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RAPPORT

SUR LES

TRAVAUX DE LA SECTION DES LETTRES

PAR

M. ÉMILE SOCARD

MEMBRE RÉSIDANT

MESSIEURS,

Chargé par la section des Lettres de vous rendre compte des travaux littéraires qu'elle a produits depuis votre dernière réunion générale, je vais vous en dire quelques mots le plus brièvement possible.

Divers travaux importants de philologie, d'érudition historique, d'histoire locale et de littérature proprement dite ont pris place dans les cinq volumes de vos Mémoires qui ont paru depuis le 27 décembre 1869. Et d'abord la philologie. M. d'Arbois de Juhainville, dans une Etude pertinente et consciencieuse, comme celles auxquelles il vous a habitués depuis longtemps, vous a fait parcourir les différentes transformations par lesquelles il a fallu passer pour arriver du latin lusciniolus au substantif français Rossignol. Au premier abord, on dit : c'est ingénieux! en suivant méthodiquement la marche de l'auteur, on dit : c'est savant!

Au mois de janvier dernier, vous avez voté l'impression d'un autre travail rempli d'érudition, où M. d'Arbois, à la suite de patientes investigations, vous a fait le récit des Migrations opérées par les premiers Indo-Européens. Tenant à la main le flambeau de la Philologie, il vous a montré leur berceau, signalé leurs usages et décrit leurs mœurs, leurs institutions, leurs croyances.

Vous rappellerai-je aussi son travail sur l'Homme des cavernes, qui paraîtra dans le volume de vos Mémoires, en 1875? Il faut lire cette étude tout à la fois savante, curieuse et attachante.

Des travaux philologiques de ce genre et d'autres plus élevés encore, sur les langues indo-européennes, sont sortis. de la plume de M. d'Arbois. Vous regretterez, comme moi, qu'ils ne soient pas encore plus nombreux dans vos Mémoires.

Dans les Académies de province, une pensée qui ne doit jamais abandonner les membres qui en font partie, c'est que l'intérêt local doit occuper le premier rang, et vous avez vu déjà, par les trois premiers rapports de mes honorables prédécesseurs, que l'Académie de l'Aube, tout en saluant au passage les conquêtes de la science dans toutes les contrées du monde, s'efforce de les appliquer au bien de son propre pays. Le sol est fouillé partout pour en arracher les secrets des anciennes époques; les meilleures méthodes de culture sont préconisées, adoptées, récompensées. Il faut donc aussi que l'Histoire recherche les faits qui ont surgi dans notre sphère départementale. C'est à cette tâche que s'est appliqué M. d'Arbois, en apportant Encore un mot sur la Bataille de Mauriacus, en 451, cette éternelle question du lieu de la défaite d'Attila, dont le dernier mot, malgré tout, n'est pas encore dit.

Mais de tous les membres de votre Société, celui qui, sans contredit, a le plus fait pour l'histoire locale, celui dont nous regrettons tous les jours la perte irréparable, c'est

l'auteur de l'Histoire de Troyes, M. Théophile Boutiot. Aucun volume de vos Mémoires n'est veuf d'une de ses productions. Il semble qu'aucune question ne lui soit étrangère. Je dis plus, il la traite en maître et ne laisse à dire que bien peu de chose après lui, sa plume est infatigable; pendant qu'il mène à bonne fin la publication de son plus important ouvrage, son Histoire de Troyes; qu'il met la dernière main à son Introduction au Dictionnaire topographique du département de l'Aube, il vous donne en même temps un grand et sérieux travail sur la Décentralisation administrative, qu'il intitule: Des Maires, des Echevinages et des Conseils de ville depuis le XII° siècle jusqu'en 1789. L'année suivante, M. le baron Pavée de Vendeuvre, ancien pair de France, vient à mourir. M. Boutiot, tout en faisant la Notice biographique du défunt, vous trace un tableau ressemblant des luttes électorales et politiques de 1820 à 1838, auxquelles M. de Vendeuvre prit une si large part. En 1872, une nouvelle Etude locale vous est apportée par M. Boutiol; ce sont des Recherches sur la Juridiction du roi, sur celle de l'évêque dans le bailliage de Troyes et sur les Coutumes de ce bailliage, travail de près de cent pages que lui seul pouvait traiter d'une manière aussi complète. Je ne vous parle pas des travaux envoyés par M. Boutiot à l'Annuaire de l'Aube, que vous dirigez, et à d'autres publications. Ce rapide exposé vous fait de nouveau comprendre l'étendue de la perte que vous avez éprouvée par la mort de l'honorable et savant M. Boutiot, perte que votre Société a déplorée en termes si touchants et si profondément sentis par l'organe de son vice-président, M. Gustave Laperouse.

Depuis sa dernière réunion générale, la section des Lettres de la Société Académique a fait une importante recrue dans la personne de M. l'abbé Charles Lalore, professeur de théologie au Grand-Séminaire.

Ce collègue ardent, lui aussi, a pris corps à corps l'étude

de l'histoire locale avec une énergie, une finesse de critique et une profondeur d'érudition que connaissaient presque seuls, autrefois, les savants Bénédictins. Sous le modeste titre de Documents pour servir à l'histoire des anciens seigneurs de Trainel, il nous donne un travail substantiel et complètement inédit sur cette maison, dont on trouvait à peine le nom cité dans les ouvrages imprimés jusqu'ici. Plus tard, en 1872, ce sont les Riceys, Riciacus, qu'il nous fait connaître, les chartes inédites à la main, construisant d'un côté, redressant de l'autre, renversant aussi les erreurs que certains auteurs avaient répétées les uns après les autres, sans recourir aux sources. L'année suivante, en 1873, c'est l'abbaye de Mores qu'il reconstitue, dont il donne le cartulaire retrouvé en copie par lui à la Bibliothèque nationale, et dont il reproduit le plan par terre. — L'année dernière, en 1874, c'est l'abbaye de Notre-Dame-aux-Nonnains de Troyes qu'il relève de ses ruines historiques, en remettant au jour ses chartes détruites en un jour d'incendie, mais dont il a été assez heureux, en cherchant, en fouillant bien entendu, de retrouver de précieuses copies. En 1875... mais je m'arrête, car les travaux de M. l'abbé Lalore se multiplient chaque jour, sans que cette incroyable fécondité nuise en rien à la solidité de ses œuvres. A votre prochaine réunion, vous aurez à les compter encore en plus grand nombre.

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Une autre précieuse recrue pour l'histoire locale, c'est l'auteur de l'Histoire de Troyes pendant la Révolution; M. Albert Babeau, qui, dans votre Société, a un pied dans la section des Arts dont il est membre, et l'autre dans la section des Lettres, par la nature de ses travaux. Déjà connu par un ouvrage antérieur, le Parlement de Paris à Troyes, M. Albert Babeau, depuis qu'il fait partie de la Société, vous a donné successivement l'Assemblée d'Election et le Bureau intermédiaire de Troyes, l'Assemblée d'Election de Barsur-Aube, deux travaux par lesquels il nous fait assister à la

transition du régime ancien au régime nouveau inauguré par la Révolution, et nous fait connaître, sur la situation administrative de ces deux localités, des détails entièrement inédits; La Construction de l'Hôtel Dieu de Troyes, où il nous instruit des phases diverses par lesquelles sont passés les projets et les plans de construction de cet utile établissement, les moyens employés pour arriver à la réussite, et enfin la réalisation de l'entreprise; - Des Lettres d'un député de la municipalité de Troyes à l'armée de Dumouriez, relation remplie de détails attachants sur les événements militaires de septembre 1792, époque à laquelle notre Champagne était menacée d'être prise par l'ennemi, si la victoire de Valmy n'était venue arrêter sa marche envahissante. - Tous ces travaux historiques de M. Albert Babeau sont écrits avec ce style sage et correct qui convient à l'histoire, qui n'a rien de froid, qui au contraire a quelque chose de vif et de mouvementé, quand le comporte le sujet.

Ce n'est pas seulement sur les champs de bataille que la funeste guerre de 1870-1871 a fait des victimes. Votre Société, Messieurs, à la suite des angoisses de toutes sortes, à la suite de ces hontes successives bues au calice d'amertume que tout bon Français a épuisé, a vu tomber dans ses rangs plusieurs de ses collègues les plus éminents: MM. Camusat de Vaugourdon, Schitz et Corrard de Breban. Votre président annuel, M. Le Brun-Dalbanne, a eu le triste privilége de vous faire leur nécrologic. Nul, mieux que lui, ne pouvait réussir à vous retracer aussi fidèlement et aussi élégamment à la fois, ces figures, ces caractères aimés que le temps ne saurait effacer de votre mémoire. C'est avec le même style, la même élégance et le même cœur, que, l'année suivante, en 1873, il vous adressait Un mot de souvenir sur M. Charles de Montaigu, un de vos membres correspondants. - Enfin, un affreux assassinat frappe un de vos collègues, M. le docteur Guichard; c'est encore M. Le BrunDalbanne que vous chargez de vous reproduire les traits de

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