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justice du roi contre l'innocence d'une jeune fille. On peut le dire, même à propos de Geneviève et du baron de Besenval: Ce ne sont pas les rois... ce sont les royalistes qui perdent les royautés ! »

Et Pierrot? demanda Camille Desmoulins.

Il est devenu plus tard un aide du bourreau de Paris, sans doute afin d'assister encore à la vengeance du peuple contre la noblesse. Je l'ai vu bien des fois dans l'exercice de ses sanglantes fonctions, et demain peut-être tu pourras le voir et lui parler de près, à ton tour!

Telle fut, nous a-t-on dit, la dernière nuit, la nuit suprême de Fabre d'Églantine et de Camille Desmoulins, dans la prison du Luxembourg. Le 5 avril 1794, les deux amis se trouvèrent de nouveau côte à côte sur la charrette qui les portait au supplice...

Fabre! balbutia Camille, en touchant aux premières marches de l'échafaud, où est donc Pierrot Dubourg?

Le voilà, murmura le poëte... il nous regarde!

Pierrot! reprit Camille Desmoulins en s'adressant à un aide

de l'exécuteur, qu'as-tu fait de Geneviève?

A cette singulière question, en un pareil lieu, dans de pareilles circonstances, Pierrot se troubla tout à coup, et il devint pâle; une larme glissa sur sa joue flétrie, et le malheureux répondit à voix basse :

Elle était la courtisane d'un aristocrate: elle est morte avec la Dubarry! >>>

Nous avons donné, dans un de nos précédents chapitres, la nomenclature des maisons d'arrêt de Paris, pendant le règne de la terreur: au nombre des prisons instituées spécialement pour les besoins trop nombreux de la justice révolutionnaire, se trouvaient bien près l'une de l'autre la prison du Luxembourg, la prison de la Caserne-Vaugirard, et la prison des Carmes, que les massacres de septembre recommandent tout d'abord à notre plus triste attention.

Les moines, attachés à l'ordre des carmes, jouent un grand rôle dans notre histoire politique et religieuse. Partout où les opinions out besoin d'appeler à leur aide l'éloquence et la résolution du fanatisme, elles peuvent compter sur le langage mystique et sur le zèle extravagant des carmes. Ce fut un carme qui souffla dans Paris, sur le théâtre de la Ligue, les inspirations les plus sombres, les plus ridicules ou les plus odieuses; ce fut un carme qui exalta, du haut de la chaire, le courage chrétien de l'assassin de Henri III.

Au dix-huitième siècle, les carmes se mêlent au monde de la noblesse, de la finance et de la royauté. Ils s'émancipent, en entendant le dernier soupir de Louis XIV, et ils n'attendent même pas, pour jeter le froc aux orties, la mort édifiante de madame de Maintenon. Ils président aussitôt à une déplorable réaction dans les mœurs religieuses, et ils enseignent aux premiers roués de la régence l'art de corrompre les mœurs publiques. Les carmes de cette époque raffolent de tout ce qui plaît aux riches, aux heureux de la terre, et ils se prennent gaiement à courir après la fortune, après le bonheur, au risque d'aller se perdre dans un abîme, avec l'Église, avec la noblesse, avec la royauté!... Par quelle fatalité de l'histoire, par quelle mystérieuse logique, faut-il que les massacres du mois de septembre commencent précisément dans l'ancienne demeure de ces moines fanatiques, dissipés, prodigues, égoïstes et vicieux!

Nous avons déjà dit, en peu de mots, à propos de la prison de la Force, quel était au mois d'août 1792 l'état des esprits révolutionnaires à Paris et dans toute la France; certes! les journées de septembre sont un des épisodes les plus tristes de la révolution française... Mais, songez donc que l'ennemi était à nos portes, avec une émigration royaliste dans ses bagages; songez donc qu'il ne s'agissait plus que de sauver la patrie à tout prix; songez donc que l'on avait crié vingt fois au peuple, prêt à marcher vers la frontière, de ne point laisser derrière lui des ennemis cachés qui voulaient tuer les femmes et les enfants; songez donc que l'on entendait encore l'insolent écho du manifeste du duc de Brunswick; songez donc que les prisonniers trouvaient le moyen de conspirer avec les adversaires de la république; songez donc que les girondins eux-mêmes effrayaient chaque jour Paris et la France tout entière, en parlant de la coalition étrangère qui s'avançait, de la famine qui était imminente, du châtiment impitoyable qui nous attendait peut-être sur les ruines de la cité... Et vous comprendrez à la fin, à votre grande douleur, que le peuple ait eu le triste courage de réaliser, dans un accès de désespoir et de colère, ces provoquantes paroles de Danton : Il faut terrifier les royalistes! Nous empruntons le récit des massacres de septembre, dans ce qu'il a de particulier à la maison des Carmes, à un ouvrage de M. Barthélemi Maurice, que nous ne saurions trop vivement recommander':

« Le catholicisme, encore qu'ébranlé, n'était pas proscrit, persécuté, comme il le fut depuis. Le repos du dimanche, naguère ordonné par la loi, était resté dans les mœurs; le peuple ne travaillait donc pas le dimanche 2, et comme le temps était beau, circonstance toujours si importante dans les événements dont Paris est le théâtre, il était presque tout entier dans les rues. D'ailleurs, d'étranges spectacles l'y attiraient : le drapean rouge flottait à l'hôtel de ville et à la porte des quarante-huit sections; des échafauds ornés de feuillages s'élevaient dans tous les carrefours, sur toutes les places publiques, et des commissaires y recevaient l'engagement des soixante mille Parisiens qui allaient, dès le lendemain, partir pour la frontière; de deux en deux minutes, le canon d'alarme tonnait pour annoncer le danger de la patrie.

« En ce moment, quatre fiacres partant de la commune, longeaient les quais, se rendant à l'Abbaye, sous l'escorte des fédérés marseillais. Les quatre fiacres renfermaient vingt-quatre prêtres insermentés, précédemment arrêtés aux barrières, et destinés à la déportation. Le peuple s'enquit de ce qu'étaient ces prisonniers, et ceux-là même qui les escortaient répondirent: «Ce sont des aristocrates, des scélérats, des traîtres, des hommes qui se vantent qu'ils égorgeront vos femmes et vos enfants, quand vous serez partis pour aller combattre les tyrans, les Prussiens et les émigrés. » Jugez des cris de mort, des injures que le peuple dut pousser contre ces pauvres prêtres! Ceux-ci voulurent lever les glaces de leurs voitures; l'escorte s'y opposa, et affecta de ralentir

Histoire politique des Prisons de la Seine. 1840.

le pas, à mesure que le danger devenait plus imminent. C'est alors que, fou de douleur ou de crainte, un des prètres que renfermait la dernière voiture, passant le bras par la portière, porta un coup de canne sur la tête d'un fédéré; celui-ci, montant sur le marchepied, lui passa trois fois son sabre dans le corps, et ses compagnons l'imitant, il ne resta dans cette voiture que des cadavres.

« Arrivés devant la porte de l'Abbaye, non pas la grande porte de la prison actuelle, mais une petite porte basse donnant sur la rue Sainte-Marguerite, que l'on a murée depuis, mais que l'on distingue encore presque sous la tourelle, les malheureux prêtres veulent se jeter dans le comité civil... deux sont massacrés avant d'y parvenir, dix le sont dans l'enceinte même du comité, et l'horloger Monnot sauve à grand'peine l'abbé Sicard et deux de ses compagnons d'infortune.

<< C'est alors que paraît Billaud-Varennes, substitut du procureur de la commune, et que, revêtu qu'il était de l'écharpe municipale, il prononce ces odieuses paroles: «Peuple, tu immoles tes ennemis... tu fais ton devoir! Une voix plus terrible encore lui répond, c'est celle de Maillard: «Il n'y a plus rien à faire ici; allons aux Carmes ! » - Et la foule y court sur ses pas. Ce n'était encore qu'aux prêtres qu'on en voulait ; Maillard ignorait donc que l'Abbaye en renfermait trente qui y avaient été écroués la

veille.

<< Nous n'avons plus les registres des Carmes; peut-être même n'a-t-il jamais existé que des listes ou feuilles volantes d'appel. M. Thiers porte au chiffre rond de 200 le nombre des ecclésiastiques qui y furent égorgés; Peltier dit 252; Roch Mercandier, 244 ; MM. Berville et Barrière, 2,313. Ce dernier chiffre, publié en 1826, ne demande pas une rectification sérieuse. Ce qui est certain, c'est qu'il n'y eut pas là l'ombre même d'un jugement ou d'un tribunal; ce fut une horrible boucherie de deux cents hommes au moins, qui n'essayèrent pas de résister; on les tua à coups de fusil dans le jardin, sur les arbres, sur les murs; puis on continua à coups de sabre et de baïonnette, par égard pour les citoyennes du quartier, que tant de bruit alarmait. Notez qu'au dire de Peltier, la gendarmerie à pied qui gardait les prisonniers était aussi nombreuse que les assassins, et que, suivant Mercandier, pendant cette horrible exécution, trois cents hommes faisaient tranquillement l'exercice dans le jardin du Luxembourg. On avait commencé par demander collectivement à tous les prètres, et on demanda individuellement à presque tous, s'ils consentaient à prêter le serment prescrit par la loi; ils s'y étaient refusés: Potius mori quàm fædari ! Cette réponse est grande et belle.

<< Un petit nombre se sauva en escaladant le mur de la rue Cassette ou celui qui les séparait des jardins voisins. Six ou sept, qui étaient parvenus à se cacher dans une petite chambre et dans des latrines, s'échappèrent le lendemain sans rencontrer aucun obstacle. Les plus distingués entre ces malheureuses victimes sont: l'archevêque d'Arles, les évêques de Beauvais et de Saintes, et François-Louis Hébert, général des eudistes et confesseur du roi. >>>

La vieillesse et les infirmités ne trouvaient point de grâce devant cette terrible justice du peuple. L'évêque de Saintes, un pauvre paralytique, était presque étendu sur le carreau: deux hommes prirent la peine de le soulever; ils le portèrent jusqu'au bas de l'escalier; ils le portèrent encore dans le jardin... et au moment où le prêtre allait remercier ces deux hommes, on le tua!

A la prison des Carmes, on exécuta les prisonniers sans autre forme de procès; le peuple ne songeait encore qu'à frapper: des prétres ne valaient, à ses yeux, que la peine qu'il faut prendre pour tuer un homme. Dans d'autres prisons, à Bicêtre, à l'Abbaye, à la Force, le peuple imagine une sorte de tribunal: il accuse, il interroge, il juge; ses prisonniers ne sont que des justiciables; et nous verrons plus tard le tribunal des septembriseurs absoudre des innocents et peut-être des coupables.

Les municipalités de France reçurent au mois de septembre, très-peu de jours après les massacres, la circulaire suivante :

<< La commune de Paris se hâte d'informer tous les départements << qu'une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons « a été mise à mort par le peuple, acte de justice qui lui a paru << indispensable pour retenir par la terreur les légions de traîtres

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