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de harquebuze, Thoré fit des recommandations audit sieur duc de la part de l'amiral, luy disant qu'iceluy estoit blessé et n'espéroit vie, laquelle s'il avoit plus longue, il luy feroit un bon service. Aussi M. le duc envoya vers l'amiral deux gentilshommes à deux fois, pour luy faire ses recommandations et le consoler. Le jour que l'amiral fut tué, M. le duc ne dormit toute la nuict précédente, ne sachant toutesfois ce qui en devoit avenir, ains voyoit seulement le remuement et ne pouvant juger à quelle fin. Le dimanche, Thoré luy vint dire que c'estoit grand pitié de ce que M. l'amiral avoit été ainsi tué, et que de sa part il en avoit sauvé quelques-uns; et se plaignoit ledit Thoré qu'on l'avoit voulu tuer, taschant dès lors de donner des impressions à M. le duc de tenir le party deceux qui avoyent esté du costé de l'amiral. Depuis Thoré continua tels propos, tant en la présence qu'en l'absence de M. le duc, auquel il a envoyé gens; spécialement au camp devant La Rochelle, il luy envoya par trois ou quatre fois un sien gentilhomme nommé de Bornonville, pour essayer de le distraire d'avec le Roy de Pologne et de l'armée, et luy escrivoit beaucoup de choses à ceste fin. Pendant ce temps, le sieur de la Nouë estant sorty de La Rochelle, et ayant esté sept ou huit jours près du Roy de Pologne, et pour lever toute desfiance, fit tant par allées et venues qu'ayant un jour trouvé M. le duc allant aux tranchées avec le Roy de Pologne, il l'arresta et luy dit qu'il desiroit parler à luy à plus grand loisir. «Ce sera quand vous voudrez,» dit M. le duc, et depuis la Nouë le trouvant luy tint plusieurs propos accompagnez de belles persuasions, pour l'esloigner de la présence du Roy et de la Royne mère; et mesme le sieur de Sainct-Jean s'offroit grandement d'accompagner M. le duc, à quoy luy ne se voulut accorder. Ce dont la Nouë luy parla estoit

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d'une requeste qu'on vouloit présenter au Roy, laquelle estoit la plus belle du monde, ce qui fut encor ramentu dernièrement que le Roy de Pologne estoit par deçà à Paris avec la Royne, sur la fin du mois d'octobre dernier.

A dit aussi qu'estant à Blamond avec le Roy de Pologne, le comte Ludovic, avec le duc Christofle et le duc de la Petite-Pierre estans venus faire la revérence au Roy, au Roy de Pologne et à la Royne, luy envoya la Mole vers le comte Ludovic pour le saluer de sa part, lequel comte fit response (selon le rapport que la Mole en fit) qu'il estoit tousjours prest à luy faire plaisir et service, et plusieurs offres honnestes. De fait, il fut visité en sa chambre par le comte Ludovic, qui luy dit avoir charge, avec le duc Christofle, de par le comte palatin, de remettre ce royaume en paix; a quoy il fit response qu'il n'en estoit besoin, et que le Roy et la Royne en avoyent bonne volonté.

Estant le Roy à Chantilly, M. le duc dit qu'il eut mal à l'espaule et se mit au lict, où estant, les sieurs de Montmorency, Thoré (qui avoit continué depuis le siége de la Rochelle), Meru, le vicomte de Turaine et la Mole se trouvèrent tous ensemble en sa chambre; et lors la Mole luy dit: «Voylà M. de Montmorency, ses frères et le vicomte de Turaine; l'on vous a tenu plusieurs propos, vous aviserez quel conseil vous en devez prendre. «Et le tira la Mole à part pour luy dire: «Vous estes conseillé par gens de jeune barbe. Voilà M. de Montmorency; parlez à luy, il vous conseillera, car il est bien advisé. » Lors il commença à parler audit sieur de Montmorency des propos qui luy avoient esté tenus des mescontentemens, desfiances, soupçons, et de la requeste dont luy avoit parlé la Nouë, laquelle on devoit présenter au Roy. Et demandant au sieur de Montmorency ce qui luy en sembloit, il respondit : « Monsieur, vous devez bien pen

ser à ceste requeste; si vous la présentez, vous pourrez aigrir le Roy et la Royne, et ne ferez rien pour vous.» Il ne fut donc d'avis de la présentation de ladite requeste, ni que M. le duc s'en meslast aucunement, et luy dit quelques autres paroles pour l'en desconseiller. A dit avoir oublié à dire que, depuis qu'il eust escrit à Soissons une lettre à la Nouë, qui fut portée par la Nocle à la Mole, lesdits sieurs de Thoré, vicomte de Turaine et autres entrèrent en deffiance dudit la Mole, et ne voulurent pas parler audit sieur duc en présence de la Mole, comme ils avoyent accoustumé de faire.

A Sainct-Germain en Laye ils délibérèrent avec plusieurs de leur faction. Leur résolution estoit de se trouver en compagnie pour enlever ledit sieur duc et l'emmener avec eux. C'estoit (comme il luy semble ) le premier dimanche de caresme qu'on devoit prendre les armes, dont ledit sieur averty recula le jour tant qu'il peut, et n'avoit autre propos de la part des susnommez que de prendre un jour certain. Et fut fort marry le sieur de la Nouë de ce que Guitery s'estoit trop avancé. Ils se devoyent trouver à Montfort-l'Amaury, et luy dit le Roy de Navarre qu'il feroit ce qu'il voudroit, mais que il n'en faloit rien dire, adjoustant ces mots : « Le prince de Condé fera ce que je voudray.»

Le samedy, voyant l'alarme qu'on donnoit au Roy et à la Royne, et oyant ce qu'on disoit contre ceux qui avoyent fait telle entreprise, ne pouvant entrer en son cœur de se distraire d'avec le Roy et estre cause d'un grand mal qui en pourroit advenir en ce royaume, appela la Mole (qui luy avoit demandé congé un jour ou deux auparavant pour s'en aller en Provence, lequel il luy avoit refusé, et puis octroyé par contrainte) et luy parla de ceste entreprise, l'estimânt seur et fidèle, et

voulant en avoir son conseil et avis. La Mole luy dit qu'il en faloit advertir la Royne, et sur l'heure le prenant par le bras luy dit : «Je vous prie, allez vers la Royne et luy dites ce qu'en savez; je m'asseure qu'elle s'en trouvera satisfaite.» Ce qu'il délibéra faire; et s'estant mis à table pour souper, après son souper alla trouver la Royne, laquelle manda querir le Roy, qui se trouva au cabinet, et lors déclaira au Roy ce qu'il avoit jà dit à la Royne, dont ils furent fort contens, et monstrans en cela leur bonté dirent qu'ils oublioyent tout le passé. A dit qu'il se descouvrit de cela à la Mole, et non à Thoré ni au vicomte de Turaine ou autres de leur conseil, car s'il leur en eust parlé ils ne luy eussent donné ce conseil.

Mondit sieur le duc a dit aussi qu'après l'entreprise de Sainct-Germain descouverte le Roy s'avisa d'envoyer ie sieur de Torcy vers Guitery. Lors le vicomte de Turaine pria d'estre envoyé avec Torcy, ce que le Roy trouva bon. Le vicomte estant de retour dit audit sieur duc qu'il avoit veu la plus belle troupe qu'il avoit onques approchée, jusques au nombre de trois ou quatre cens gentilshommes qui estoyent sortis affectionnez à son service, disant audit sieur qu'il ne perdist l'occasion de les employer, et que s'il la perdoit il ne la pourroit recouvrer une autre fois. Il usa beaucoup de persuasions, ausquelles finalement luy s'accorda, en telle sorte toutesfois qu'il vouloit que la Mole entendist sa résolution, sachant que la Mole n'en feroit rien que ce qu'il trouveroit bon. Le vicomte de Turaine insista qu'il n'en faloit rien communiquer à la Mole, parce qu'il parloit à beaucoup de gens, et craignoit que la chose ne fust descouverte; que la Molle les avoit jà trompez une fois, et qu'il ne se faloit plus fier à luy. Toutesfois, luy voulant que la Mole en fust averty, et iceluy estant venu, il entra en

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quelques paroles aigres contre le vicomte de Turaine, mais ils furent finalement séparez par le commandement dudit sieur duc, qui les fit embrasser. Lors fut la conclusion prinse que ledit sieur duc partiroit le samedy de Pasques au soir, dont il faisoit grande difficulté, parce qu'il prétendoit faire ses Pasques ce jour-là, et ne vouloit faire chose aucune contraire à sa religion et plustost mourir que la changer. Il se devoit rendre à Muret, appartenant à monsieur le prince de Condé, qu'il avoit averty de ceste résolution par le sieur de Chasteaubandeau. Aussi Montégu estoit venu vers luy de la part du prince de Condé, luy dire, soit qu'il partit devant ou après la feste, que néantmoins ledit sieur prince partiroit. A dit aussi que la Mole a esté de ceux qui l'ont persuadé à se retirer pour plusieurs occasions qu'il luy disoit; que la Mole estoit bien amy du comte de Coconnas, et dit audit sieur que le comte de Coconnas le suyvroit par tout, et qu'il avoit volonté de luy faire service. Au moyen dequoy ledit sieur fit venir Coconnas, et a parlé à luy deux fois en la maison de la Nocle, lequel luy fit la promesse telle que dessus. En déduisant ces propos, il est souvenu audit sieur duc qu'un nommé Boisbreton apporta à la cour la requeste sus-mentionnée. Nous a dit et affermé en parole de prince que ce que dessus est la vérité.

Déposition du Roy de Navarre.

Le mesme jour treiziesme avril 1574, et au mesme lieu, le Roy de Navarre appelé, adressant sa parole à la Royne mère, a dit ce que s'ensuit: «Madame, je m'estime très heureux du commandement qu'il vous plait me faire. Encores que par droit je ne sois obligé de respondre qu'à vos Majestez, si ne craindray-je, devant ceste com

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