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à la Royne, que par le moyen d'aucuns de leurs serviteurs qui les exhortoyent à une bonne réconciliation, ils se pourroyent si bien accorder ensemble que finalement elle en payeroit les despens. Mais si on espluche de plus près le tout, il y a manifeste apparence que c'estoit une querelle d'Aleman dressée contre ceux de Montmorency; car tout soudain Vantabran gaigna la garderobbe du Roy, et couroit un bruit qu'il avoit confessé que le mareschal de Montmorency luy avoit donné charge de tuer le duc de Guyse, mais que depuis il s'en estoit desdit, à la recerche et poursuite que ledit sieur mareschal luy en fit de dire la vérité, et ce en présence du Roy.

Le mareschal de Montmorency, pénétrant à travers ce faict, s'avisa de demander et poursuyvre que justice fust faite de Vantabran pour ce que s'il venoit d'autre part que de la Royne mère (comme on disoit que le duc de Guise, par le conseil de son oncle, l'avoit ainsi dressé, pour faire deux coups sur ceux de Montmorency), elle le feroit pendre incontinent, comme l'acte et le respect de la maison du Roy le commandoit; et si elle n'en faisoit faire justice, c'estoit un évident tesmoignage qu'elle avoit dressé la partie. Or, quelque poursuite que le mareschal de Montmorency en sceust faire, il n'en avintautre chose, sinon que Vantabran fut mis prisonnier, et eslargy deux jours après; au moyen dequoy le mareschal, trouvant que ce luy estoit une suffisante excuse pour se retirer de la cour, ne faillit de s'en prévaloir et demander congé, qui luy fut ottroyé par le Roy, induit à ce faire par sa mère, laquelle craignoit bien que les intéressez en ceste furie neluyen jouassent quelque mauvais tour. Si le mareschal de Montmorency eust fait son profit de cest accident, luy et d'autres s'en fussent mieux trouvez;

mais estant par infinies fois sollicité et importuné de retourner, tantost par l'amiral de Villards, son oncle (que l'on avoit fait venir avant que la cour vinst à Sainct-Germain), lequel ne savoit pas la menée, tantost par sa mère, puis par sa femme, quelquesfois par l'évesque d'Auxerre, il fut contraint se mettre au hazard et monstrer qu'il ne craignoit rien pour obéir et faire service au Roy. Cyaprès nous descrirons son emprisonnement bien au long, avec celui du mareschal de Cossé.

Quelques jours après, on est adverty que deux ou trois cens chevaux estoyent à douze ou quinze lieues de là. Cela avint sur la fin de février 1574; et quant aux occasions, elles seront amplement déduites cy-après aux interrogatoires du duc d'Alençon, du Roi de Navarre, de la Mole, Coconnas, Tourtay et autres prisonniers. Cependant les plus cler-voyans, quoyqu'ils n'entendissent tout, jugeoyent que le duc d'Alençon avoit fait assembler ceste troupe avec résolution de s'en aller avec eux et se retirer de la cour, voyant la manifeste desfiance qu'on avoit de luy, et par conséquent le danger évident où il estoit de sa personne, joint le grand bruit, qui couroit à Paris et à la cour, jusques aux pages et aux laquais, qu'on devoit bientost faire à Sainct-Germain une autre journée de Sainct-Barthélemy. Mais la Royne mère et ses conseillers prenans cela à leur avantage, et bien joyeux de telle occasion, qu'ils firent bien servir depuis à la confirmation de ce qu'ils voulurent imposer au duc d'Alençon et au Roy de Navarre, afin de leur oster tout maniement et les tenir à leur mercy, disent et publient que c'estoyent des gens assemblez en armes pour venir tuer le Roy, sa mère et son conseil. Pour rendre cela plus croyable, tous (hors mis le Roy qui fut persuadé par aucuns de ne bouger) des logent à grand'haste de Sainct

Germain, depuis les neuf heures du soir jusqu'à la minuict, , vers Paris, les uns par les bacs et les autres par le costé de Sainct-Cloud, les uns à cheval, la pluspart à pied, quelque qualité et grandeur qu'il

y y eust eust en en leurs uns sans bottes

onnes, et plusieurs rencontrez les les autres sans chausses, et les autres sans souliers; sortant tout cela de la chaude alarme que les instrumens du conseil secret donnèrent de ladite assemblée à l'effet dessus dit, afin que ceux de Paris fussent tant mieux disposez à recevoir tout ce qu'on voudroit imputer au duc d'Alençon et au Roi de Navarre.

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Or, faut-il noter que le duc d'Alençon estoit aucunement résolu de sortir et emmener le Roy de Navarre, et que ceste troupe de chevaux venoit pour l'accompagner ès lieux assignez, comme nous le verrons plus amplement tantost. Mais voyant que cela seroit hazardeux en l'exécution, tout perplex demanda à la Mole, qui le gouvernoit, comment il se faloit conduire en cest affaire. L'autre luy conseilla d'avertir promptement le Roy son frère et sa mère, comme toutes choses passoyent; ce qui fut fait, et est la cause pour laquelle le Roy demeura là, entendant bien l'occasion. Néantmoins la Royne mère visant plus loin, se voulant asseurer du duc, son fils, et du Roy de Navarre, son gendre, et toute esjouie d'avoir telle barre sur eux, leur dit que tout le passé seroit oublié et qu'à l'avenir tous vescussent en paix. Le Roy aussi protesta à son frère et beau-frère que de cela ne seroit rien, non plus que s'il n'en estoit rien avenu. Cependant la Royne mère desloge, afin d'estraindre plus fort ce nœud, et marche toute nuict; finalement se loge aux fauxbourgs Sainct-Honoré, au logis du mareschal de

Rets.

Le reste de la cour, arrivant ainsi en tumulte et si tard,

fit croire aux Parisiens tout ce que le conseil secret youloit; mais plusieurs ne voyoyent aucune apparence en ceste entreprise, qu'on disoit avoir esté dressée par le duc d'Alençon et le Roy de Navarre contre le Roy, et ce pour diverses raisons. Premièrement, on considéroit la force et l'assiette du chasteau de Sainct-Germain, qui est telle que trente mille hommes ne le sçauroyent prendre sans canon; en second lieu, il y avoit des gens de pied, tant François que Suisses, bien armez, en nombre de plus de quinze cens; les archez de la garde du Roy, sa garde d'Escossois, sa garde ordinaire de Suysses, la garde de la Royne mère, la bonne compagnie de gentilshommes amenez par le duc de Lorraine, ceux du cardinal de Lorraine, des ducs de Guise, d'Aumale et autres de ceste maison, tenue ennemie du duc d'Alençon et du Roy de Navarre, faisoit nombre en tout de plus de trois mil hommes, outre tout le demeurant de la cour, composé de gens au commandement de la Royne mère et de ses officiers. Il n'y avoit pour lors de gens suspects que le sieur de Thoré et le vicomte de Turaine, bien petitement suyvis. On regardoit aussi, en troisiesme lieu, que si le chancelier Birague, homme fin et forgeur de cautèles, n'eust esté asseuré que ceste alarme estoit fausse, et s'il eust sceu que ces gens de cheval eussent deu venir exécuter une si malheureuse entreprise, il n'eust pas esté si fol, ni autres du conseil, de s'enfuir par le chemin de Sainct-Cloud, d'autant que ces chevaux pouvoyent venir par là. Mais qui croira que deux ou trois cens hommes de cheval eussent esté si inconsidérez que d'avoir entreprins de venir tuer le Roy et la Royne sa mère, avec leurs conseillers, dans un chasteau si fort, si bien gardé et fortifié de gens de guerre, comme dit est, de seigneurs, gentilshommes et soldats, qu'estoit celuy de Sainct-Germain, dans un beau grand bourg, où les maisons valent tant (comme gens de guerre savent) contre ceux qui veulent faire invasion ou exécuter entreprise dedans?

Or, estans ainsi arrivez à Paris, le Roy les suit le lendemain et vint loger chez le mareschal de Rets avec sa mère, et demeurent là huit jours pendant lesquels le conseil secret acheva de dresser ses engins pour exécuter l'entreprise au bois de Vincennes. Ayans long-temps consulté, et gaigné, par le moyen de Belles-Aigues, espion du chancelier, un nommé Brinon, pour luy faire jouer le personnage requis à descouvrir et accuser les uns et les autres, ils s'en vont au bois de Vincennes, où les logis des mareschaux de Montmorency et Cossé estoyent marquez dans le donjon (prison de laquelle eschappa le duc d'Arscot), qui fit penser à plusieurs qu'on les vouloit serrer là et qu'on attraperoit les autres. Car si, d'un costé, la Royne et ses conseillers faisoyent à Paris ce qui estoit propre pour se desfaire de ceux contre qui l'entreprise estoit faite, ils n'avoyent rien oublié, de l'autre costé, pour faire prendre, mort ou vif, le mareschal de Danville en Languedoc, par l'intelligence qu'ils avoyent, tant avec le sieur de Joyeuse, son lieutenant et cousin de par sa femme, qu'avec les sieurs d'Acier, Maugiron et Fourquenaux, afin d'avoir tout en un coup le duc d'Alençon, le Roy de Navarre et ces trois mareschaux en leur puissance et disposition.

Le duc d'Alençon et le Roy de Navarre, estans avertis de divers endroits du danger de leurs personnes, dont ils avoyent de grands indices de long-temps, ne savoyent que penser. Ils se résolvent finalement de publier quelque déclaration touchant le fait de Sainct-Germain, pour respondre à la calomnie qui leur estoit imposée,

TOME VIII.

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