AVERTISSEMENT. Montgommery (Gabriel de), dont la cour employa d'abord plusieurs fois le zèle et le courage, ayant tué involontairement Henry II dans un tournoi, crut devoir à la douleur de la Reine et à celle de la France, de passer à l'étranger; mais sorti par un malheur il revint par une faute, et son attachement au protestantisme dégénérant en rebellion, il marcha dans l'armée calviniste contre l'armée royale. Condamné à mort par le parlement de Paris, exécuté en effigie, rassuré par la paix de Saint-Germain, sauvé de la Saint-Barthélemy par la fuite, il alla en Angleterre et rentra une seconde fois par une seconde révolte. Malgré sa valeur et son habileté ordinaires, Montgommery, attaqué par des forces supérieures dans le château de Donfront, fut contraint de capituler; on le conduisit à Paris, où on l'enferma, jugea, et condamna à perdre la tête. LA PRINSE DU COMTE DE MONTGOMMERY DANS LE CHASTEAU DE DONFRON, PAR M. DE MATIGNON, LIEUTENANT EN LA BASSE-NORMANDIE, EN L'ABSENCE DU DUC DE BOUILLON. JEUDI 27 MΑΙ 1574. Quand on sceut par la France que Gabriel, comte de Montgommery, s'étoit sauvé en Angleterre, ayant eschapé les mains de la commune, à Paris, le jour de Sainct-Barthélemy, l'ar mil cinq cens soixante-douze, il n'y eut ny homme, ny femme, ny petit, ny grand, au moins de ceux qui avoient l'honneur de Dieu et la tranquillité du pays en recommandation, qui n'en fust triste et desplaisant, car il estoit recogneu pour un vray monstre plustost que pour un homme, né à la subversion et ruine de ce royaume, et la torche ensoufrée qui premièrement alluma le feu de toute discorde, félonnie et sédition par la chrestienté, nous ayant ravi d'un coup d'aventure, toutes TOME VIII. 15 fois sinistre et malheureux, ce bon Roy Henry II du nom. Chacun se promettoit, eu esgard à son naturel et tempérament, qu'il ne vivroit jamais en repos, ains que, ramassant encores quelques membres de conspirateurs et rebelles espars par la France de çà de là, il ne faudroit de s'en faire le chef quelque jour, l'opportunité s'y présen tant. Toutesfois, pour y obvier, le feu Roy Charles neufiesme, que Dieu absolve, dépescha tout exprès le frère dudict Montgommery, surnommé de Sainct-Jean, pour le solliciter et requérir de ne brouiller pas davantage les cartes, que sa vie, ses biens et estats lui seroient sauvés, pour et afin que dorénavant nous puissions avoir la jouissance d'une bonne et asseurée paix, laquelle estoit souhaittée de tout un chacun et desjà tenue pour certaine s'il se vouloit contenir et comporter en bon citoyen et fidèle subject, les chefs mutins et séditieux estans morts, fors luy. Ce fut en vain; car ny le piteux dégast des biens du pauvre peuple, ny la ruine de tant de villes et places fortes, ny la mort de plus de cent mille personnes esteintes par ces troubles ne purent esmouvoir le cœur félon de ce coursaire demy françois et demy anglois, qu'il ne dressast incontinent nouvelles practiques pour nous remettre aux guerres très cruelles, et, pour dire avec un poëte romain, plus que civiles, qui luy servoient, ce croy-je, d'esbat et passe-temps. Il fit eslever de toutes parts les sujets du Roy pour ne rendre le devoir et obéissance à Sa Majesté, donna conseil aux Rochelois de se bander et tenir fort, leur promettant toute ayde et secours. De faict, durant le siège et quasi en leur extresme nécessité, le dix-neufiesme jour d'avril mil cinq cens soixante et treze, pour s'acquiter de ceste inique promesse, violant au reste tout droit divin et humain, il les vint veoir J et secourir par mer avec quarante-cinq vaisseaux ou environ, tant grands que petits, lesquelz se présentèrent assez près de la rade de La Rochelle, comme s'ils eussent voulu entrer dedans la ville, et estoient chargez principalement de larrons fugitifs et bannis. Mais soudain qu'ils furent descouverts, monsieur de Biron, par le commandement du vertueux prince Henry, pour lors duc d'Anjou et maintenant, par la grace de Dieu, Roy de France et de Pologne, y donna si bon ordre qu'ils trouvèrent à qui parler; car on leur présenta en teste quatorze ou quinze grands vaisseaux, la grande carraque, et six ou sept gallères du baron de la Garde, tous bien garnis de bons soldats, outre plus trois canons de batterie et deux coulevrines, qui furent posées sur le bord de la mer; et d'autant que le vent estoit contraire aux uns et aux autres furent contraints de mouiller à l'ancre à la distance de la portée du canon; et tost après cest excellent lieutenant Henry, et autres princes et seigneurs de sa compagnie, suivis d'un nombre infini de cavallerie, s'acheminèrent en toute diligence vers le quartier où avoient esté descouverts lesdits vaisseaux. , Et, le lendemain, monsieur de Biron fit marcher tel nombre de soldats que la mer en estoit bordée une grande demie-lieue et plus. Et, sur les trois heures après midy, deux de nos galères furent agacer lesdicts vaisseaux pour les attirer au combat, et d'icelles fit tirer si grand nombre decoups de canon que lesdicts vaisseaux furent contraincts de reculer à petits pas, ne monstrans aucune envie de combattre. Ce nonobstant fut pris l'un de leurs assez chargé de bled et autres munitions; qui fut cause que nos deux gallères se retirèrent, et les ennemisse mirent à l'ancre où ils demeurèrent quelque peu de temps. Quoy voyant le vertueux prince Henry qui estoit présent à tout ce que dessus, bien accompagné de gentilshommes, comme dit est, commanda à monsieur de Strossi qu'il eust à faire entrer force soldats bien armez dedans nos vaisseaux pour aller combattre ceux de l'ennemy. Mais estant ceste entreprise descouverte, Montgommery, qui craignoit la touche, fit lever bientost après les ancres, mettre les voiles au vent et se retirer. eurs navires Il print le chemin de Belle-Isle, où il mit pié à terre, et, par surprinse ou intelligence qu'il y avoit, s'empara dudit lieu, qui est ainsi appelé à cause que c'est une isle belle, plaisante et riche, située en la coste de Bretagne, forte et bien garnie d'artillerie et de munitions de guerre. Néantmoins ce cruel pirate s'en empara et tua plusieurs habitans et soldats de la garnison de ladite isle, ce qui porta un grand dommage et empeschement au siége de La Rochelle; car, pour recouvrer icesle isle, fallut, par le commandement du Roy, tirer des compagnies nouvelles par toutes les villes; qui fut le motif et occasion que beaucoup de soldats se desbandèrent du camp pour y aller, nonobstant les défenses sur ce faictes. Parquoy Montgommery, voyant les forces approcher pour l'assiéger, pilla toute ladite isle, et puis, haussant les voilles, s'en alla le long de la coste d'Angleterre. Néantmoins, c'est chose vraye et certaine que les forces du feu Roy estoient très grandes, et en terre et en mer, jusques à enchesner et comme emprisonner le Grand-Océan (afin que j'eusse de leurs termes), pour luy retrancher sa liberté accoustumée dedans une ville foudroyée et quasi mise en poudre; mais, entendue par ceux de dedans et par ceux de dehors l'horrible désolation des maisons et édifices, la pitié de plusieurs tant hommes que femmes, qui là s'estoient retirez et crioient mercy à jointes mains, ce bon Roy Charles, usant de son humanité et clémence 1 |