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Durs crânes de héros ouverts à coups de haches,
Coupes aux bords rongés, crânes taillés en rond,
Crânes bruns et polis marbrés de blanches taches,
Partout des fronts entiers ou des débris de front!...
C'était une nuit jaune et comme on en rêve une
Quand on s'est endormi sur un conte persan :
Au loin l'ombre qui fuit et devant soi la lune
Flottant à l'horizon large comme un turban.

Les restes d'un Homère en langue gaëlique
Reposaient auraient dû plutôt, reposer là :
Barde qui jeune avait chanté la République,
Les prêtresses, les dieux, et vieux, Caligula.

Le poète donc se promène parmi ces débris. Il lui prend une fantaisie singulière, une fantaisie de poète en effet : Parmi tous ces crânes que le fer ramène à la lumière, quel serait bien le sien? Non, ce n'est pas ainsi qu'il parle : absorbé dans sa contemplation, il se croit mort déjà, il se cherche parmi ces morts: parmi ces crânes, quel est le sien? Avouez-le, Messieurs, c'est là une conception puissante, une conception qui certes n'est pas celle du premier venu. M. Pierre Lebrun et les sages poètes, les sages critiques de son école, M. Patin, M. Villemainje n'ai pour ces noms que des respects ne l'admettraient peut-être qu'avec répugnance; l'auteur de la Comédie de la Mort, le traducteur de Dante, Théophile Gautier, Antony Deschamps salueraient l'imagination vigoureuse où elle a germé; Lamartine fuirait peut-être, Hugo sourirait :

Or, dans ces lieux peuplés de sombre poésie,
A l'antique façon des illustres païens,
Son esprit libre errait. Il lui prit fantaisie,
Parmi ces ossements, de rechercher les siens.

Une par une alors il visita ces têtes,
Ainsi que pièce à pièce on visite un logis,
Mesurant le génie au nombre des tempêtes

Qui creusent leurs sillons dans ces murs élargis...

Ce crâne de marchand est encor plein d'ordures;
Ce front de proconsul n'avait point la hauteur;

› Ces tempes de savant étaient froides et dures;
› Pas de jour au cachot de ce gladiateur!

› Celui-là fut un prêtre; on logerait à l'aise
> Sous cette voûte, mais aucun moelleux contour;
› Le cerveau de ce sage était de molle glaise,

> Et le faux et le vrai s'y gravaient tour-à-tour. ›

Il est mécontent, le poète, il ne trouve nul crâne à sa guise; dans celui-ci, dans celui-là, dans tous, il serait mal à l'aise; il dédaignerait de loger dans ces crânes étroits, épais:

Ainsi que le bourdon cachant sa trompe avide

Sort avec bruit des fleurs qu'on touche un peu du doigt,
Ainsi l'esprit sortait de la demeure vide,

Qui semblait le blesser toujours par quelque endroit.
Non, décidément, aucun de ces crânes n'est le sien.
Il cherche encore :

Enfin il trouve un crâne à la puissante courbe,
Taillé dans du carrare, ayant encor ses dents :
Celui-là ne fut pas de la commune tourbe;
Entrons par l'œil ouvert visiter le dedans.

Ce crâne-là n'a pas appartenu à la vile multitude. Il est chez lui enfin, et nous entendons son cri d'exultation: Je suis chez moi !

« Je suis chez moi! Quel feu couva dans cette bombe!
› Chaque passion noble a creusé là son trou! >

Par malheur il a la parole, ce crâne vide :

Une voix en fureur lui cria de la tombe :
Ne raille pas, j'étais Ostricolor le fou! >>

Et ainsi le poète s'est satisfait lui-même; ainsi il a identifié ironiquement, comme c'était son vouloir et son propos, la poésie et la folie; Poesia, Pazzia.

Messieurs, il y a dans cette conclusion ironique une grande amertume, comme il règne dans toute la pièce un scepticisme glacial. Mais en somme, il y a là aussi une idée puissante, une originalité vraie et qui ne nous semble pas

cherchée ou je suis bien trompé, ou tous ces vers, frappés sur une enclume de fer, sont sortis, prêts pour la forge, de l'âme du poète.

Quelle décision porter sur cette œuvre - je ne rétracte pas ce mot dont j'ai pesé toute la valeur?

Votre Commission s'est trouvée partagée également : une partie de ses membres- votre rapporteur en était et s'en fait honneur sans se laisser toucher outre mesure par le mauvais goût, par le goût excessif plutôt, qui dépare quelques-uns des vers qui viennent de passer sous vos yeux j'ai tout reproduit, bond fide, sans passer un hémistiche aurait voulu vous proposer de décerner le prix de poésie à l'auteur; elle s'est émue du ton d'évidente sincérité qui règne dans ses vers, elle salue ce que n'ont pas souvent l'occasion de faire les Commissions académiques ni les Académies elles-mêmes-elle salue l'originalité saisissante de l'idée. L'autre moitié de la Commission, sans méconnaître cette originalité de la pensée, cette vigueur si remarquable de l'exécution, ces vers fortement frappés, a cru que le mauvais goût qui s'allie à cette vigueur sans la détruire, lui interdisait une décision aussi favorable; elle a pensé que l'insertion, intégrale ou partielle de la pièce dans le Rapport, serait une suffisante récompense : à vous de décider; vous avez la pièce à conviction sous les yeux; car l'auteur joue quelque peu le rôle d'un accusé qui demande son absolution.

Troyes, le 19 mai 1875.

UNE PAGE

DE

L'HISTOIRE DE SAINT-CYR

PAR

M. LE BRUN-DALBANNE

MEMBRE RÉSIDANT

Le dix-septième siècle a été le grand siècle de la France. Tout y est monté au ton d'une incomparable grandeur: institutions, souverain, hommes d'Etat et hommes de guerre, orateurs, écrivains, artistes et jusqu'aux femmes même, qui, touchées par l'esprit dominant, ont mis leur vive nature au service des idées régnantes, et par là se sont rendues illustres. C'est dans le théâtre que s'est montrée surtout leur influence; elles l'ont créé, elles l'ont inspiré, et si dans Chimène, Camille et Pauline, nous retrouvons les héroïques pensées de la France chevaleresque et chrétienne, est-ce que Bérénice, Monime, Andromaque, Iphigénie et Phèdre, ne nous disent rien d'Henriette d'Angleterre, de Marie de Mancini, de La Vallière, de Marie-Louise d'Orléans et de Champmeslé? Bérénice avait été l'expression la plus complète des sentiments les plus doux et les plus tendres, Phèdre celle des sentiments les plus fougueux et les plus irrésistibles, Racine crut qu'il ne s'élèverait jamais plus

haut, et au moment même où Phèdre venait de sortir toute enflammée de son cœur, il voulut en apaiser l'ardeur en se faisant chartreux, afin de ne le laisser plus brûler que pour Dieu. Heureusement qu'un ami l'arrêta. Catherine de Romanet devint sa madame de Maintenon et sut le faire vivre, tout aux soins de ses enfants et à Dieu, « qu'il aima dès lors, » dit Madame de Sévigné, comme il avait aimé ses maî>> tresses. » Mot profond et charmant de celle qui ne peignit pas seulement le siècle de Louis XIV, mais dont les lettres sont tout le siècle lui-même.

Et puisque nous avons nommé Mme de Maintenon, pourquoi ne dirions-nous pas que c'est à son heureuse influence que nous devons deux des plus purs chefs-d'œuvre de la scène française, Esther et Athalie?

Il y avait trois ans déjà que la maison de Saint-Cyr avait été fondée dans le but d'élever et de pourvoir les jeunes filles des familles nobles, devenues pauvres. Mme de Maintenon qui, de concert avec Mme de Brinon, avait rédigé les constitutions, voulait que ces jeunes filles fussent élevées sans minuties ni inutilités, sans dévotion étroite et fâcheuse, sans rigueurs et répréhensions vulgaires. On se proposait de leur apprendre à écrire de ce style noble et galant que Voiture et Balzac avaient mis à la mode. Elles ne devaient s'entretenir que de choses de l'esprit et de sujets élevés. Il fallait que leur tenue fût distinguée, afin de développer chez elles la grâce, qui n'est pas incompatible avec la modestie. On ne dédaignait pas leur beauté, « qui est aussi, disait Mme de Maintenon, un don de Dieu. » On leur permettait quelque recherche et d'innocents caprices dans leur toilette. La parure ne leur était pas interdite, pas plus que les rubans à leurs robes et les perles dans leurs cheveux. Mme de Maintenon aimait à les voir belles, parées, un peu coquettes même en souvenir de ces hôtels d'Albret et de Richelieu, qui avaient accueilli autrefois sa jeunesse abandonnée et dépourvue.

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