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LE

TUMULTE DE BASSIGNI,

APPAISÉ ET ESTEINCT

PAR L'AUCTORITÉ, CONSEIL ET VIGILANCE

DE MONSEIGNEUR LE CARDINAL DE LORRAINE.

Sur la fin d'avril mil cinq cens soixante et treize, sor tirent des confins de la Belgique, près des Ardennes, environ deux cens hommes, tant de pied que de cheval, gens résolus et de faction, et qui avoient plusieurs grandes intelligences sur le Partois et toutes les villes du Bassigni. Mais, devant que passer, il est nécessaire de sçavoir quelle manière de gens ce pouvoient estre, et leur dessein. C'estoient François de nation, et la pluspart natifs de ces quartiers-là. Leur intention estoit, mis le feu de sédition en divers lieux de ce royaume, d'entretenir les troubles; et voicy comment et pourquoy, ainsi qu'il est à présumer. Aucuns d'entre eux qui, ayant fait leurs affaires (comme l'on dit) peschans en eau trouble, durant la minorité du Roy et de Messeigneurs et pendant les guerres civiles, eussent esté bien aises que les choses prinssent tel traict qu'à la fin on eust fait quelque pacification par laquelle, deux partis estans entretenuz en ce royaume, on seroit contrainct de les endurer de peur de révolte, et que, les faicts passés ne venans point à s'esclaircir par la lumière de justice, on ne vint à les rechercher durant leur vie. Autres estoient huguenots tout outre, qui n'ont autre chose en recommandation que l'avancement de leur party, lesquels se plaisent à veoir deux églises contraires, comme deux corps à un mesme chef, desquelles il faut par nécessité que l'une soit adultère. Mais, estant si bien fardée plusieurs, font mine d'estre bien empeschez à discerner la vraye espouse de Jésus-Christ d'avec la paillarde, comme si le caquet et parolles bien agencées devoient suffire à transmuer le naturel et effaict des choses.

Or, ceux qui veulent double religion et qui suivent tantost Dieu d'Israel, tantost Baal, maintenant communiquent à la table du Seigneur, mais comme Judas, et maintenant à celle de Jézabel, ceux-là, dis-je, seroient marris de voir le monde tout réuny en une église, et ayment mieux, durant ce grand procès et différent qui est en la chrestienté, jouyr de ce qu'ils appellent liberté de conscience (qui est plustost une dure servitude), que, la vérité cogneue et les abuz corrigez, estre contraincts de rendre obéissance à ceux auxquels Jésus - Christ mesme a commandé d'obén. Il y en pouvoit encores avoir d'autres en ceste troupe, qui, par ambition ou inimitié mortelle contre quelques maisons illustres de ceroyaume, eussent bien voulu se maintenir et les leurs, afin de ne tomber jamais, s'ils pouvoient, en la miséricorde de ceux qui se proposent pour ennemis.

Voilà les considérations qui mirent ces rebelles aux champs; reste à déclarer les moiens par lesquelz ils espéroient venir à bout de leur entreprise. Ils avoient retenu de leur maistre, l'amiral Gaspar de Coligni, qui osa un jour dire par grande jactance, en une assemblée honorable, que voleurs et perturbateurs du repos public se jettans en la campagne, ne faut qu'ils s'estonnent ou espouvantent si du commencement leur nombre est petit, c'est comme la pelote de neige, qui devient grosse et pesante à mesure qu'elle est roulée. Incontinent y accourent de tous costez larrons, désespérez, fainéans, et tous ceux qui ne désirent vivre que du labeur d'autruy. Les chefs et principaux de ceste menée avoient de long-temps fort sollicité les estrangers de venir en France, leurs faisans toutes les plus belles remonstrances dont ilz se pouvoient aviser, avec amples promesses de récompenses et butin. Ces estrangers, afin de les contenter et les entretenir en une espérance, importunez de leurs prières et ennuyez de leurs assiduelles sollicitations et requestes, ne les pouvans honnestement esconduire, veu qu'ils n'avoient en la bouche que la défense de l'Evangile et pur service de Dieu (car de ce beau et large manteau ils couvrent toutes leurs tromperies et meschancetez), leur promirent de venir, moyennant qu'ils leur livrassent deux bonnes et fortes places sur la frontière pour seureté et en tout événement, comme Saint-Disier et quelque autre telle. Mes gallans, bien fiers de ceste response, ramassent le plus hastivement et secrètement qu'ils peuvent gens de toutes pars, chantans desjà le triomphe devant la victoire; ils se promettoient de se pouvoir facilement emparer de quelques villes, tant pour les intelligences qu'ils avoient au païs que pour la sécurité ou plustost négligence qu'on voioit à la garde des places. Il leur sembloit desjà que les estrangers les talonnoient, tant se tenoient-ils asseurez de leur baston. De faict, la conspiration est conduicte si secrètement que si l'un d'eux n'eust escrit à un sien frère, pour le sauver, demeurant à Grand, qu'elle eust esté effectuée en peu d'heure. Vray est que messeigneurs le duc de Lorraine et cardinal de Guyse le mandèrent à monseigneur le cardinal de Lorraine; toutesfois on en fut averty un peu auparavant par le moien desdictes lettres.

Ces proditeurs furent plustost veuz en divers lieux que sceuz, mais avec un tel affre, tumulte et espouventement, que chascun s'enfuioit avec femmes, enfans et ce qu'ilz pouvoient emporter; et le pis on ne sçavoit où l'on se devoit retirer. De bonne fortune (comme Dieu prévoit aux choses), monseigneur le cardinal de Lorraine estoit à Joinville, lieu prochain; manda en diligence aux villes voisines de faire bon guet et se tenir sur ses gardes. Cependant furent tuez et massacrez quelques prestres, et quelques march ans et officiers du Roy prins et pillez; dont on estoit de plus en plus esperdu, estimant et croyant le peuple que universellement les villes et forteresses estoient trahies et vendues. Le bruit voloit tout commun que ces avant-coureurs estoient suiviz de huict et neuf mille estrangers. Ledict seigneur cardinal, en la plus grande diligence qu'il peut, se jette dedans SaintDisier, pour asseurer la place, tel estoit l'effroy, et en brief temps. Or, se voians les rebelles descouverts, et leurs entreprinses rompues, se saisissent du chasteau de Choiseul, distant à six lieues de Chaumont. Choiseul jadis a esté duché; le chasteau estoit fort, tant de la nature du lieu que d'artifice des hommes, planté sur le sommet d'une montaigne très haute, toute ronde, quasi inaccessible, et en laquelle mal aisément se pourroit-on aider de l'artillerie. L'ayans ainsi surprins à l'improviste, ils le remplissent de grande quantité de vins de Bourgoigne, lards, froment et autres munitions, pour en avoir

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