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manque de prévoyance ont déjà rudement battu en brèche ce bel optimisme (1).

Le Hesbignon est très indépendant de caractère, nous l'avons déjà dit c'est la soif de liberté qui, pour une bonne partie, pousse les jeunes ouvriers vers l'industrie; c'est encore cette soif d'indépendance qui fait rêver l'ouvrier agricole à une petite exploitation où il sera maître chez lui. Il peinera dur, lui, sa femme et ses enfants travailleront plus que des ouvriers agricoles ou des domestiques de ferme, mais ils ne dépendront de personne; cette idée est pour eux un coup de cravache.

La Monographie des populations agricoles de la Campine (2) rapporte l'opinion moins favorable des Campinois à l'égard des Hesbignons.

En général, il est vrai qu'en Campine on travaille plus qu'en Hesbaye; le sable campinois qui ne produit rien quand il n'est pas suffisamment stimulé et le fait que la Campine est précisément une région de petite culture en sont les causes principales. Mais il n'est pas contestable que, à part les grands et moyens fermiers qui, avant la crise agricole, menaient parfois la vie large, les Hesbignons sont laborieux.

Il est à noter encore que le Campinois est plus intelligent que le Hesbignon et le Mosan et que, parlant comme il le fait, il a surtout en vue ce dernier, en d'autres termes il vise spécialement la population agricole de la région de la Meuse, qui est plus rapprochée de lui.

(4) Nous avons demandé, à Hollogne-sur-Geer, à une personne à même d'être bien au courant, des renseignements concernant ces associations agricoles. Elle nous a répondu que, au village, la société La Gerbe passe pour ainsi dire inaperçue. Elle compte (octobre 1907) trente-deux membres, mais a été un peu plus nombreuse. Elle comprend une caisse contre le chômage involontaire et une mutualité maladie accidents.

Notre correspondant ne connait aucune société socialiste de ce genre existant dans les communes environnantes; la coopérative socialiste, La Justice, à Waremme, fait, nous dit-il, du moins en apparence, de belles affaires.

(2) E. VLIEBERGI, De landelijke bevolking der Kempen, p. 25.

Thomassin loue, chez les Hesbignons, la sobriété et l'économie. Ces deux qualités se retrouvent chez le Hesbignon de nos jours, au moins chez la population agricole, car nous ne pourrions pas délivrer le même certificat à la généralité des ouvriers allant travailler dans le pays industriel. Ceux-ci boivent ferme et n'économisent guère. Le dimanche, aux concours de pigeons voyageurs, au jeu de quilles et à la kermesse du village. et des villages environnants, ils dépensent beaucoup d'argent. La population agricole n'est pas dépensière: « le dimanche, surtout après la grand'messe, les cultivateurs jouent aux cartes pour un faible enjeu ou pour les consommations; les fils de cultivateurs et les ouvriers agricoles font participer leurs pigeons aux concours, mais, ici encore, l'argent engagé n'est pas très considérable. Du temps de Thomassin, le Hesbignon était un fervent de la danse : le dimanche et les jours de fêtes, dit-il, les jeunes gens se rencontrent au sortir des vêpres et se rendent dans le cabaret où l'on danse ordinairement. Les garçons font danser les filles, leur offrent des rafraîchissements, ne s'en séparent point et terminent la journée en les conduisant chez leurs parents.... » (1).

On ne danse plus actuellement qu'aux kermesses et après certaines festivités; ainsi, dans les communes de quelque importance, il y a parfois un concert suivi de bal vers Noël ou vers Pâques.

Anciennement, à la kermesse, on dansait sur la place publique; actuellement on ne le fait plus que dans les cabarets et salles de danse; on commence le soir pour ne finir parfois qu'à l'aurore.

Jusqu'il y a quelques années, les combats de coqs étaient bien plus fréquents que maintenant, on y dépensait souvent beaucoup d'argent.

Avant la crise agricole, c'était dans certaines parties de la Hesbaye l'amusement préféré des gros fermiers. Ceux-ci, d'ail

(1) Ouvrage cité, p. 216.

TOME V.

LETTRES, ETC.

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leurs, pendant les grasses années de 1860 et les premières. années de 1870, faisaient bonne chère; on vous cite encore en Hesbaye des exemples de véritables beuveries où le champagne coulait à flots.

Il n'en est plus ainsi, mais cependant on s'aperçoit les jours de marché ou de bourse, quand les fermiers viennent en ville, que nous traversons de nouveau une époque de prospérité agricole.

Les chemins de fer vicinaux ont rendu à cet égard un véritable service: précédemment, même le petit cultivateur et sa femme, le jour de marché, traînaient en ville, buvaient plus que d'habitude, achetaient ce dont parfois ils avaient moins besoin, en un mot se laissaient séduire par les étalages et par les mille attraits de la ville.

Le tram n'attend pas, il faut se dépêcher; actuellement on quitte la ville beaucoup plus tôt.

Il en est en Hesbaye comme partout ailleurs: ce sont surtout ceux qui possèdent déjà quelque chose qui épargnent.

Le paysan hesbignon fait moins de placements chez les notaires depuis quelques krachs retentissants qui lui ont enlevé confiance; il a un livret d'épargne à la caisse d'épargne et de retraite, « à la poste », comme il dit, ou bien il laisse dormir ses épargnes dans un bas de laine; mais ce ne sont là que des placements provisoires: quand l'occasion s'en présente, l'argent servira à acheter de la terre.

Il se dit parfois que le paysan est avare: avare il l'est quand il s'agit de lui-même ou des membres de sa famille, quand il s'agit de dépenses pour la nourriture, l'hygiène et même pour le soin de sa santé.

Si on lui demande une aumône de dix centimes ou s'il lui faut faire un cadeau d'un franc, il y regardera à deux fois; il n'est pas avare quand il s'agit de donner un demi-pain, un morceau de lard, des pommes de terre, quand il peut faire le cadeau d'un morceau choisi du porc, en d'autres termes quand il donne de ce qu'il produit lui-même.

Les Hesbignons, nous dit encore Thomassin pour son époque, sont grossiers, peu polis et parfois brutaux.

En est-il encore ainsi?

Ce sont des gens de la campagne, et les campagnards n'ont généralement pas le vernis de politesse que possèdent les citadins de la même condition sociale.

Mais il faut bien le reconnaître: ils sont moins intelligents que les Campinois et ils sont surtout plus illettrés, allant moins longtemps et plus irrégulièrement en classe.

La culture des betteraves, qui, à bien des points de vue, comme nous le dirons ailleurs, a eu une si heureuse influence en Hesbaye, a rendu, quant à la fréquentation régulière de l'école, de très mauvais services.

La généralité des enfants va en classe, régulièrement pendant l'hiver, de la Toussaint à Pâques, mais à partir de Pâques l'école est désertée; les enfants des petits cultivateurs et des ouvriers, enfants de 8, de 9, de 10 ans, aident leurs parents aux champs ou sont même engagés comme force ouvrière: ils gardent le bétail, sont occupés au sarclage et au démariage des betteraves, au glanage, à la récolte des pommes de terre et des betteraves et à d'autres menus travaux de la ferme. Quand, vers la Toussaint, ces travaux sont terminés et que les enfants reviennent à l'école, ils ont oublié le peu qu'ils connaissaient et donnent parfois beaucoup de peine à l'instituteur, ayant appris aux champs des choses qu'ils ne devaient pas savoir et ayant acquis une allure trop libre.

Dans certaines communes, il existe une école d'adultes qui va plus ou moins bien, mais où ne paraissent généralement que ceux qui ont conservé quelques notions ou qui sont animés d'un grand désir d'apprendre.

C'est ainsi qu'on comprend ce que l'instituteur d'Orp-leGrand, commune de la partie hesbignonne du Brabant, touchant à la province de Liége et à quelques lieues seulement de la province de Namur, écrit dans les réponses au questionnaire qui furent exposées au dernier concours général agricole à Bruxelles. Nous avons copié ce passage de la réponse no 140. « Dans notre essai d'école d'adultes, nous avons été à mème de nous livrer à ce sujet (au sujet du degré d'instruction des campagnards) à une expérience très intéressante.

» Sur quarante élèves, et nous n'avions là dedans que les jeunes gens qui savaient lire et écrire, les autres (au moins 30% des jeunes gens du hameau où l'école était organisée) étaient illettrés et étaient, nous disaient-ils, honteux de venir afficher publiquement leur ignorance; sur quarante élèves donc, vingt-cinq à peine savaient effectuer une division de nombres entiers.

» Je n'en ai trouvé que quatre capables de faire un compte des betteraves livrées à la sucrerie ou de calculer le prix de l'engrais acheté.

» Dans une simple dictée de six lignes, le nombre des fautes variait de 20 à 90.

>> Un jour, nous leur fimes rédiger une lettre ayant pour objet une commande de marchandises; un autre jour, une lettre ayant pour objet une réclamation à faire à un fournisseur d'engrais et nous arrivâmes à ce résultat vraiment stupéfiant : >> Trente rédigèrent les lettres;

>> Quatre donnèrent des résultats passables;

>> Quatre, des rédactions défectueuses mais encore compréhensibles;

» Dix, des rédactions dont on pourrait parvenir à comprendre ou plutôt à deviner le sens après en avoir examiné plusieurs fois le contenu ;

» Huit, des rédactions n'ayant absolument aucun sens et tout à fait incompréhensibles pour celui qui recevrait la lettre. >> Dans beaucoup de communes, la situation, au point de vue de l'instruction, s'est améliorée ces dernières années; mais dans d'autres, elle s'est plutôt empirée depuis que plus d'ouvriers agricoles sont devenus petits cultivateurs.

Chez les ouvriers agricoles, le salaire de l'enfant est un appoint dans le budget familial; chez le petit cultivateur, l'aide de tous les membres de la famille, quelque jeunes qu'ils soient, est souvent nécessaire.

Il est à noter aussi que peu de fils de cultivateurs font des études moyennes et supérieures.

Les filles sont plus souvent envoyées au pensionnat.

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