Imágenes de páginas
PDF
EPUB

pagnie et toutes autres personnes que vous trouverez bon, disant vérité, vous faire paroistre mon innocence et la meschanceté de ceux qui peuvent avoir menty de moy. Or, afin que je commence dès mon enfance à vous tesmoigner ma vie et mes effects passez, je vous diray, madame, que le Roy mon père et la Royne ma`mère m'amenèrent en l'aage de sept ans en vostre cour, afin de me rendre aussi affectionné à vous bien et fidèlement servir comme le Roy mon père, qui n'a voulu autre tesmoin de ce qu'il vous estoit que son sang et la perte de sa propre vie, laquelle fut bien courte pour moy, qui dès lors demeuray sous l'obéissance de la Royne ma mère, laquelle continua de me faire nourrir en la religion qu'elle tenoit. Et voyant qu'aprez le décez du feu Roy mon père il faloit qu'elle me fist connoistre et aimer de mes sujets, elle me voulut mener en ses pays; ce qui fut fait à mon très grand regret, me voyant eslongné du Roy et du Roy de Pologne, desquels (outre ce que nos aages estoyent quasi esgaux) je recevois tant d'honneur que le lieu du monde où je me plaisois le plus estoit en leur compagnie. Après avoir demeuré quelque temps en ses pays, elle s'achemina pour venir retrouver Vos Majestez. Mais, estant à Nérac, il arriva un gentilhomme de monsieur le prince de Condé, qui luy fit entendre que les ennemis estoyent plus forts vers Vos Majestez et s'estoyent bien résolus sans doute de se deffaire de ceux qui portoyent les armes, afin que plus aisément ils peussent exterminer les femmes et les enfans, et par ce moyen ruiner du tout nostre maison, et qu'il savoit cela pour certain, de bonne part, et que dans quatre ou cinq jours il seroit à La Rochelle avec sa femme et ses enfans. Ce qui esmeut tellement à pitié la Royne ma mère que, craignant que mesme malheur luy advinst, elle se délibéra de les aller trouver

à La Rochelle, où elle me mena. Et mon oncle dressant son armée, elle m'envoya avec luy, où tous ceux qui sont venus de vostre part pour traiter de la paix vous ont peu tesmoigner le desir que j'avois d'estre près de Vos Majestez, pour vous faire très humble service; entre autres messieurs de Cros, de Biron et de Boisy, qui furent députez pour ce fait, vous l'ont peu asseurer.

» Après la paix faite commença de se mettre en avant le mariage de madame vostre fille, duquel je m'estimay très heureux, pour me voir rapproché de Vos Majestez. Ce mariage n'estant du tout résolu, la Royne ma mère vous vint trouver pour achever de le conclurre, et me laissa attendant en ses pays, où bientost après elle m'envoya quérir, comme aussi firent Vos Majestez, par Perquy, lequel vous a peu dire le plaisir que ce me fut d'avoir ce commandement, comme je le monstray, m'acheminant trois jours après que j'eus eu vingt accès de fièvres tierces.. Après m'estre acheminé sept ou huict journées, j'entendis la mort de la Royne ma mère, qui m'eust esté une excuse assez valable pour m'en retourner, si j'en eusse eu envie. Toutesfois je m'acheminay avec la meilleure troupe de mes amis et serviteurs que j'avoy peu assembler, et ne fus content que ne fusse près de Vos Majestez, où tost après mesnopces avint la Sainct-Barthélemy, où furent massacrez tous ceux qui m'avoyent accompagné, dont la pluspart n'avoyent bougé de leurs maisons durant les troubles. Entre autres fut tué Beauvais, lequel m'avoit gouverné depuis l'aage de neuf ans. Vous pouvez penser quel regret ce me fut, voyant mourir ceux qui estoyent venus sous ma simple parole et sans autre asseurance que le Roy m'avoit faite, me faisant cest honneur de m'escrire que je le vinsse trouver, et m'asseurant qu'il me tiendroit comme frère. Or, ce desplaisir me fut tel que j'eusse

TOME VIII.

10

1

voulu les racheter de ma propre vie, puisqu'ils perdoyent la leur à mon occasion, et mesme les voyans tuer jusques au chevet de mon lict. Je demeuray seul, desnué d'amis et de fiance.

<< En ces peines, Thoré, lequel estoit picqué de la mort de son cousin, me voyant désespéré, se vint joindre avec moy, me remettant devant les yeux l'indignité que j'avois receuë et le peu d'asseurance que je pouvois attendre pour moy, mesmes voyant l'honneur et bonne chère que vous, madame, le Roy vostre fils et le Roy de Pologne faisiez à ceux de Guise, lesquels, non contens de ce qu'ils avoyent voulu faire au feu Roy mon père et à monsieur le prince mon oncle, triomphoyent de ma honte; non toutesfois qu'il m'entrast en l'entendement de vous estre autre que très fidèle et affectionné serviteur, ce que j'espérois vous faire paroir à La Rochelle, où je fus résolu de vous bien et fidèlement servir, et de suyvre de si près le Roy de Pologne qu'il vous peust tesmoigner le fond de mes intentions. Or, estant si près de luy, je fus adverty par quelqu'un de mes bons amis qu'on vouloit faire une seconde Sainct-Barthélemy, et que M. le duc et moy n'y serions non plus espargnez que les autres. Outre plus, le vicomte de Turaine me dit qu'il avoit sceu pour certain de la cour que monsieur de Villeroy apportoit la despesche pour faire l'exécution, et que si ma femme estoit accouchée d'un fils le Roy avanceroit ma mort. Mesmes quelques-uns de mes gentilshommes furent avertis de leurs amis, qui estoyent à M. de Guise, qu'ils sortissent de mon quartier pour aller au leur, parce qu'il në faisoit pas seur pour les miens; aussi le Gast, me venant voir, disoit tout haut que, La Rochelle prinse, on feroit parler autrement les huguenots et les nouveaux catholiques. Vous pouvez penser si ayant eu tant d'advertisse

mens, et mesmes de celuy en qui le Roy de Pologne se fioit entièrement, s'il n'y avoit pas juste occasion de le croire. Toutesfois, ayant promis au Roy de Pologne que si j'entendois quelque chose pour le service du Roy ou du sien je l'en advertirois, comme je fis, l'allant trouver le soir en son cabinet, luy donnai à entendre comme le tout se passoit; il m'asseura qu'il n'en estoit rien, ce que je creu, et dès lors me promit tant d'amitié que, quittant ceste frayeur, je cessay de faire gardes en mon logis, comme j'avois esté contraint de faire pour l'asseurance de ma vie. Depuis, je ne perdis une seule occasion de me tenir près de luy, tant pour le servir que pour luy faire preuve que je n'avois rien plus cher que ses bonnes graces.

<< En ce temps-là le camp fut rompu, et nous nous en revinsmes de La Rochelle vous trouver, où il ne se parla que du départ du Roy de Pologne, lequel Vos Majestez furent conduire jusques à Vitry, où j'eus advertissemens de plusieurs endroits qu'on vouloit tuer le Roy, monsieur le duc et moy, et faire le Roy de Pologne Roy, ce que je ne voulus jamais croire. Toutesfois, faisant entendre ce que j'avois entendu à monsieur le duc, il me dit qu'il avoit eu beaucoup de pareils avis, et que monsieur de Guise faisoit assemblée à Ginville pour faire l'exécution de ceste entreprise. Et moy, estant à la chasse, je trouvay dix ou douze chevaux avec armes, comme fit le guidon de monsieur le prince de Condé, qui en trouva quarante ou cinquante en ce mesme équippage, qui estoit ássez pour nous en faire croire quelque chose. Toutesfois, le Roy de Pologne estant arrivé à Vitry, je ne failly à lui dire tous les bruits qui couroyent de luy; il m'asseura qu'il n'en savoit rien, et que, si j'estois en ce doubte-là de messieurs de Guise, je ferois bien de demeurer près du Roy et l'aller retrouver à Nancy pour prendre congé de luy; ce que la Royne me fit commander par le Roy, qui partit deVitry pour aller à Chaalons, où j'allay avec luy. Estant là, je demanday congé pour tenir la promesse que j'avois faite au Roy de Pologne d'aller prendre congé de lui à Nancy; ce qu'il me refusa, et me commanda que j'eusse à me tenir près de luy.

Sept ou huit jours après avoir esté à Chaalons, je sceu le départ du Roy de Pologne, et me fut asseuré qu'à son dernier adieu il oublia la bonne chère et amitié qu'il m'avoit promise, et ne se souvint de vous supplier (madame) que vous m'eussiez en vostre protection, mais au contraire vous recommanda monsieur de Guise, afin que par vostre moyen il fust fait connestable: ce que je ne voulois nullement croire. Mais estant Vostre Majesté de retour à Reims, vous ne fistes une si maigre mine, et commençastes à avoir une telle desfiance de moy, que cela me fist penser qu'il en estoit quelque chose. En ce mesme temps M. de Thoré arriva, lequel ne fust seulement fasché de me voir en ceste peine, mais continua à me dire que c'estoit chose très certaine que, demeurant à la cour, je n'y pouvois attendre que beaucoup de mescontentemens et que ma vie n'y estoit trop asseurée.

De là Vos Majestez allèrent à Soissons, où vous continuastes encores plus les mesfiances que vous preniez de moy, sans vous en avoir donné une seule occasion, qui m'estoit un extreme ennuy. Là, les capitaines des gardes commencèrent à venir tous les jours cercher dedans la chambre de monsieur le duc et la mienne, et regarder dessous les licts s'il n'y avoit personne, et commandastes qu'il ne coucheroit e.. ma garderobbe qu'un seul valet de chambre pour me servir; et mesmes me levant le matin pour me trouver à vostre lever, comme j'avois ac

« AnteriorContinuar »