+ MEMORIE + Lettres inédites de G. Verdi à Léon Escudier La Bibliothèque de l'Opéra de Paris possède d'importantes correspondances inédites de Verdi, dont, avec son obligeance accoutumée, feu Antoine Banès, son conservateur, nous avait dès longtemps signalé l'existence: mais les événements nous avaient empêché de nous en occuper. On trouvera ci-après une grande partie des lettres que (au nombre de deux cents) Verdi adressa, entre 1847 et 1877, à son éditeur parisien Léon Escudier. Pendant ces trente nées, Verdi ne cessa de correspondre avec Escudier dans les termes les plus amicaux, et cette correspondance semble avoir été particulièrement active à partir de l'année 1861; du moins ne reste-t-il pas moins de cent-vingt lettres écrites de 1861 à 1869. Ces epîtres, certes, ne brillent pas par un style recherché; elles n'en dépeignent que mieux l'homme tout entier, avec sa franchise un peu rude, son honnêteté foncière, sa simplicité de paysan qui ne l'abandonna jamas; et l'artiste, avec ses admirations et ses antipathies aussi nettes que définitives. Une fois de plus, en lisant ces pages, on peut répéter l'adage de Buffon: Le style est l'homme même ». Aussi bien l'analyse de l'écriture même du compositeur, faite par un graphologue averti, M. Vauzanges, révèle-t-elle les traits de son caractère. L'impression première qui s'en dégage est une vitalité intense, d'une nature particulièrement énergique et vibrante. L'intelligence s'indique comme claire, vive et précise; la culture est visible dans les simplisitions, dans les formes typographiques nombreuses, indices également d'originalité. Le sens critique est assez développé, le goût des contrastes marqué, l'ordonnance bonne. L'inspiration, gracieuse et élevée, se signale surtout par la puissance. Quelques lettres élégantes donnent une certaine distinction, mais l'aspect de l'ensemble du graphisme est, en général, plus énergique qu'élégant. L'écriture du musicien, en somme, présente un caractère plutôt populaire que vraiment aristocratique, contrairement à celles de Haendel, de Rameau, de Gluck, par exemple. Le parler des hommes semble plus familier à Verdi que le langage des héros et des dieux. Une écriture de ce genre révèle un caractère assez entier, ne transigeant pas avec ses convictions, s'y cramponnant au contraire avec entêtement, sans chercher toutefois à les imposer aux autres. La nature est bonne, assez affectueuse, droite, loyale et modérément expansive. Verdi n'aimait pas les importuns et se renfermait volontiers dans le cercle de l'intimité. Le paraphe en colimaçon qui entoure sa signature est révélateur à cet égard et cette signature elle-même, de mêmes dimensions que le texte, ne trahit aucun orgueil. Pendant quarante ans, elles ne varie pas d'une lettre à une autre, signe de constance (1). Nous trouvons les mêmes constatations faites d'après nature par Léon Escudier, dans ses Souvenirs (1863). Chez Verdi, opinait Escudier, les défauts sont les excès de ses qualités. Froidement réservé avec ses simples connaissances, il devenait expansif avec ceux auxquels il avait donné son amitié, amitié à la vie et à la mort. Raide, farouche, renfrogné, ses ennemis disaient que c'était un ours, et le surnom ne semblait pas lui déplaire: il était le premier à en rire. La campagne de Busseto, le domaine de Sant'Agata, où il passait la plus grande partie de son temps, sa correspondance le montre, était le coin du monde qu'il aimait le plus après sa grande patrie, l'Italie, qu'il eut la joie de voir renaître enfin, après des siècles de divisions et de servage. On ne lit pas sans émotion ses lettres de 1866, écrites au moment des luttes suprêmes (1) VAUZANGES, L'Écriture des Musiciens célèbres, p. 192-195. Alcan éditeur. Paris, 1913. pour l'indépendance, non moins que celles qu'il adressait au lendemain de 1870 à son ami parisien. En ce qui concerne la musique, bien que, dans cette correspondance avec son éditeur, Verdi s'occupe surtout des représentations de ses propres ouvrages, qui n'obtinrent pas toujours dès la première heure, les succès qu'ils méritaient, en France, Verdi n'est pas sans faire maintes allusions à ses contemporains. Il s'exprime sur leur compte en peu de mots, mais qui en disent long et sont sans appel. En une ligne, il confesse son admiration pour Berlioz ou Rossini, sa curiosité pour les théories de Wagner; il insiste un peu plus sur Meyerbeer, dont les procédés de réclame, même posthume, répugnaient à son caractère entier et loyal. Auber semble avoir toute sa sympathie, mais Ambroise Thomas lui fait pitié pour avoir accepté l'Hamlet tiré, on sait comment, de Shakespeare par ses librettistes. Shakespeare! ce fut certainement la grande admiration littéraire de Verdi, et il l'exprime à toute occasion avec une conviction absolue, notamment dans les lettres relatives aux représentations de son malheureux Macbeth, en 1865. Après lui avoir emprunté Macbeth, avant Otello et Falstaff, Verdi avait en vue un Roi Lear, il en fit, paraît il, le livret lui-même, dont on retrouva l'autographe, parmi ses papiers, après sa mort. A côté de Shakespeare, ses poètes favoris, sont Schiller, auquel il emprunte Don Carlos et Giovanna d'Arco, Goethe, Calderon, Lope de Vega, Byron, Victor Hugo, qui lui inspire Ernani et Rigoletto. Une fois en possession d'un livret, Verdi le revoyait, le corrigeait à sa guise, sans égard pour la distribution savante des airs et des récitatifs qu'avait combinée son parolier; car il était avant tout homme de théâtre, aimant les contrastes dramatiques plus encore que les effets purement musicaux. Dans ses lettres sur Macbeth, sur Don Carlos, on voit avec quel soin il tient à la vraisemblance de l'action, à l'effet dramatique, en même temps qu'à certains détails d'orchestration, à tel ou tel jeu de scène. Par contre, il ne cesse de vitupérer les mises en scène de l'Opéra parisien, qui ne remplacent pas, à son gré, le feu, l'enthousiasme dont sont preuve de bien moindres scènes de la Péninsule. Lisant beaucoup, il se tient au courant de la production dramatique contemporaine, toujours à l'affût de quelque situation. nouvelle, indiquant à son correspondant tel livre à consulter, l'interrogeant ou lui donnant son avis sur telle pièce ou tel roman nouveau, de Sardou, de Dumas ou de Feuillet. La partition une fois écrite, ou refondue pour une reprise en italien ou une traduction française, Verdi ne détestait rien tant que le travail des répétitions: celles de Don Carlos à l'Opéra, qui le firent rester huit mois en France, lui laissèrent surtout le souvenir le plus pénible, et la grande Boutique, comme il appelait l'Académie impériale de musique, lui devint encore plus odieuse que par le passé. Mais, une fois l'ouvrage en scène, il demandait sans détour, « franchement et loyalement », quel accueil lui faisait le public, n'ayant peur ni des critiques des uns, ni des préventions des autres; ne voulant pas, avec sa conscience d'artiste probe et sincère, être dupe des comptes-rendus de complaisance. Quelques mots maintenant sur Escudier, dont le souvenir est assez oublié aujourd'hui. Escudier, ou plutôt «les frères Escudier »>, - car ils furent longtemps inséparables, étaient alors installés éditeurs de musique, 21 rue de Choiseul, non loin de l'Opéra italien de la salle Ventadour. Originaires de Castelnaudary, l'aîné Léon, était né en 1819, le second, Marie, en 1821 (1). Arrivés fort jeunes à Paris, ils collaborèrent d'abord à la Revue du Nord (fondée en 1835 par Boulay de la Meurthe). Un an plus tard, en décembre 1837, ils fondaient la France musicale, en concurrence à la Gazette musicale de Schlesinger, champion attitré de l'École allemande et particulièrement de Meyerbeer. Dès le début, en face de son aînée, la France se posa en défenseur de l'École italienne, et tout d'abord de Rossini. Les deux frères rédigèrent plus tard, dans le même sens, le feuilleton musical du Pays (1850-1858). Cette dernière année, ils fondèrent à leur tour avec Granier de Cassagnac, un journal quotidien, le Réveil, qui vécut exactement douze mois, et réunit 1.500 abonnés. (Verdi y fait allusion dans une lettre du 22 mars 1858). (1) D'après Fétis, sufvi par Grove, Riemann, etc. D'après le Dictionnaire des Contemporains de VAPERFAU, rédigé en pastie par les personnalités qui y figuraient, les frères Escudier seraient nés à Toulouse, respectivement en 1808 et 1811 (2 édit., p. 624 Paris, 1865). |