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les autres une indulgence dont ils avaient besoin euxmêmes. Mais ils n'en étaient que plus ardens à la persécution. Les barbaries exercées contre les vaudois le sont en vertu de sentences rendues par des juges ecclésiastiques. Des malheureux, à force de tortures ou de séductions, sont conduits à s'avouer coupables ou à désigner de nouvelles victimes. Ils se retractent sur l'échafaud, mais c'est là un des caractères de la sorcellerie: on ne

fournit pas de preuves solides, mais elles sont inutiles; les principaux témoins sont des filles perdues, des gens infames: il ne faut rien dédaigner quand il s'agit d'une sainte cause. Ici s'offrent trois sortes d'accusés: des citoyens riches qu'on veut dépouiller, des magistrats incorruptibles dont on a à se venger, des misérables dont on arrachera de nouvelles accusations et qu'on fera parler comme on le trouvera convenable. A la tête de cette horrible procédure paraissent plusieurs docteurs en théologie avec un jacobin inquisiteur de la foi (1). Cela contrarie l'opinion commune d'après laquelle on s'imagine que l'inquisition était ignorée aux Pays-Bas avant la révolution du seizième siècle. Nous consignerons ici d'autres preuves du contraire. La première est tirée d'un ouvrage intitulé Excellente chronique de Flandre, imprimé en flamand, à Anvers, chez Guillaume Vorsterman, en 1531, en 1531, in-folio. On y lit qu'il y avait, . l'an 1477, à Bruges, un dominicain nommé Eustache Leenwercke, qui était inquisiteur de la foi catholique. Il admonesta un jour, en présence du peuple, un nommé Jean, qui avait été clerc de la paroisse de Beyselare, près d'Ypres. Ce clerc fut condamné à une prison per

(1) Voy. T. III, pp. 10 et sui

pétuelle par des juges ecclésiastiques, quoiqu'il eût mérité, ajouta l'inquisiteur dominicain, d'être livré au bras séculier. Il dit en outre que le criminel aurait dû être brûlé, mais que l'Église lui avait fait grace de ses fautes(1).

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Les lettres d'Érasme sont remplies de plaintes sur la rigueur de l'inquisition des Pays-Bas. Nous les avons rapportées dans un mémoire inséré parmi ceux de notre Académie royale des sciences et belles-lettres. L'homme dont Érasme blâme le plus fortement la cruelle sévérité, est François de Hulst, conseiller laïque de Brabant, dont Antoine Llorente n'a pas négligé de faire mention (2).

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Il s'ensuit que ce fut seulement contre l'établissement régulier de l'inquisition que les Pays-Bas se soulevèrent sous Philippe II. Une bulle de Paul IV et une autre postérieure de Pie IV, y créaient trois provinces ecclésiastiques dont tous les évêchés étaient soumis à la juridiction des archevêchés de Malines, Cambrai et Utrecht : en outre on établissait pour chaque cathédrale douze chanoines, dont trois devaient être inquisiteurs à vie. Cette mesure fut la première étincelle qui embrasa les Pays-Bas en 1562. Llorente remarque que ces peuples soutenaient avec raison qu'ils n'avaient toléré des inquisiteurs depuis 1522, que parce qu'ils les considéraient comme de simples agens temporaires. On a pu se convaincre qu'il devait remonter plus haut.

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- Mon honorable ami M. de Potter, qui semble avoir tout lu, tout examiné et n'avoir rien oublié dans son bel ouvrage sur l'Esprit de l'Église, a consacré en passant' quelques lignes aux Vaudois d'Arras, d'après Monstrelet,

(1) Fol. 198 verso.

(2) Hist. critique de l'Inquisition d'Espagne. T. II, p. 188. Cet Quvrage porte le nom de de Hult, il faut lire de Hulst.

moins curieux ici que Du Clercq. Je rapporterai, dit-il, un passage des chroniques de Monstrelet: il parle, à la vérité, de malheureux qui n'avaient avec les Vaudois, de commun que le nom : mais il parle aussi des persécutions que ce nom excita, et il mérite ainsi, à tous égards, de figurer au milieu des horreurs de la barbarie et du fanatisme (1). «En cette année 1459,en la ville d'Ar>> ras ou pays d'Artois, advint un terrible cas et pitoya»ble, que l'on nommoit Vaudoisie, ne sais pourquoi ; >> mais l'on disoit que ce estoient aulcunes gens, hom>> mes et femmes, qui, de nuit, se transportoient en aul>> cuns lieux arriere de gens, es bois ou es deserts....... et >> trouvoient illecq un diable en forme d'homme, duquel >> ils ne veoient jamais le visage, et ce diable leur lisoit ou >> disoit ses commandements et ordonnances, et comment » et par quelle maniere ils le devoient adorer et servir. >> Puis faisoit par chascun d'eulx baiser son derriere, et >> puis il bailloita chascun un peu d'argent. Et finablement » leur administroit vins et viandes en grandes largesses >> dont ils se repaissoient; et puis tout a coup chascun >> prenoit sa chascune, et en un point s'eteindoit la lu» miere, et cognoissoient l'ung l'autre charnellement ; >>et, ce fait, tout souldainement se retrouvoit chascun en >> sa place, dont ils estoient partis premierement : pour >> cette folie feurent prins et emprisonnés plusieurs no» tables gens de ladite ville d'Arras, et aultres moin» dres gens, femmes folieuses (de mauvaise vie) et aul>>tres, et feurent tellement gehennés (torturés) et si >> terriblement tourmentés, que les ungs confesserent le >> cas leur estre tout ainsi advenu comme dict est (2). »

(1) Esprit de l'Église, T. VI, p. 266.

(2) T. III, fol. 84. Paris, 1572.

Du Clercq, avec sa modération ordinaire, laisse en→ trevoir sa pensée touchant la Pragmatique-sanction. Il ne dissimule pas les abus qu'elle avait fait naître, mais semble apprécier le bien qu'elle devait produire. Il rap porte la satire allégorique que l'on dirigea contre le cardinal d'Albi et que les clercs de l'Université représentérent: c'étaient des rats qui mangeaient les sceaux de la pragmatique et qui, après le repas, avaient la tête rouge. «<< Icelluy cardinal, ajoute Du Clercq, estoit le plus » grand clerc qu'on sceut estre : il estoit grand orateur >>..et grand promecteur, mais tenoit peu ce qu'il pro>> mectoit : il estoit fort convoiteulx et ne lui estoit rien >> impossible a entreprendre, mais qu'il y euist prouf». fit (1). »

Notre auteur ne fournit qu'un exemple des empiétemens du clergé sur l'autorité civile, et il nous convainct que Philippe savait au besoin se faire respecter par les moines.

En 1459, le 23 de mai, «< après disner Jehan Piccavé, >> huissier d'armes de Philippe, duc de Bourgogne, ac>> compagné de plusieurs gens, entra en l'eglise Nostre >> Dame des Carmes, lez Arras, et illecq en rompant et » faisant rompre les huys que on avoit clos contre lui >> feit desmollir et despechier une brasserie que lesdits >> carmes avoient fait faire, par mandement du duc, » impetré a la requette de ceulx de la ville d'Arras, et >> ne l'avoient lesdits carmes vollu desmollir ladite bras» serie, jasoit ce que le duc leur en euist rescript par >> deux fois ou plus (2). » Ces révérends pères essayaient de soutenir un siége, comme représentans de l'Église

(1) T. IV, p. 22.
(2) T. II, p. 345.

militante. En effet les champions du tabernacle tenaient alors la houlette et le glaive. Occupons-nous de ceux qui, par destination, ne défendent que des intérêts profanes et à qui l'épée semble mieux convenir.

Le système militaire était encore trop imparfait pour qu'on pût exécuter avec suite de grandes entreprises et arrêter un plan compliqué. Les seigneurs accouraient avec leurs vassaux, souvent mal équipés, presque toujours mal ou point payés; on pillait le pays, on brûlait des châteaux et des villages, on faisait ce qu'on appelle une pointe, puis l'on se débandait et l'on retournait dans ses foyers. Quelquefois ces gens, une fois armés, restaient en troupe, et, au lieu de servir leur seigneur, faisaient la guerre des grands chemins sous le nom d'écorcheurs ou de retondeurs. Il arrivait aussi que le seigneur ne rougissait pas de s'associer à ce brigandage et d'en recueillir les profits. Tel était ce Guillaume de la Marck qu'on surnomma le Sanglier des Ardennes. Cependant la régularité commençait à s'introduire dans le service. Philippe-le-Bon et sur-tout Charles-le-Hardi eurent une milice permanente. On donna plus d'attention au matériel des armées qui devinrent plus nombreuses. La discipline fut aussi plus sévère et les rivalités des seigneurs qui nuisaient à l'unité, par conséquent à la force du commandement, durent plier sous la main de fer du fougueux Charollois. Lorsqu'il fut maître de Dinant en 1466, il défendit qu'on outrageât les femmes : « Mais il en y »'eut aulcuns qui ne cesserent, desquels le comte en » feit pendre trois..... lesquels, publiquement et en plein » jour, feit venir parmy l'ost trois fois, adfin que chas>> cun prist exemple, et puis les feit pendre a ung gibet.

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