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vèrent. La Fleur seul (car comme j'ay dit, la Croix n'estoit entré à Ternan) rebroussa chemin contre la rivière de Loyre, et, arrivé qu'il fut sur le port de Diou, où il estoit jà passé avec les autres, il appela et importuna tant le pontonier (qui ne le vouloit aller querir seul, parce que c'estoit un jour de foire), luy criant qu'il avoit du bestail, de delà l'eau, qu'il faisoit conduire à la foire, qui se pourroit esgarer, qu'il l'alla querir et le passa sans le reconnoistre. Mais au lieu qu'ayant évité ce danger il se devoit soudain despayser et oster de ce lieu où il estoit aucunenement conu, il pria et pressa tant ledit pontonier d'aller boire avec luy au logis, qu'il luy accorda. Et comme il eut loisir de le reconnoistre, le regardant fort attentivement, il commença à lui dire : « Vous estes la Fleur. « Ce queluy niant, finalement comme il voulut payer l'hoste, le pontonier le reconut encores mieux à sa bourse, qu'il avoit remarquée lorsqu'il avoit payé premièrement, passant avec ses compagnons, et lors il commença à persister et à s'asseurer que pour certain c'estoit celuy dont il doutoit aucunement auparavant. La Fleur donques se voyant apertement descouvert, laissant sa chaussure de paysant, sortit du logis par une porte de derrière et se pensa sauver à la suite; mais le pontonier, s'asseurant lors entièrement que c'estoit la Fleur, qui estoit sorti de Sancerre et poursuyvi par Cartier (lequel l'avoit adverty en passant de ne passer personne inconue) cria lors: Au voleur, au brigant! Or faut-il noter que c'estoit un jour de foire et que les chemins estoyent pleins de gens, tellement que la Fleur fut tout soudain environné de toutes pars. Toutesfois, courageux et vaillant qu'ils estoit, n'ayant ne verge ne baston pour se défendre, s'efforça d'oster l'espée à un passant; mais il ne peut à cause de la multitude, laquelle non-seulement l'enveloppa, mais

TOME VIII.

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aussi le chargea à coups de pierre. Mesmes le pontonier survenant luy bailla de toute sa force un coup du grand baston ferré dont il conduisoit son basteau et le blessa bien fort, tellement qu'en ceste façon accablé il fut prins et mené prisonnier à Moulins en Bourbonnois par le prevost des mareschaux du lieu, lequel fut envoyé querir exprès en toute diligence. La Croix aussi, d'autre costé, ayant perdu son cheval à Ternan et estant demeuré caché hors le chasteau, ne sachant que ses trois compagnons estoyent devenus, retourna à la Nocle, où, s'estant de rechef caché à l'hostellerie, il fut finalement trouvé par les gens de Cartier (lesquels s'en retournoyent avec les quatre chevaux des nostres, qu'ils avoyent prins en opinion que les maistres s'estoyent sauvez) et ramené prisonnier à Sainct-Satur, vers le sieur de la Chastre.

Le mercredy premier jour de juillet, sur les cinq heures du soir, un nommé Pierre du Bois, de la ville, sauta et s'escoula par la plate-forme de Porte-Viel et s'alla rendre à l'ennemy, lequel, après avoir sceu de luy ce qu'il voulut et l'ayant gardé quelques jours, le fit pendre et estrangler pour son salaire.

Le second jour, parce que plusieurs murmuroyent dans la ville à cause de la grand' disette et faute de vivres, il fut erié à son de tabour qu'il estoit permis à tous ceux qui voudroyent sortir de s'en aller où ils pourroyent; et de faict il en sortit ce jour-là vingt-quatre ou vingt-cinq, qui ne furent pas seulement arrestez et empeschez de passer aux tranchées, mais aussi ils furent traitez comme ceux qui estoyent sortis auparavant.

Le samedy quatriesme, sur le soir, un petit garçon vint du village de Cheveniol à la ville, lequel apporta deux lettres de la Croix, l'une adressante à sa femme et l'autre au capitaine Montauban, par lesquelles il mandoit comme il avoit esté pris et estoit prisonnier entre les mains de l'ennemy; que le capitaine la Fleur estoit aussi pris, mais, pour estre fort blessé, on ne l'avoit peu mener au camp, et outre que les capitaines la Pierre et la Minée avoyent esté tuez en sa présence; ce qui toutesfois se trouva faux, car (comme nous avons dit) ces deux se sauvèrent, et luy avoit-on fait escrire cela. Il envoya aussi copie de la procuration et lettre de créance qu'on avoit baillée à chascun d'eux à part, chose qui fascha merveilleusement les assiégez. Toutesfois aucuns ne pouvoyent croire telle prise et pensoyent que ce fussent lettres supposées, et que quelque traistre eust envoyé à l'ennemy copie desdites procuration et lettre de créance; car on estoit asseuré que la Croix et ses compagnons avoyent passé les tranchées en toute seurté, ce qui estoit le plus dangereux et ce qu'on craignoit le plus. Mais, huit jours après, la Fleur fut aussi amené à Sainct-Satur, d'où il escrivit sa prise, et manda qu'on luy envoyast des habillemens, ce qu'on fit; et lors ayant reconu sa lettre et son seing, et ne doutant plus de sa prinse et de celle de la Croix, on fut fasché au double de telles nouvelles.

Le treziesme il fut résolu à la ville que, quoyque c'en fust, on tiendroit bon, et qu'on ne se fieroit ni mettroiton aucunement à la merci de l'ennemy; toutesfois, ne voulant retenir personne par force, il fut crié que tous ceux qui ne se voudroyent et pourroyent contenter du peu de vivres et moyens qui restoyent dans la place, et endurer patiemment la disette et famine où Dieu nous avoit réduits, eussent à sortir; autrement, s'ils murmuroyent, on les jetteroit par-dessus la muraille. Ceste sepmaine on rempara le ravelin de Porte-Viel, les plateformes prochaines et l'escarpe du fossé; fut aussi remis

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un corps-de-garde à la chiffre Sainct-Denis, et fit-on couper la petite cerisaye et les arbrisseaux qui estoyent au dessous dans le fossé, parce qu'on craignoit une surprinse de ce costé-là.

Le seziesme on eut nouvelles que le ministre, qui estoit parti dès le sixiesme d'avril pour aller au secours, avoit escrit il y avoit plus de six sepmaines, mais que le messagier avoit esté pris à Erri, à quatre lieues de Sancerre, et de là mené à Bourges, où il avoit esté pendu; ce qui fascha aussi tant plus les assiégez que, pour estre environnez de toutes pars, ils ne savoyent aucunes certaines nouvelles de l'estat des afaires de ceux de la religion. Le soir du mesme jour il y eut quelques mescontentemens de certains soldats, lesquels on fit changer de corps-degarde, tant parce qu'on craignoit une trahison que pour ce qu'on savoit que l'ennemy (qui estoit tous les jours adverti de nos déportemens par ceux qui sortoyent d'heure en heure) taschoit par tous moyens de gaigner ceux qu'il savoit endurer plus mal à gré la faim.

Le dix-huitiesme, un nommé le sieur de Sainct-Pierre (qui conoissoit M. Jean de Lery seulement pour l'avoir veu à Nismes, au synode national, au mois de may 1572, et depuis à la Charité, où il avoit passé en poste un peu avant les massacres), estant arrivé en l'armée du sieur de la Chastre, escrivit audit de Lery qui estoit dans Sancerre, et luy fit entendre qu'il avoit envie de communiquer avec luy tant pour le particulier, que pour servir au public en ce qu'il pourroit. Sur cela, par la permis. sion du gouverneur, de Lery, fit response; et après qu'ils eurent escrit l'un à l'autre trois ou quatre fois, l'ayant prié de s'approcher en toute seureté, vint, sur la promesse dudit de Lery, près la contrescarpe et fossé du ravelin de Porte-Viel. Durant cest abouchement et par

lement (qui dura environ une heure), presques tous les capitaines et soldats assiégez parurent et se tindrent sur la plate-forme et sur le rempart dudit ravelin, et fit-on cesser tout acte d'hostilité, et ne tira-on point de costé ni d'autre jusques à ce que le parlement fut cessé.

Ledit sieur de Sainct-Pierre dit en somme que, pour certain, les Rochelois, ceux de Nismes et de Montauban avoyent capitulé et posé les armes, et que la paix estoit faite, mais que ceux de Sancerre (ne say pourquoy, comme aussi il ne savoit pas bien toutes les conditions de ceste paix, de laquelle il devoit envoyer les articles incontinent qu'il les auroit receus) n'y sont comprins; davantage asseura que le duc d'Anjou estoit esleu roi de Pologne, où il se devoit acheminer bien tost. De Lery fit response qu'encores que pour son regard il ne doutast de son dire, qu'à peine toutesfois les assiégez voudroyent-ils croire ces choses, qu'ils estimeroyent attrapoires et esmorces pour les décevoir; sur quoy il dit qu'on ne l'estimast jamais homme de bien si les choses qu'il avoit dites n'estoyent vrayes, et qu'en cas qu'on ne l'en voulut croire on envoyast gens en pays pour en estre plus asseurez. Et parce que de Lery répliqua qu'il estoit du tout impossible de faire sortir aucuns des assiégez, et que la Fleur et la Croix, allans soliciter leurs a faires, avoyent esté prins naguères, de façon que les assiégez estoyent incertains comme les choses passoyent, il promit audit de Lery que, si on trouvoit bon et si on l'en prioit, il s'essayeroit d'obtenir du sieur de la Chastre qu'ostages seroyent baillez aux assiégez jusques à ce que ceux qu'ils voudroyent envoyer fussent de retour, et qu'il y employeroit le sieur de Sarrieu, son voisin, et le capitaine Pybonneau, son parent, ayant tous deux grand crédit et commandement en l'armée. Et ainsi, après plusieurs autres propos,

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