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LE TOMBEAU

DE

JEAN DESCHAMPS

Par le Docteur DOURIF.

Le jeudi 5 juillet 1883, en sortant de la séance de l'Académie, je suis allé, avec M. Emile Mallay, architecte, visiter une sépulture découverte le matin sous le portail nord de la Cathédrale et dont M. Mallay venait de donner la description à l'Académie. Le corps contenu dans la sépulture en pierre, n'a pas été dérangé de sa situation; il repose sur le dos, la tête au couchant, la face en haut, les bras étendus parallèlement au corps. Les os, de couleur jaune foncé, sont, en plusieurs endroits, couverts d'une couche mince formée par les restes des chairs et des téguments, avec quelques vestiges d'un linceul grossier. La poitrine surtout est couverte d'une couche presque uniforme brunâtre, assez épaisse, dans laquelle on trouve, avec des débris d'étoffes, les restes des téguments, des cartilages costaux, des sternum, et probablement aussi des viscères thoraciques. En enlevant cette couche, on aperçoit les vertèbres et la partie postérieure des côtes reposant sur la pierre au milieu d'un amas de matière brune. Le thorax est ainsi complété, mais le bassin manque ; il est tombé par l'ouverture carrée, dans l'étage inférieur du caveau, quand la croix de fer sur laquelle il reposait a cédé.

On aperçoit au-dessous de l'ouverture, le sacrum et des fragments disjoints des os du bassin placés sur un tas d'ossements plus anciens, parmi lesquels doivent se trouver aussi les os des mains et des avant-bras qui reposaient probablement sur le bassin et ont été entraînés dans sa chûte en attirant un peu en haut les deux fémurs.

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L'examen de ces os montrent qu'ils ont dû appartenir à un sujet robuste et de taille moyenne. Ils sont, en effet, assez gros, et présentent des saillies prononcées dans les points d'insertion des muscles. La longueur des humérus est de 32 centim., celle des fémurs de 42.

Ces derniers sont presque droits, avec un col très court et peu oblique, ce qui paraît indiquer qu'ils appartiennent à un sujet du sexe masculin. L'absence du bassin laisse à cet égard subsister un certain doute que ne peut lever suffisamment l'examen de la tête.

Le crâne est arrondi assez régulièrement de forme presque sphérique, ou, en d'autres termes, il est dolichocéphale et ortognathe, ce qui indique un Européen.

L'ossification des os est complète, mais les sutures sont encore libres, et on pourrait sans beaucoup d'efforts séparer les diverses portions de la boîte crânienne sur laquelle on trouve bien un enduit de matière organique sans trace de cheveux ce qui porte à croire qu'ils ont dû être courts. Les lignes courbes de l'occipital sont accentuées, mais sans relief très marqué.

Les mâchoires présentent des dents fortes et bien plantées, mais en arrière des rebords alvéolaires, des surfaces planes indiquent que les dents de sagesse n'étaient pas encore sorties. Une d'elles commençait à paraître à la mâchoire inférieure, ce qui, joint à l'état des os et à la persistance des sutures, indique pour le sujet l'âge de 20 à 25 ans.

Ce corps n'est donc pas celui du fameux architecte ni de sa femme Marie, mais bien celui d'un fils, mort au moment où finissait son développement et placé le dernier, au-dessus des restes de ses parents que l'on précipitait successivement dans la partie basse du caveau chaque fois qu'un membre de la famille devait prendre sa place au-dessus de ceux qui l'avaient précédé dans la tombe.

J'ai examiné ensuite deux pièces de monnaie trouvées dans les fouilles et fort oxydées; après les avoir nettoyées avec soin, j'ai pu les reconnaître.

La première, qui semble la plus ancienne, est un denier en

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bas argent frappé vers la fin du XIVe siècle et suffisamment usé pour démontrer qu'il a circulé pendant plusieurs années.

Cette pièce porte, d'un côté, dans un cercle une couronne ouverte dont le bandeau supporte trois grandes fleurs de lys et deux petits fleurons. Cette couronne occupe tout le champ et les fleurs de lys des deux côtés étendent leur pointe jusqu'au bord de la pièce, de manière à séparer les mots de la légende dont le commencement est marqué par une petite croix pattée entre deux très petites croisettes en sautoir que l'on retrouve dans le cours de la légende en place de points pour séparer les lettres initiales ou les mots ainsi qu'il suit :

+*L*ET*I*Ihr*ET*SIC REGI*. Dans le champ, sous la couronne

REX.

Ce que nous traduisons par ces mots :

LUDOVICUS ET JOHANA IEROSOLYMÆ ET SICILLE REGINA. REX. Cette attribution est confirmée par le revers: où on lit autour d'une croix renfermée dans un cercle et cantonnée de quatre fleurs de lys:

+COM'S ET COMTSA PRICIE

COMES ET COMITISSA PROVINCIÆ.

Dès lors il est facile de déterminer l'époque où fut frappée cette pièce qu'on ne peut attribuer qu'à Louis d'Anjou, fils adoptif de Jeanne de France qui avait épousé le duc de Tarente. Or, Louis d'Anjou, adopté en 1382, mourut en 1384. C'est dans cet intervalle qu'il a émis cette monnaie qui porte à la fois son nom et celui de sa mère adoptive. Les royaumes de Jérusalem et de Sicile n'étaient pour eux que des souvenirs, comme ils le furent pour leurs successeurs et le sont encore de nos jours pour le Roi de Sardaigne, de Chypre et de Jérusalem. Leur véritable souveraineté était la Provence, dans laquelle nous trouvons plus tard le bon roi René et qui revint en 1486 à la couronne de France.

La seconde pièce n'a de commun avec la précédente que le module, qui est cependant un peu plus grand. C'est un jeton en cuivre frappé à Nuremberg comme l'atteste la légende tracée autour d'un cercle rempli par trois fleurs de lys et trois

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