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trouvé au bourg d'en bas, chez quelques marchans (car il n'y a village qui ne fust assez bien garny selon le temps I et la saison), et ès environ. Ceste prinse troubla davantage le Bassigni, qui desjà estoit assez esmeu, et mesme tout le reste de la Champagne, de sorte que l'on ne sçavoit que penser, conjecturer, ny moins encores résoudre; occasion que monseigneur le duc de Lorraine fit force gens sous la conduicte de monseigneur le comte de Sainne, lesquelz firent monstres à Neufchastel, prestz, si besoin estoit, de bien et beaucoup faire.

Monseigneur le cardinal, que nous avons laissé à SainctDisier, n'estoit ocieux; il prioit et interpelloit au nom du Roy tous les gentilshommes et autres du païs de se trouver là, pour remédier à ce danger et inconvénient. Ils y abordoient de tous costez; ausquels il faisoit entendre qu'il n'estoit pas icy question de peu de cas, mais de l'église de Dieu, du service du Roy et de la patrie, où estoient en danger leurs femmes, enfans, parens et amis; que ce seroit une pitoiable désolation si l'ennemy venoit une fois à se fortifier ou avoir secours d'ailleurs, veu qu'ainsi foibles comme ils estoient ils avoient desjà tué tant de pouvres gens d'église, vieux et innocens, en leur endroict; que ce seroit chose misérable de voir brusler et abatre tant de beaux temples que la piété et dévotion des premiers chrestiens avoit fait bastir en ces quartiers; que tant de rançons, pillages et violances se feroient que l'on ne sauroit imaginer, et partant que le seul moyen d'éviter tous ces malheurs estoit de s'aller vaillamment opposer aux ennemis, lesquels estoient en petit nombre; qu'il estoit facile de remédier du commencement à la maladie, mais quand elle a prins pied et racine il est bien difficile de la chasser; qu'il falloit donc que chascun s'esvertuast de bien faire. Et

parce que les guerres se font avec les armes des soldats, et avec le conseil des chefs, chacun eust à obéir aux commandemens des seigneurs et capitaines, qui savoient mieux comment il falloit faire, lesquels tous les premiers se présenteroient aux hazards.

Les chefs, d'autre part, leur faisoient de belles remonstrances pour leur donner courage, pour ce qu'on a opinion que gens de ville et non accoustumez aux guerres et combats ne sont pas si asseurez aux dangers que ceux qui ne font autre mestier. M. de Thon, lieutenant pour le Roy par de-là, avoit assemblé le plus de gens qu'il avoit peu et de bons hommes. M. de la Blaignit, président à Chaumont, personnage orné de toute discipline, avoit prié les gentilshommes de la province de n'endurer telle honte et reproche à leur porte. Outre, le capitaine Courtel leva incontinent une compagnie, de façon qu'en peu de temps se dressa une petite armée bien gentille et volontaire; et n'y eut homme à Chaumont, tant noble que bourgeois, qui peust porter armes, qui ne désirast mourir pour la tuition et défense de la patrie et du service du Roy. Ceux de Langres et d'autres villes prochaines suyvirent les troupes libéralement et franche

ment.

Les rebelles huguenots cependant se donnoient du bon temps, pensans estre impossible de les pouvoir desloger de là, pour estre les gens de guerre loing escartez, ou à La Rochelle, ou à Sancerre, ou en Languedoc; mais la célérité et diligence de l'armée et le prompt charroi de l'artillerie les déceut et abusa; car le tout fut assemblé et uni, et jà l'armée marchoit vers eux en bonne dévotion de bien les caresser, devant qu'ils en sceussent rien. Et se passoit ainsi le temps, de sorte qu'on avança tant que les chevaux-légers et gens de pied arrivèrent à l'environ et à la tour du bourg de Choiseul sans que lesdits rebelles s'en aperceussent et en eussent ouy ny senty aucune nouvelle. Tant estoit leur présomption grande et téméraire qu'ils ne daignèrent avoir corps-de-garde, ny sentinelle en païs, ny mesme espies aucunes en toute la contrée; ils cuidoient que à leur arrivée tout le monde s'iroit joindre à eux. Bien avoient-ils mis coches, charrettes et autres bois pour barrer les rues selon l'entrée et occurence; ainsi sans se tourmenter, ny donner peine d'aucune chose, jouoient aux quilles sous les halles.

Mais oyans les tabourins de nos gens de pied, commencèrent à se retirer le grand galop au chasteau, en gens de guerre; et nos harquebusiers de les poursuyvre d'une part et d'autre longuement. Le capitaine Courtel les pressa de si près et les hasta tant d'aller qu'ils n'eurent loisir de fermer les portes de la basse-court après eux ; ils y pensèrent mettre le feu, mais on les empescha; et y en demeura sur le pavé de roides morts tant d'un costé que d'autre.

Estans réduitz et enclos au chasteau, la montaigne fut ceinte et environnée, et partie du camp assis mesme. Assez proche de la poterne de derrière furent mis bons harquebusiers à pied pour y faire tout devoir. Ainsi sont assiégez les gallans.

Vingt ou vingt-cinq hommes de cheval, ausquels desjà ennuyoit d'estre enfermez au chasteau (et si n'y avoit pas guères) firent ouvrir ladicte poterne et commandèrent de deslacher bon nombre de harquebuses à croc et demis mosquets. Ce son et tonnerre espouvanta tellement nos harquebusiers qu'ils se pensoient estre tretous perdus par artifice ou enchanterie; par quoy ils abandonnèrent leur station et quittèrent la place qu'on leur avoit assignée. La cavalerie qui estoit au-dessous courut ailleurs, se deffians qu'il y eust quelque embuscade ou escarmouche. Ce que à l'instant estant descouvert à ceux du chasteau, qui y prestoient l'œil, lesdicts hommes de cheval se sauvèrent, ayans dit auparavant à leurs gens : « Nous allons recognoistre les ennemys et quérir du secours; en brief vous aurez de nos nouvelles. » Sortie toutesfois qui mit en la fin ces misérables au désespoir, combien qu'ils fissent devoir de soldats practi

quez.

L'artillerie arrivée quelques jours après, ils furent sommez; et, se voyans ainsi abandonnez au besoin par leurs gens de cheval, et ayans entendu que leurs compagnons, qui s'estoient emparés de la tour de M. de Malain, l'avoient rendue, auxquels on avoit fait bonne guerre, furent esbranlez et désunis, les uns descendans par les fenestres pour se venir rendre, les autres ne s'y vouloient fier; enfin se rendirent tous sur la foy à belle porte ouverte. Ceux qui l'avoient promise ne leur peurent ou voulurent tenir, non plus que Caïus Marius, consul romain, à Lucius Saturninus en pareil cas; furent livrés à autres pour estre punis, et en fut fait bonne et briefve justice. Aucuns d'entre eux, qui furent réservez quelque temps, déclarèrent qu'on les avoit là amenez pour garder la place au jeune marquis de Bussi, et que pour autre cause ne fussent venuz.

Il ne fut mis la main sur le collet de plus de cinquante ou soixante, tant à Choiseul qu'à Malain, exceptées quelques femmes des leurs. Depuis, se voyans tuer par les soldatz, se repentoient de s'estre rendus si laschement, disans quelques sergens de bande et caporals, que si leurs compaignons eussent esté de leur opinion, que d'un mois ny de deux, voire de trois, on ne les eust chassé de là, estans fournis de deux ou trois caques de poudre qu'ils avoient amenées, et autres munitions à suffisance. Par ce moyen fut rendu le chasteau, par la grace de Dieu et du benoist sainct Jangon, qui fut tué par son adultère, duquel les reliques y sont gardées et honorées par les gens de bien et bons catholiques, et ne voulut souffrir qu'elles fussent pollues par telle manière de gens. Nous en devons aussi remercier, comme j'ay dit, monseigneur le révérendissime cardinal de Lorraine, qui y apporta son auctorité, conseil et vigilance, dont bien besoin fut, considéré le danger qui s'en ensuivoit. Et fut le camp rompu, horsmis que le capitaine Courtel demeura dans le chasteau, attendant la volonté du Roy et avis de son conseil. Et depuis, le commandement du Roy a esté fait de raser la place, où il y a eu plus de cent hommes tuez, tant les murs estoient bons, antiques, bien liez et cimentez, de façon qu'ils ne se sont jamais démentis. L'armée estoit de cinq mille bouches, qui ont tant ruiné le pays, outre ce qu'il estoit desjà en extreme nécessité, qu'il luy couste plus de cent mil livres. Canton de terre affligé de toutes sortes du monde, pour avoir esté depuis dix ans le secours ordinaire de plusieurs armées, de façon que le bon et riche laboureur qui souloit vivre en sa maison à son aise est pour le jourd'huy contrainct de mendier d'huis en huis, ou de chercher des herbes contre la rage de la faim comme des bestes brutes, et le void-on mourir par les chemins de pauvreté ainsi que de belle peste.

J'ay bien voulu sommairement escrire le discours de ces choses ainsi qu'elles se sont faictes et passées, pour servir à ceux qui escriront ces guerres dernières, pour estre ceste-cy vray tumulte qui ne se doit passer sous silence, et leur apprendre la dénomination latine, qui

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