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DISCOURS

DE LA

FAMINE DE SANCERRE.

MARS 1573.

Jean de Lemy

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AVERTISSEMENT.

Claude de La Châtre, gouverneur de Berry, obligé de lever deux fois le siége de Sancerre en 1569, investit de nouveau cette ville le 3 janvier 1573, et, après un blocus de plusieurs mois, la réduisit à toutes les horreurs de la famine. Le récit suivant de l'opiniâtreté et des misères des habitans est de Jean de Lery, ministre huguenot et voyageur célèbre, témoin des malheurs qu'il décrit.

DISCOURS

DE

L'EXTREME FAMINE,

CHERTÉ DE VIVRES, CHAIRS,

ET AUTRES CHOSES NON ACOUSTUMÉES POUR LA NOURRITURE DE L'HOMME,
DONT LES ASSIÉGEZ DANS LA VILLE DE SANCERRE ONT ÉTÉ AFFLIGEZ,
ET ONT USÉ ENVIRON TROIS MOIS,

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:

Je déduiray en ce discours la grande famine, extrême cherté, et quels ont esté les vivres ordinaires de la pluspart du peuple dans Sancerre, environ trois mois, chose non moins véritable qu'admirable, non ouye ni pratiquée de peuple quel qu'il soit, dont la mémoire et les histoires facent mention; tellement que la famine de Samarie (dont la saincte histoire tesmoigne), où les mères mangèrent leurs enfans et où les testes d'asnes et fientes de pigeons se vendoyent grande somme d'argent; l'histoire tragique et prodigieuse durant lé siége de Jérusalem, où ceste mère et femme honorable, dont Joseph fait mention, s'armant contre les loix de nature, occit et mangea le propre fruict de son ventre, avec horreur des plus cruels qui virent ce spectacle; ce qui avint à Numance estant assiégée par ce preux et vaillant capitaine Scipion, et autres histoires touchant les misérables et déplorables nécessitez dont plusieurs ont esté affligez, ne seront plus révoquées en doute, et ne mettront les hommes en plus grande admiration que ceste-cy.

Comme ainsi soit donc que, dès le mois de mars, les vivres commençassent desjà à s'accourcir dans Sancerre, et principalement les chairs de bœufs et autres dont on use ordinairement. Le dix-neufiesme dudit mois, qui fut le jour de l'assaut, un cheval de charrette du baillif Johanneau, gouverneur de ladite ville, estant tué d'un coup de canon en charriant les fascines et terres aux rempars, fut escorché, découppé, emporté et mangé par le commun des vignerons et manouvriers, qui faisoyent récit à chascun n'avoir jamais trouvé chair de bœuf meilleure. Cela en fit envie à plusieurs, qui aisément ne pouvoyent recouvrer autre chair; tellement que, dès le quatriesme avril suyvant, on tua un asne, duquel le quartier fut vendu seulement pour lors quatre livres tournois; et fut trouvé bon de tous ceux qui en mangèrent, tant bouilly que rosti et mis en pasté; mais surtout le foye rosty avec cloux de girofle fut trouvé comme un foye de veau.

Vray est qu'à ce commencement aucuns (plus d'appréhension qu'autrement) eurent mal au cœur d'en avoir mange; mais peu de jours après, et avant le quinziesme dudit mois, cela fut tout commun aux plus délicats. Et comme ainsi fust qu'il y eust beaucoup d'asnes et mulets à Sancerre, à cause de la situation haute et lieu mal accessible pour les charrettes, ils furent tous dans un mois tuez et mangez au lieu de bœuf, tellement que (pour n'espérer une telle longueur de siége) on en fit un trop grand degast, et fut-on bien marry après de n'avoir mieux mesnagé la chair. On commença au mois de may à tuer les chevaux, ce qui fut cause que le conseil (tant pour obvier à la puanteur et putréfaction que pouvoyent engendrer les tripailles et fientes par les maisons particulières, où un chascun en faisoit tuer å sa volonté, que pour donner ordre que la chair ne fust ainsi gourmandée et qu'elle ne se vendist à prix excessif) ordonna que les chevaux seroyent tuez et se vendroyent à la boucherie ordinaire, que la chair de cheval plus grasse ne se vendroit que trois sols la livre et la maigre deux; ce qui fut toutesfois (par l'extreme avarice d'aucuns, qui n'appréhendoyent la main de Dieu en ce temps si calamiteux) mal observé. Car, comme il sera dit cy-après, ès mois de juillet et commencement d'aoust, la livre de chair de cheval se vendoit dix-huit, vingt et vingt-deux sols, et nonobstant tout l'ordre et police qu'on y sceut mettre, le meilleur marché estoit dix et treize sols la livre; les testes, tripes, foye, et le reste, jusques aux pieds, encores plus excessivement cher. Or je diray icy que la chair de cheval, par le rapport de ceux qui l'ont mieux goustée, est meilleure que celle d'asnes, ni de mulets; car encor qu'elle soit plus molasse crue, quand elle est cuite elle est plus ferme, et convient mieux à son naturel d'estre bouillie que rostie. Que si on veut que le potage en soit bon, soit qu'on la mette au pot fraische ou salée, il la faut faire cuire plus long-temps que le bœuf. Le goust partícipe de la chair de porc, mais plus approchante de celle de bœuf. Si on la met en pasté, il ne la faut faire cuire ni bouillir auparavant, ains la mettre crue dans la crouste, après avoir trempé en vinaigre, sel et espices. La graisse est comme auue de porc et ne se prend point; la langue est délicate et le foye encores plus.

Or la famine s'augmentant de plus en plus à Sancerre, les chats aussi eurent leur tour, et furent tous en peu de temps mangez, tellement que l'engeance en faillit en

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