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Dès ce moment, nous constatons l'existence, dans la vallée, de deux industries connexes: celle du tressage, pour laquelle on emploie la fine paille d'épeautre produite par les terrains crétacés de la région, et celle de la fabrication des chapeaux au moyen de tresses. L'une n'est d'ailleurs que le complément de l'autre la première est à domicile, la seconde suppose le travail à l'atelier.

La fabrication des chapeaux de paille, disait Thomassin vers 1810, «qui occupe pendant le temps de l'hiver et du désœuvrement plus de deux cents familles du canton et des environs, est assez florissante. On y fabrique des nattes et autres ouvrages en paille et en jonc, des chapeaux communs pour l'usage des paysannes de la Belgique et des chapeaux plus fins, destinés aux marchands de modes de Liége, Bruxelles, Paris, Amsterdam, Stockholm et Pétersbourg...

>> Les principaux ateliers appartiennent à MM. Hubert Pirotte et Pierre Donay, à Glons, Bertrand et Defresne, de Houtain, où sont employés trois cent et dix ouvriers indépendamment de ceux qui, dans leur domicile, sont occupés à tresser la paille. Le prix moyen de la journée de ces ouvriers est de fr. 1.50 en été et de 75 centimes en hiver. On fabrique des chapeaux qu'on livre au commere à raison de 60 centimes, 1 franc et 2 francs, et ceux de première qualité à 4 et 5 francs.

» Le produit de cette fabrication s'est élevé, en 1810, à la somme de 422,000 francs. Le salaire des ouvriers de toutes espèces se monte à celle de 232,500 francs (1). »

Pendant les trois premiers quarts du XIXe siècle, la prospérité de l'industrie de la tresse ne fait que s'accroître; presque tous les pays de l'Europe et même du nouveau monde se fournissent de tresses dans la vallée du Geer, des maisons de commerce sont dirigées par des Belges à l'étranger en vue de l'écoulement des produits de l'industrie de la paille. A la morte

(1) THOMASSIN, Mémoire statistique du Département de l'Ourthe déjà cité, p. 461.

saison du tressage, c'est-à-dire de février à juin, les tresseurs et même les tresseuses s'en vont à l'étranger faire le montage des chapeaux, et au commencement de l'automne presque tous les négociants et artisans qui se trouvent à l'étranger rentrent dans leurs foyers, rapportant de beaux bénéfices et de grosses épargnes.

«En 1884, il y a, dit Me Defrêcheux (1), 40,000 tresseurs et tresseuses, et au delà de 4,000 couseurs. »

Malheureusement une revision des tarifs douaniers et l'établissement de droits d'entrée par les pays voisins sur les produits fabriqués originaires de Belgique fit qu'une partie de l'industrie chapelière utilisant des tresses se transporta à l'étranger. Elle ne s'approvisionna plus longtemps de matière première dans la mère patrie. Les tresses d'Italie de Chine et du Japon lui étaient livrées, à raison de conditions économiques du travail dans les pays de provenance, à meilleur compte que les tresses de la vallée du Geer. Ce fut le commencement de la ruine : les hommes abandonnèrent le tressage pour chercher du travail soit dans la fabrication de chapeaux ou dans les centres industriels; bientôt même les chapeliers n'eurent plus de travail chez eux une fois la campagne finie, alors qu'auparavant, lorsque la machine à coudre était moins employée et la production était plus lente, les patrons faisaient fabriquer à l'avance en morte saison (la mode étant aussi moins changeante). Ainsi les ouvriers ne se trouvaient pas obligés à chercher du travail en dehors (2).

Le tressage tomba donc au rang d'industrie tout à fait accessoire, exercée principalement par des femmes et souvent à leurs moments perdus. Actuellement, le marché belge échappe même aux tresseuses; nos fabricants de chapeaux tirent leur matière première en grande partie de l'Extrême-Orient. La

(1) Notice citée.

() Voir déclaration de M. Depaifve-Barbe à ANSIAUX, op. cit., p 22.

concurrence de l'Angleterre et de la Toscane a été supprimée elle-même par celle de ces pays exotiques (1).

L'industrie du tressage occupait, lors du recensement de 1896, 2,600 tresseuses. Ce chiffre est de beaucoup diminué en ce moment. Le travail s'effectue à domicile; le produit en est vendu aux marchands de tresses établis dans les diverses localités de la vallée, qui apportent, dit M. Ansiaux, « une insistance toute particulière à mettre en relief le caractère purement commercial de leurs relations juridiques avec les ouvrières. A l'appui de leurs dires, ils invoquent, entre autres, le fait qu'ils ne fournissent pas à celles-ci la matière première. Le but qu'ils poursuivent est visible et d'ailleurs avoué : c'est d'échapper aux mesures réprimant le truck system, lorsqu'il est pratiqué par un patron (2) ».

L'unité de paiement est généralement la tresse de 56 mètres, mais on compte souvent encore par demi-pièce ou par quart de 14 mètres; il y a aussi des pièces de qualité supérieure, de 60 mètres. Les calculs se font souvent d'après les anciennes mesures et les anciennes monnaies. On mesure par aune et l'on paie par skelein (60 centimes) et patir (5 1/2 centimes) (3).

Il y a peu de variations saisonnières; le prix des tresses variait, lors de la publication de l'étude de M. Ansiaux, depuis 30 centimes les 56 mètres jusqu'à 5 francs les 60 mètres. Les articles de 30, 50, 70 centimes sont ceux que confectionnent les enfants et les vieillards. Une tresseuse à domicile, a-t-on déclaré à M. Ansiaux (4), touche fr. 1.75 à 2 francs pour une pièce de 56 mètres. Elle peut faire 15 à 16 mètres par jour et doit payer la paille. Le gain quotidien brut oscillerait donc entre 47 et 57 centimes: il resterait à déduire les menus frais.

(4) Il résulte de l'étude à laquelle s'est livré Ansiaux, que la situation des tresseuses de Toscane et d'Angleterre n'est pas plus brillante que celle des tresseuses de la vallée du Geer.

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Suivant une autre personne, à Roclenge les ouvrières en tresses, quand elles sont très bonnes, se feraient 7 à 8 francs par semaine, 5 à 6 francs quand elles sont plus médiocres. Elles gagneraient, somme toute, 1 franc par jour environ, frais et fournitures non décomptés. A Wonck, les ouvrières se feraient 75 centimes, 1 franc et fr. 1.25 journellement (1). Le salaire net oscillerait donc entre 50 et 60 centimes par jour. Le paiement des tresses se fait au moins partiellement en denrées Les marchands de tresses disent que leur commerce en denrées est nécessaire pour couvrir les frais de leur commerce de tresses; de leur côté, les tresseuses soutiennent que les prix des tresses sont déjà fort bas et que l'obligation de prendre en échange ces denrées aggrave leur situation, car, disent-elles, les patrons vendent généralement ces denrées plus cher que les détaillants (2). Certaines tresseuses déclarent cependant que, depuis la poursuite suivie d'acquittement intentée à certains marchands du chef de contravention à la loi sur le paiement des salaires, les marchands en tresses ne vendent pas les marchandises plus cher que les détaillants ordinaires.

La matière première jadis uniquement travaillée était la fine paille d'épeautre. « Aujourd'hui on se sert principalement de la paille de froment produite par les variétés « petit roux »> et << blanc » du pays. Généralement le fermier cède à ses ouvriers la paille de 4 a. 36 à 8 a. 72 d'épeautre ou de froment pour faire des tresses. Les blés dont la paille doit servir à cet usage sont coupés à la faucille une huitaine de jours avant la maturité complète et liés en grosses gerbes recouvertes (housard) que l'on dresse séparément sur le champ; quand la paille a perdu toute sa sève, on rentre la récolte. Il est important de pouvoir couper et rentrer le blé sans que la paille ait eu à souffrir de la pluie, qui fait pourrir le chaume. Après le nettoyage (peignage) de la paille, les épis sont enlevés et les bottes de fétus conservées dans les greniers. Malheureusement, les femmes débarrassent le chaume de la gaine qui l'entoure

(') ANSIAUX, loc. cit.

(2) IBID., p. 66.

(déchaussage), le coupent en tronçons sans nœuds d'environ 20 centimètres de longueur (stous) qu'elles exposent pendant un certain temps aux vapeurs de soufre dans une armoire appelée « teinturerie »; puis elles procèdent au triage des «stous »>, rejettent les pourris, séparent les fins des gros et fendent chacun d'eux, dans le sens de la longueur, en 4, 5, 6 ou 7 brins égaux, au moyen d'un petit appareil spécial appelé << paurteux» (partageur). Au moment d'être employés, les brins sont placés entre deux cylindres en bois (moulins) plongés dans l'eau pour les rendre flexibles, puis tressés en rubans d'un travail très varié (1) ».

Comme les fines tresses belges ne sont plus en vogue pour le moment, les tresseuses confectionnent des tresses qui servent aux chapeaux dits de fantaisie au moyen de végétaux de provenance japonaise et cubaine, qui arrivent tout préparés dans la vallée.

Des renseignements obtenus récemment nous permettent d'affirmer que les produits exotiques sont presque les seuls encore tressés dans la vallée. Depuis quelque temps, deux ou trois ateliers de tresseuses y fonctionnent; une école de tressage est établie à Bassenge.

L'industrie de la fabrication des chapeaux est demeurée assez prospère, mais elle a à lutter contre la production. étrangère. Aujourd'hui les fabricants de la vallée, qui ont monté des ateliers à Rotterdam, Amsterdam, Paris, etc., font une concurrence écrasante à leurs anciens professeurs (2).

Il n'est donc point possible que tous les ouvriers et ouvrières ayant abandonné le tressage trouvent à s'occuper à la fabrication du chapeau, soit à domicile (3), soit à l'atelier, dans la vallée. Aussi émigrent-ils et vont-ils exercer leur métier dans les ateliers des grands centres de population. La saison de fabrication ne dure que quatre ou cinq mois (février à juin).

(1) Monographie agricole, p. 254.

(2) Ibid., p. 255.

(3) La confection à domicile ne peut d'ailleurs se concevoir que pour quelques chapeaux à bas prix.

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