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réunir des vocabulaires, que les missionnaires rédigèrent des grammaires, et qu'à l'aide de ces matériaux les philosophes bâtirent des systèmes sur l'origine des différens peuples et sur leurs affinités. L'ethnographie une fois débrouillée, on put songer à en faire l'application à la géographie.

On reconnut qu'après les divisions physiques, qui sont les seules naturelles et les plus importantes de toutes, il n'y en a pas qui doivent être préférées à celles qui résultent des ressemblances et des dissemblances entre les idiomes.

Moins stables, sans doute, que les divisions physiques, elles le sont beaucoup plus que les divisions politiques et administratives. Des siècles suffisent à peine pour changer la langue d'un pays; il ne faut au contraire qu'une guerre, un traité de paix, d'échange ou de vente, pour donner à une province de nouveaux maîtres. Mais, en cessant d'être concitoyens, ont-ils cessé d'être compatriotes ces hommes que le langage unit par des noeuds permanens? Dira-t-on que les habitans de l'île de France ont cessé d'être Français depuis que leur ile a repris officiellemment le nom d'île Maurice? L'exemple du Canada prouve que soixante années et plus sont un laps de temps insuffisant pour effacer la ligne de démarcation tracée par la différence des langues.

L'homoglottie, pour parler avec les Grecs, est un lien social d'une plus grande valeur que l'homonomie, l'homosebasie, l'homochtonie, l'homoéidie, et même l'homochromie, c'est-à-dire plus puissant que la réu

nion des hommes sous les mêmes lois, dans le même culte, dans le même pays, et même que la similitude dans la configuration, dans les traits du visage et dans la couleur.

Les descendans des colons anglais de la NouvelleAngleterre et ceux des colons français de la Louisiane sont devenus homonomes; mais ils ne sont pas et ne, deviendront probablement point homoglottes.

Je ne fais qu'indiquer ici cette nomenclature, sans espérer de la voir adopter, si ce n'est peut-être par le petit nombre de ceux qui aiment les idées distinctes et les termes qui renferment en eux-mêmes leur définition.

Dans le mémoire suivant, je cherche à énumérer les Français, non pas homonomes, non pas même homoéïdes, mais homoglottes; et j'indique les limites géographiques dans lesquelles se renferme la langue française, considérée comme langue maternelle de la majeure partie des habitans de chaque contrée.

Les limites politiques de la France comprennent les hommes qui parlent breton, une partie de ceux qui parlent basque, une partie de ceux qui parlent allemand, et une partie de ceux qui parlent flamand.

Le royaume de France a aussi une province (le Roussillon) où l'on parle une des langues de l'Espagne (le catalan); mais il n'en a point qui soit de

langue castillane ni de langue italienne, si ce n'est la Corse, qui est séparée de la France continentale. Nous reviendrons sur cet objet.

Il y a, au surplus, une distinction essentielle à faire, quant aux limites de la langue française, entre les langues dérivées du latin et celles qui ont une autre origine.

Le voyageur passe d'un village français à un village flamand, allemand, basque on de langue bretonne, sans observer de nuances intermédiaires. La transition est brusque et tranchée. A la vérité le dernier village de langue française ne parle pas un français correct, ni le premier village de la langue allemande un bon allemand; mais c'est plutôt parce qu'ils sont placés l'un et l'autre à l'extrémité des rayons de leurs langues respectives, que par l'effet d'un mélange des deux idiomes.

Il n'en est pas ainsi lorsqu'on passe d'un pays de langue française à un pays de langue italienne, ou espagnole : ce n'est plus alors une ligne tranchée qu'on franchit, mais une bande plus ou moins large, où le type de la langue française, déjà altéré à mesure qu'on approche des frontières, par l'effet des divers patois, continue à changer plus ou moins rapidement, toujours par une succession de nuances à peine sensibles. C'est ainsi que l'italien succède peu à peu au provençal, et le castillan au gascon. Quant au dialecte catalan, lequel s'étend le long de la Méditerranée, à travers le royaume de Valence, jusque dans les îles de Mayorque, Minorque et Ivica, il diffère à tel point

du castillan, et se rapproche tellement au contraire, par ses caractères principaux, des dialectes du midi de la France, qu'il serait peut-être plus exact de le rapporter au français qu'à l'espagnol. Les Catalans et les Valenciens regardent eux-mêmes cette affinité de leur langage comme tellement avérée, qu'ils ne le nomment jamais autrement que langue lémosine. M. Raynouard, dans l'introduction de son ouvrage sur les Troubadours, cite un passage de l'Histoire de Valence, par Escolano, où cet auteur dit formellement que le catalan est l'ancien langage de la Provence, du Languedoc et de la Guienne. Il faut donc comprendre dans le domaine de la langue française les pays où se parle le catalan, ou bien il faudrait en retrancher tout ce qu'il y a en France de provinces de langue romane, ce qui restreindrait le français proprement dit à la partie septentrionale du royaume.

C'est aussi par nuances que le français se confond avec l'italien. Ce qui est fort remarquable, c'est que le dialecte italien du Frioul, quoique ce pays soit fort loin de nos frontières, ressemble plus au français qu'aucun des dialectes intermédiaires. J'ai reçu d'Udine des poésies fourlanes, d'un comte Colloredo, imprimées en 1785. On y trouve (tom. II, p. 129) des scènes traduites du Médecin malgré lui, où cette ressemblance avec le français est évidente.

Nous avons dit plus haut que le français et l'allemand ne se sont pas mélangés sensiblement sur leurs frontières respectives; il n'en a pas été absolument de même de l'italien par rapport à l'allemand.

La langue que parle la moitié environ des habitans du canton des Grisons, incorporés aujourd'hui à la Suisse, langue dont on distingue deux dialectes, le rumonsch et le ladine, n'est en plus grande partie qu'un mélange de mots dérivés du teuton et du latin. C'est ce caractère surtout qui ne nous permet pas de comprendre cette langue parmi les dialectes du français. Il en doit être de même des patois de quelques parties du Tyrol méridional, et des évêchés de Trente et de Brixen, notamment du langage des vallées de Fossa, Livinalong, Enneberg, Altey et Gardena, ainsi que j'ai pu en juger d'après les échantillons que m'envoya, en 1810, un général qui commandait dans ce pays. De ces patois, celui de Gardena serait encore le plus approchant du français.

Je n'oserais pas non plus rapporter au français, comme sous-espèce, la langue des Valaques et des Moldaves (lingua daco-romana), parce que, bien que dérivée du latin ainsi que la nôtre, et comme l'italien, le rumonsch, le catalan, le castillan et le portugais, et pouvant être appelée la septième fille de la langue latine, et bien encore qu'elle ressemble à quelques égards au français, notamment dans la manière dont elle tronque les mots (1), cette langue valaque diffère de la nôtre en beaucoup de points sentiels, par exemple en ce qu'elle met l'article après

es

(1) Exemple: Io cant, Je chante.

Io cerce, Je cherche, etc.

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