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La traduction catalane du fameux roman de Parthenopex de Blois parut sur la fin du même siècle et mérita d'être distinguée des traductions castillane et italienne, par le mérite particulier du style et la naïveté du récit (45).

Enfin deux autres juglars, Formit, de Perpignan, et Bistorts, de Roussillon, appartiennent encore à ce siècle (46); et quoique leurs ouvrages ne soient point parvenus jusqu'à nous, il est constant que ces deux poètes jouissaient d'une grande réputation.

Le comte de Provence, Raymond Bérenger II, avait, antérieurement à quelques uns de ces derniers écrivains, inspiré le goût de la poésie catalane à l'empereur Frédéric I. Celui-ci lui fit un accueil très-distingué à Turin, l'an 1162, soit qu'il fût sensible à la démarche qu'il venait de faire, soit plutôt qu'il voulût honorer dans le nevcu, les talens distingués et les exploits du comte de Barcelonne, son oncle. Raymond, reconnaissant de l'accueil, donna à l'empereur le spectacle, inconnu pour lui, d'entendre des juglars chanter avec grâce quelques romances, en s'accompagnant

(45) Le manuscrit de ce roman, qui fait honneur aux Trouvères du commencement du 13° siècle, fait partie de la riche collection de manuscrits de la bibliothèque du Roi, à Paris. Il existe un grand nombre d'exemplaires imprimés de la traduction catalane de ce roman, chez les cultivateurs des hautes vallées de la Catalogne; ils ont pour titre : Assi comensa la general historia del esforsat cavaller Purtinobles, compte de Bles: y uprès fonch Emperador de Constantinople (46) A. De Laborde: t. 5, p, 231.

de la guitarre ou de la mandore. Ces jeux paisibles séduisirent Frédéric. Il voulut à son tour rimer quelques vers; et il fit, dit-on, le madrigal suivant (47) :

Plasmi cavalier Francéz

E la dona Catalana.

E l'ouvrar de Ginoéz

E la cour de Kastellana

Lou cantar Provençaléz

1

E la danza Trevisana.

E lou corps Aragonéz,

E la perla Juliana.
Las mans é cara d'Angléz
E lou donzel de Toscana.

Ainsi donc la langue catalane, naturalisée en Pro- . vence et accueillie à la cour de l'empereur Frédéric I (II d'Allemagne ), suivit ce prince à la cour de Sicile (47 bis). Elle fut portée à Naples, sous Charles d'Anjou, frère de St-Louis. Ce prince avait été élevé à la cour de Raymond Bérenger V, comte de Provence, auquel il succéda (en 1245), après son mariage avec la princesse Béatrix, héritière dudit comte. Charles aimait la poésie, qu'il avait vu honorée à la cour de son beau-père, et il la cultiva avec succès. Le catalan était sa langue d'affection, et il la rendit usuelle à Naples lorsqu'il en eut fait la conquête, comme elle l'était déjà en Sicile, depuis que l'empereur Frédéric en était le maître. Deux princes étrangers exercèrent donc assez d'influence sur leurs nouveaux états, pour faire accueillir une langue étrangère, et lui faire donner une

(47) Crescimbeni : Vite de poeti Provenz., p. 15.

(47 bis) Les écrivains siciliens soumirent les rimes aux règles que les provençaux avaient inventées.

A. de Sayve: voyage en Sicile, t. 2

, P. 321.

sorte de préférence sur l'italien, qui, à cette époque, était une langue presque formée. A Naples, les poètes s'efforcèrent de rivaliser avec les trouvères, dont ils empruntaient l'idiome, et ils furent quelquefois assez heureux pour imiter toute la grâce et la naïveté de leurs trobas.

Parmi les nobles Catalans et Provençaux qui accompagnèrent à Naples le duc d'Anjou, on cite surtout Guillaume, vicomte de Berga, fameux juglar, dont les poésies sont précieusement conservées dans les antiques archives de la bibliothèque du Vatican (48). L'illustration de sa famille, à laquelle Guillaume contribua beaucoup, a été plus tard l'objet d'un petit poème catalan, qui fait partie du précieux recueil de poésies du Curé de Vallfogona.

Le goût de la poésie catalane avait donc fait des progrès rapides, principalement au commencement du 13' siécle, malgré les troubles politiques qui désolèrent le midi de l'Europe. Il y avait des juglars, nonseulement dans les camps et parmi les Croisés, mais encore dans la plupart des villes, et jusques dans les plus petits châteaux. Ils s'attachaient au prince, dont ils chantaient les exploits; devenaient les amis des barons qui les avaient guidés au combat, après avoir protégé leur enfance, et se déclaraient, par reconnaissance, et quelquefois entrainés par un sentiment plus tendre, les serviteurs des nobles châtelaines. Ce doux servage, qui développa tant de talens, et auquel il

(48) Gravina: Della Ragion, poet., lib. 1, cap. 7.

faut attribuer quelques-unes des réputations poétiques du siècle, fut aussi, pour d'autres, la cause des plus grandes infortunes. Quelques juglars trahis dans leurs espérances ou rebutés par la dame de leurs pensées, allaient chercher dans les croisades, l'oubli de leurs peines, et le plus souvent une mort glorieuse. D'autres sans quitter le sol de la patrie, se rangeaient sous les bannières des rois d'Aragon, et trahis aussi par la fortune, ils devenaient les esclaves des Maures, lorsque peutêtre des exploits dignes d'un meilleur sort leur faisaient concevoir de plus douces espérances. Mais parmi ceux qui, sur la fin du siécle précédent, acquirent un grand renom, par leur talent poétique et par leurs infortunes, et que par ce motif nous avons classés à la fin de cette époque remarquable, le plus illustre, sans contredit, est Guillaume de Cabestany. Le manoir de ses ancètres était dans le voisinage de cet antique château de Roussillon qui, bâti sur les ruines d'une grande ville, était devenu, sous le régime féodal, le patrimoine du plus puissant seigneur de la contrée. Guillaume fut admis, dès l'enfance (49), dans le castel du baron Raymond et son éducation fut celle d'un futur chevalier Raymond jouissait, à la cour d'Aragon, d'une haute réputation militaire; aussi, plus amoureux de combats que des plaisirs de la vie privée, il ne quittait guère les camps, que pour venir apposer le pommeau de son épée sur les actes consentis par son su

(49) Qu'ieu fui noyritz enfans, per far vostres comans.

zerain, ou sur les concessions religieuses si multipliées dans ces siècles d'ignorance. Tricline, son épouse, éprouvait donc tous les ennuis du veuvage, dans un âge digne d'une plus belle destinée. Guillaume eut le malheur de deviner ses ennuis, et il ne fut que trop habile à les exprimer dans des coplas où respirait unc tendre mélancolie. L'accueil qu'elles reçurent de la belle châtelaine, l'intérêt qu'elle accorda au sensible juglar, inspirèrent un sentiment plus tendre, que la solitude, l'abandon du Baron, et le talent distingué de Guillaume firent bientôt partager à Tricline. Le secret de leurs amours resta long-temps enseveli dans l'enceinte du castel; mais il finit par transpirer dans des coplas amoureuses, qu'une poésie gracieuse et un chant facile rendirent bientôt populaires. Raimond n'en fut que trop bien instruit ; et son cœur, jusqu'alors étranger à l'amour, ouvrit à la plus implacable des passions. Cependant Cabestany avait déserté le castel, et s'était retiré dans le manoir de ses ancêtres. Ce voisinage vint encore ajouter, s'il était possible, à la jalousie de Raymond. Il épiait depuis long-temps le jour de la vengeance; il savait que son rival avait osé paraître dans les ravins qui servirent autrefois de fossés à l'antique Ruscino. Sa destinée l'y ramena et le fit succomber sous le glaive de celui qu'il avait offensé. Le soir, lorsque le Baron parut dans la salle du banquet, ses regards sombres, son attitude concentrée, excitèrent de nouvelles alarmes dans le cœur de la belle châtelaine. Elle interroge en vain des

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