR, EN MATIÈRE CIVILE ET CRIMINELLE; Par J. B JALBERT, ancien Jurisconsulte, Greffier EN CHEF ANNÉE 1816. A PARIS, DE L'IMPRIMERIE DE J. SMITH, RUE MONTMORENCY, N.o 16. RECUEIL DES ARRÊTS DE CETTE COUR, EN MATIÈRE CIVILE ET CRIMINELLE. ATTENTATS A LA SURETÉ DE L'ÉTAT.—COMPÉTENCE.-POSITION DES QUESTIONS. Les Cours d'assises peuvent-elles connaître des attentats contre la sûreté de l'Etat, jusqu'à ce qu'une loi ait déterminé les crimes de cette nature qui doivent être soumis à la Chambre des Pairs ? Rés. aff. Si la connaissance de ce crime n'avait pas appartenu à la Cour d'assises, l'incompétence a-t-elle été couverte par le silence des parties? Si deux crimes, dont l'un est sujet à la peine de la prison et l'autre à la peine de mort, sont compris dans l'acte d'accusation, et que dans ce même acte d'accusation le premier de ces crimes soit considéré comme une circonstance élémentaire et constitutive du second, doit-on proposer au jury deux questions, l'une sur le premier crime, et l'autre sur le second? Rés. nég. Peut-on proposer au jury de prononcer sur le second crime, par voie de conséquence, et poser ainsi la question: L'accusé est-il coupable d'avoir usurpé des fonctions publiques, et, par suite, d'avoir commis un attentat contre la personne du Roi et la sûreté de l'État? Rés. aff. L'existence d'un arrêt auquel a donné lieu la réclamation de l'accusé, est-elle suffisamment constatée par le procès-verbal des séances de la Cour d'assises? Rés. aff. Marie-Chamans Lavalette, compris dans l'art. 1.er de l'ordonnance du 24 juillet 1815, a été traduit devant un conseil de guerre. Une ordonnance du 6 septembre de la même année, a déclaré qu'il serait poursuivi devant les tribunaux. Il a été traduit devant la Cour d'assises de Paris, et accusé de s'être rendu «< complice de l'attentat commis, dans les mois de février et mars précédens, » contre la personne du Roi et les membres de sa famille; ledit attentat » ayant pour but de changer et détruire le Gouvernement, et d'exciter les » citoyens à s'armer contre l'autorité royale. ». Par arrêt du 21 novembre 1815, rendu sur la délibération du jury, il a été condamné à la peine capitale. Il s'est pourvu en cassation, et a présenté six moyens à l'appui de son pourvoi. Nous n'en exposerons que trois, parce que ce sont les seuls qui offraient des points de droit à résoudre. Premier moyen. Contravention à la Charte, dont l'art. 35 est ainsi conçu : «La Chambre des Pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats » à la sûreté de l'Etat qui seront définis par la loi. >> «< Jamais accusation, a dit M. Darrieux, avocat du demandeur, ne présenta plus éminemment le caractère du crime de haute trahison et d'attentat à la sûreté de l'Etat, que celle dirigée contre Marie-Chamans Lavalette. Il n'était donc justiciable que de la Chambre des Pairs. Ce principe d'ordre public, qui place le crime de haute trahison hors de Ja juridiction commune, a été adopté par la législation de presque tous les peuples modernes ; et notre propre histoire nous fournit la preuve que dans tous les temps, la connaissance et la punition de ces grands attentals furent dévolues à des corps judiciaires ou politiques d'un ordre supérieur. » C'est ainsi que le Parlement de Paris, les chambres assemblées, ensuite de l'attribution qui lui en avait été donnée par l'ordonnance de Charles VIII, du mois de juillet 1493, connaissait de ces accusations, en premier et dernier ressorts, et exclusivement à toutes autres Cours et tribunaux. » Les annales du Parlement ne fournissent que de trop déplorables exemples de l'exercice de cette éminente prérogative. » Si nous consultons la législation intermédiaire, nous voyons que le mème principe s'est maintenu à travers tous les désastreux essais auxquels on s'est livré sur notre institution politique et civile. >> Ainsi la Constitution de 1791 créait une haute Cour nationale, qui devait connaître des crimes contre la sûreté générale de l'État. » La même institution se trouve dans les Constitutions de l'an 3 et de l'an 8. »Enfin, le sénatus-consulte du 28 floréal an 12, qui formait en cette partie le dernier état de la législation intermédiaire, et qui avait principalement pour objet d'organiser la haute Cour, disposait en ces termes, article 101: La haute Cour connaîtra des crimes, attentats et complots contre la sûreté >> intérieure et extérieure de l'État, et contre la personne de l'empereur. » » La Charte royale, comme on voit, n'a fait que conserver le principe, et le revêtir d'une sanction plus auguste. » La haute Cour n'existe plus, mais ses attributions judiciaires sont aujourd'hui au rang des prérogatives de la Chambre des Pairs. >> Si on demandait quels motifs ont, dans tous les temps, déterminé le législateur à placer hors du droit commun les crimes de haute trahison, il suffirait de répondre que de tels attentats n'attaquent pas seulement la morale et la sûreté individuelle, mais qu'ils metteut en péril le corps social tout entier. Ils ne peuvent donc, par leur nature, être assimilés à aucun autre. >> Mais aussi, parce qu'ils excitent une grande horreur, et que dans leur poursuite tout citoyen devient accusateur, il a fallu, d'une part, et pour la sûreté du prévenu, que les juges fussent d'un ordre supérieur, affranchis, par leur rang et leur état, de l'influence des localités, des passions et des faiblesses vulgaires; » D'autre part, et dans l'intérêt de la société, que le coupable ne pût pas échapper par l'intrigue et le crédit; » Enfin, que l'exemple fût solennel et national. >> Voilà sans doute, messieurs, les principales raisons qui, dans tous les temps, ont fait considérer cette juridiction extraordinaire comme une des lois fondamentales de la monarchie, et à nulle époque elle ne fut confiée a des hommes qui assurassent à un plus haut degré tous les genres de ga ranties. » C'est de cette juridiction que Marie-Chamans Lavalette se plaint d'avoir été privé dans la déplorable situation où le sort l'a placé. C'est cette juridiction qu'il réclame et que la société réclame pour lui, parce qu'elle est tout-à-la-fois de droit public et privé. » Dira-t-on que la Charte ne soumet à la connaissance de la Chambre des Pairs que les crimes de haute trahison et les attentats à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi; que ce n'est encore là qu'un principe abstrait, une attribution dont l'exercice est ajourné jusqu'à l'époque où la loi aura défini les crimes de haute trahison et les attentats à la sûreté de l'Etat ; et que jusqu'alors les prévenus de crimes qui pourraient avoir ce caractère, restent sous la loi commune, et sont justiciables des tribunaux ordinaires? >> Mais essayons de fixer le veritable sens de cette disposition finale de l'art. 33 de la Charte. >> Elle annonce que les crimes de haute trahison et les attentats à la sûreté de l'Etat seront définis. Est-ce à dire que, jusqu'à cette définition, nul crime n'aura le caractère de haute trahison et d'attentat à la sûreté de l'Etat? >> Ce serait sans doute une grande erreur; et pour mieux saisir la pensée royale, il faut se reporter aux temps anciens, interroger jusqu'aux erreurs des générations qui nous ont précédés. » Sous les empereurs romains, le crime de lèse-majesté ou de haute trahison n'eut jamais de caractère bien déterminé. L'accusation de ce crime était plutôt un moyen de gouvernement, que la poursuite d'un tort réel porté au prince ou à l'Etat. » Il fut tel empereur sous lequel un simple scandale, un délit de police ou même une irrévérence envers un officier de l'empire, prenait le caractère du crime de lèse-majesté, et était puni comme tel. >> Ce n'est pas assurément dans les lois romaines, sous le titre ad legem |