luy se retira au grand fort d'où il estoit venu et de Lery à la ville, où il fit rapport de tous ces propos au gouverneur et aux capitaines, par l'advis desquels il estoit sorti pour parlementer; mais cela fut tellement mesprisé par aucuns qu'à cause de leur opiniastreté on laissa eschapper ceste belle occasion, fort propre cependant pour savoir la vérité tant des Rochelois que de l'estat de toutes autres afaires dont les assiégez estoyent incertains, ce qui leur préjudicia grandement. Car, comme on a sceu et comme de Lery ouyt dire depuis au sieur de la Chastre, les assiégez eussent eu beaucoup meilleur traitement en ce temps-là qu'ils n'ont eu lors qu'ils capitulèrent. Le vingt-uniesme, le caporal la Motte et huit soldats, à savoir un nommé Sellier, le Pasteur, la Plante, le Lorrain, la Forge, la Loge, la Graviere, habituez, et Delo, de la ville, quittèrent leurs corps-de-garde la nuict, descendirent et sautèrent la muraille pour s'en aller et abandonner la place, dont advint que quelques-uns passèrent la tranchée de l'ennemy et se sauvèrent; d'autres furent tuez en combatant au passage, et autres prins prisonniers et pendus. Le 23, sur les neuf heures du soir, quelques harquebousiers, conduits par le capitaine Paquelon, sortirent pour faire escorte aux vignerons et autres qui pensoyent aller moissonner et glenner de nuict dans un champ de bled joignant les tranchées des assiégeans; mais eux, en ayant esté advertis auparavant par quelques traistres, dressèrent une embuscade de trois à quatre cens soldats, lesquels, descouvrans les Sancerrois, au sortir et dans les vignes tirèrent dessus et les chargèrent à bon escient, tellement que, l'escarmouche attaquée, il y eut force harquebousades tirées d'une part et d'autre. Toutesfois ceux de la ville firent la retraitte sans qu'il y en demeurast un seul des leurs; bien y en eut-il quatre de blessez, dont l'un mourut deux jours après. Durant ce combat, en faveur des ténèbres de la nuict, l'ennemy, pensant espouvanter les assiégez en approchant des fossez du costé de la grande brèche, crioit: «Dedans, dedans! c'est à ce coup que nous y sommes; » et firent tirer un coup de coulevrine qui transperça le rempart et passa droict sous les pieds du capitaine Montauban et sous les pieds de M. Jean de Lery, tellement qu'ils en branslèrent, sans toutesfois qu'il leur fist aucun mal. Lors fut remarqué qu'encores que les assiégez fussent tous bien foibles et atténuez de famine et de disette, si est-ce que le courage ne manquoit point aux soldats, lesquels au besoin reprenoyent tousjours cœur, et si on fust venu aux mains et que les catholiques se fussent présentez à la brèche, ils eussent esté bien receus, car le peu d'espérance des assiégez les rendoit merveilleusement hardis et résolus. Le vingt-cinquiesme, un nommé Bayard, autrement Daniel d'Orléans, descendit et se jetta par la plate-forme de Porte-Viel, et s'en alla rendre au grand fort de l'ennemy. Le vingt-neufiesme, sur les neuf heures du matin, le sergent la Tale et un nommé Bourdier, soldat, prisonniers de guerre, qui avoyent esté prins à deux diverses sorties, un nommé Gyvri et un garçon de Fontenay, aussi prisonniers, Naulet, Colombier, Caillon, et le tabour du capitaine la Fleur, détenus pour quelques maléfices, ces huit estans tous ensemble en une tour au chasteau, trouvèrent moyen d'en sortir; et estans entrez en la chapelle prochaine, où l'on faisoit un corps-de-garde, et n'y ayans trouvé un seul soldat, prindrent trois harquebouses, puis avec une corde descendirent par un trou qui estoit en ladite chapelle, et eurent loisir de se sauver 1 1 ainsi tous et se renger vers l'ennemy, avant que ceux de la ville (qui en furent advertis trop tard) y fussent accourus. Le caporal qui commandoit en ce corps-de-garde fut constitué prisonnier pour la faute qu'il avoit faite de l'avoir abandonné; mais parce qu'il dit la faute estre venue des soldats de son escouade, et non de luy, et qu'on l'avoit en bonne opinion, il n'eut autre punition. Environ ce temps, le soldat la Croix, prisonnier de l'ennemy, qui avoit esté prins en allant au secours (comme nous avons dit), fut roué et exécuté à Bourges, et luy imposant et mettant à sus ce qu'on voulut, on luy fit son procès comme à un voleur et brigand. Le trentiesme, la compagnie du capitaine Buisson fit monstre au champ Sainct-Martin, le nombre (comprins les capitaines, sergens, caporaux et autres membres) estant encores de septante-cinq soldats. Cela se fit pour deux causes principales: la première, pour accommoder les soldats des logis de ceux qui estoyent morts et de ceux qui s'estoyent allez rendre à l'ennemy, la seconde, pour faire réitérer le serment à un chascun de vivre et mourir pour la conservation de l'église et de la place. Toutesfois le gouverneur fit une longue remonstrance, et dit que si aucuns ne pouvoyent ou ne vouloyent endurer la faim et la disette qu'ils le dissent librement sans murmurer, ne mesme se hazarder de sauter par les brèches et murailles, comme d'autres avoyent fait, car à tels il promettoit faire faire ouverture des portes et bailler escorte pour les conduire jusques au pied de la montagne au bas des vignes et près la trenchée de l'ennemy. Tous jurèrent et promirent de demeurer pour vivre et mourir dans la ville, quelque disette qu'il y eust, mais plusieurs ne tindrent pas promesse; car dès le lendemain les murmures recommencèrent, comme aussi, des le troisiesme d'aoust, un nommé l'Orme, soldat de la compagnie de la Fleur, se sauva par la brèche de Baudin. Semblablement la Bertrange et la Chapelle, de la compagnie du capitaine Buisson, laissans de nuict leurs sentinelles, dévallèrent avec une corde par un créneau près la porte César, et s'en alla ledit la Chapelle rendre à l'ennemy, qui le fit pendre, comme on dit. La Bertrange, n'ayant peu passer, demeura dans les vignes, où il fut repris le lendemain et ramené dans la ville, sans qu'il fist aucune résistance. Toutesfois, estant emprisonné et son procès fait (en considération de la nécessité des vivres où on estoit, et nonobstant ses lourdes fautes d'avoir abandonné sa garnison, faussé son serment réitéré et laissé de nuict sa garde), il eut la vie sauve, et fut seulement dégradé des armes par le sergent-major, à la teste des gardes, et, avec un pic sur l'espaule, mené par les sergens par toute la ville. Le vendredy, dernier jour, maistre Estienne Rondeau, prisonnier dès le mois de janvier (soupçonné et non convaincu de trahison), estant chez le capitaine Martinat, son cousin, qui l'avoit cautionné et retiré de prison, se sauva et sortit de la ville s'en qu'on s'en aperceut. Il dit depuis qu'il avoit fait cela non pour autre cause que pource qu'il mouroit de faim; toutesfois ledit Martinat (qui en pensa avoit de la fascherie) afferma qu'il avoit tousjours esté nourri comme luy-mesme et comme le temps le portoit. Le lendemain et les jours suyvans, les soldats de la compagnie du capitaine Martignon, de la ville, en nombre encore d'environ deux cens, ceux de la compagnie du capitaine la Fleur prisonnier, en nombre de treze de cheval et quarante-huit de pied, et ceux de la compagnie du capitaine d'Orival, qui commandoit aux volontaires habituez, en nombre de cinquante-deux 1 (non comprins dix ministres et environ vingt soldats de Sainct-Satur et lieux circonvoisins, qui faisoyent garde avec ceux de la ville), furent tous appelez au logis du gouverneur, où semblables remonstrances leur furent faites qu'à ceux du capitaine Buisson. Tous firent les mesmes promesses que les autres, mais beaucoup ne s'en acquitèrent non plus. Or, il appert par la supputation qu'il y avoit encores aux quatre susdites compagnies environ quatre cens dix-huit soldats et autres, et j'ay dit ailleurs qu'il y avoit environ huit cens hommes portans les armes dans la ville, quand elle fut investie ; partant, on peut voir que les gens de guerre estoyent diminuez presques de la moitié avant la reddition, et croy qu'il estoit ainsi de tout le reste du peuple, que la famine (plus que la guerre) avoit merveilleusement esclaircis. Un certain personnage, s'estant employé durant le siége à faire neuf ou dix voyages au grand danger de sa vie, sortit la dernière fois de la ville, le lundy vingtseptiesme de juillet, avec escorte de trente harquebousiers, qui luy firent passer les trenchées; mais d'autant qu'on désespéroit qu'il peust rentrer, on avoit advisé de luy bailler un ou deux pigeons apprivoisez à la ville, ausquels il mettroit des petits billets de papier escrits au col, contenans les nouvelles qu'il auroit apprises; puis, s'approchant plus près de la ville qu'il pourroit, les lascheroit, et ainsi voleroyent par-dessus les forts et tranchées des assiégeans, se rendans à la ville; mais quand ce vint à cercher par les colombiers et volières on ne sceut trouver un seul pigeon, car ils avoient esté tous prins et mangez. Toutesfois, ledit personnage (contre ce qu'on s'attendoit) revint et rentra dextrement le lundy sixiesme d'avust, ayant faussé la sentinelle de l'ennemi et sauté |