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La pensée d'une trinité dans une unité n'a elle-même rien d'étrange ni de nouveau.

On trouve cette trinité dans l'homme lui-même; puisqu'il se compose dans son unité d'une double trinité, l'une physique, l'autre morale.

Au physique c'est l'intelligence, la vie et la matière ; trois essences distinctes que l'on peut perdre isolément. - En effet, la vie et le corps survivent malheureusement souvent à l'intelligence; et le corps existe encore après la perte de la

vie.

Au moral, un grand orateur chrétien a retrouvé cette trinité morale dans l'intelligence, siège de la pensée; le cœur, siège des sentiments; la volonté, siège des résolutions.

La première proposition, la moralité du poëme de Lucrèce est établie, puisqu'il reconnaît Dieu, l'âme et leur immortalité. Il proclame que l'homme doit espérer des récompenses, ou redouter des peines après sa mort, et l'on ne peut accuser d'athéisme celui qui s'écrie:

« Grands dieux, âmes augustes, dont la vie est éternelle, >> qui d'entre vous donne des lois à l'univers et tient dans ses >> mains les rênes du grand tout? Qui d'entre vous fait rouler » à la fois tous les cieux, fait éprouver à la terre les influences >> des astres, et suffit en tout temps à tous nos besoins?

« Quis regere immensi summum, quis habere profundi

» Eundo manu validas potis est moderantur habenas? >>

Ma seconde proposition est relative aux notions physiques alors exactes, et rappelle ce que le génie de Lucrèce semblait déjà lui révéler.

Ce qui existait comme aujourd'hui du temps de Lucrèce, c'était l'amour du mystérieux, du dramatique chez les masses; leur confiance dans les promesses les plus fallacieuses et les moins réalisables; l'ardeur avec laquelle elles acceptaient sans examen tous les discours qui chatouillaient agréablement leurs penchants; et ne pouvons-nous pas redire avec le poète :

« L'ignorance n'admire que le mystérieux; et les promesses

>> agréables et emphatiques sont toujours une vérité pour la >> masse du peuple.

« Omnia enim stolide magis admirantur amantque;

>> Inversis quæ sub verbis latitantia cernunt;

>> Verbaque constituunt, quæ belli tangere possunt

» Aures, et lepido quæ sunt fucata sonore. >>

Les hommes restent les mêmes, et il serait naïf de ma part de continuer, ici, une discussion sur ce sujet.

A l'égard des sciences physiques, Lucrèce croyait encore au vide comme tout le monde alors, et son intelligence n'avait pu lui faire devancer Galilée, Pascal et Newton.

Cependant, quelques philosophes avaient déjà le sentiment du plein que le poète conteste dans ces vers:

«Sic alias quoque res inter se pove moveri

» Et mutare locum, quamvis sint omnia plena, elc. »

Ce prétendu vide sur lequel les anciens greffaient toutes leurs hypothèses, ne leur semblait néanmoins ni constant, ni général, puisque, en l'absence des principes inconnus de la gravitation, ils plaçaient au-dessus des astres une enveloppe impénétrable, sans laquelle, suivant eux, les étoiles et les autres astres eussent franchi les limites du monde.

Le génie aurait-il la faculté d'entrevoir l'avenir? — et faudrait-il à l'humanité les vingt siècles qui nous séparent de l'époque qui nous occupe, pour bien connaître ce qu'elle soupçonne déjà sans pouvoir l'analyser exactement. Nous venons de voir que la théorie du plein autour de la terre était prévue du temps de Lucrèce; et si je ne puis m'arrêter aux critiques des quatre seuls éléments reconnus alors, je ne puis oublier que Lucrèce en soupçonnait d'autres les composant eux-mêmes.

Ce simple soupçon était déjà une découverte. Je dois me garder aussi de rappeler les débats si connus des anciens philosophes; et si je m'arrête à la théorie des effigies, c'est qu'il m'a semblé que dans sa dissertation sur ce sujet, Lucrèce avait eu comme un aperçu du daguerréotype ou de photographie lorsqu'il dit ;

« Et quamvis subito, quovis in tempora quemque
>> Rem contrà speculum ponas, apparet imago.

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Perpetuo fluere ut noscas è corpore summo

>> Texturas rerum tenuesque figuras, etc. »

La science était bien près du niveau actuel sur la foudre (je ne dis pas l'électricité), les vents, les nuages, les volcans, l'évaporation, les sources; et l'on mesurait déjà la distance de l'orage par celle qui existait entre l'éclair et le bruit du ton

perre.

On connaissait plusieurs des propriétés de l'aimant sans avoir encore observé sa direction naturelle vers le pôle nord.

L'astronomie n'existait pas, puisque l'on donnait au soleil et aux autres astres à peu près leurs dimensions visibles sur la terre; et, d'autres plus audacieux supposaient ces astres créés journellement par un maître capricieux, suivant qu'ils apparaissaient ou restaient invisibles à l'horizon.

La troisième observation est relative au Créateur reconnu par tous les peuples.

Il est inutile de citer ici tous les différents noms donnés au Créateur par les nations éparses; et peu importe que le Créateur ait nom Allah, Jupiter, Brahma, Dieu ou le GrandTout, si tous les grands hommes et tous les peuples l'ont reconnu dans les faits généraux et constants de la nature !

Sur ce point, comme sur tant d'autres, les hommes n'ontils pas discuté sur les mots et pour des mots ?

Bien avant le christianisme, l'on écrivait que Dieu est partout, que son souffle est le principe de toute vie, de toute intelligence, et Lucrèce, ce païen dévoyé, reconnaît que c'est le Grand-Tout, cet être unique, universel, que soupçonne le paganisme intelligent, qui a créé le monde. Il reconnaît que la conduite générale de l'univers et l'énergie de chaque cause ont été déterminées dès l'origine par le Créateur, et qu'une fois la première impulsion créatrice donnée, tous les phénomènes journaliers restent assujettis à un ordre invariable.

Il déclare que l'essence même de l'univers ne lui permet pas d'être fini; et c'est dans cet infini qu'il trouve l'une des plus

puissantes preuves d'un créateur. Ce mot incommensurable d'infini nous accable; et nous le comprenons, toutefois, sans pouvoir le définir autrement qu'un philosophe moderne en disant qu'il est l'infini du fini.

Il nous reste à considérer le poëme dont il s'agit au point de vue littéraire.

Faut-il, comme quelques-uns le prétendent, n'y voir que le fruit des intermèdes lucides d'un esprit exalté mais troublé ; ou reconnaître que tout y est réfléchi, bien coordonné et poétiquement exprimé.

Il faut certainement s'incliner devant la force, l'élégance et la noblesse des pensées dès que l'auteur abandonne les parties purement descriptives toujours arides de leur nature.

L'invocation à Vénus, l'éloge d'Epicure, la peste d'Athènes, le sacrifice d'Iphigénie, sont des chefs-d'œuvre pour une époque où les grands modèles faisaient encore défaut; et le cinquième livre est au moins une charmante fable, produit d'une imagination féconde.

En résumé, Lucrèce est un poète, dont les œuvres qui ont survécu, sont dignes d'être conservées.

Né trop tard pour le paganisme, trop tôt pour le spiritualisme, il est resté un philosophe chercheur, mécontent du présent, mais entrevoyant les destinées prochaines.

C'est ainsi que s'explique son regard mystique et constant sur la nature muette devant ses interrogations multiples. Il est demeuré incertain devant ce silence de la nature, et cette incertitude a motivé les contradictions qui le trahissent et qui ont autorisé les critiques.

Tout en reconnaissant ses défaillances et l'inégalité des pensées, laissons en terminant, à notre auteur les palmes du philosophe, l'auréole du penseur, la couronne des poètes.

SUR LE

CALCUL INFINITÉSIMAL

Par M. A.-E. PELLET.

AVANT-PROPOS.

La théorie des séries ordonnées suivant les puissances croissantes de plusieurs variables ou séries holomorphes devait, suivant Lagrange, être prise pour fondement du calcul infinitésimal. Le peu de rigueur de sa démonstration de la formule de Taylor jeta du discrédit sur sa méthode. Mais les travaux de Cauchy sur les fonctions de variables imaginaires ont montré la justesse de son idée. Aujourd'hui différents auteurs cherchent à l'introduire dans l'enseignement; entre autres, nous signalerons M. Méray (Précis d'analyse infinitésimale). Cet Essai contient le résumé de nos efforts dans ce sens ; pour être plus bref, nous avons omis les démonstrations qui se trouvent dans les ouvrages sur la matière et nous sommes borné dans ce cas à l'énoncé des propositions.

1. L'idée de nombre est des plus naturelles à l'homme; son application à l'étude des grandeurs conduit aisément à la conception des nombres fractionnaires; mais cette conception est

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