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Qu'on garde la maison, je reviendrai bientôt.
Qu'on ne laisse monter aucune âme là-haut.
Fais porter cette lettre à la poste du Maine.
Prends-moi dans mon clapier trois lapins de garenne,
Et chez nion procureur porte-les ce matin.

Si son clerc vient céans, fais-lui goûter mon vin.
Ah! donne-lui ce sac qui pend à ma fenêtre.
Est-ce tout? Il viendra me demander peut-être
Un grand homme sec, là, qui me sert de témoin,
Et qui jure pour moi lorsque j'en ai besoin :
Qu'il m'attende. Je crains que mon juge ne sorte :
Quatre heures vont sonner. Mais frappons à sa porte
PETIT JEAN, entr'ouvrant la porte.

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PETIT JEAN, prenant l'argent.

Grand bien vous fasse!

(fermant la porte).

Mais revenez demain.

CHICANEAU.

Hé! rendez donc l'argent.

Le monde est devenu, sans mentir, bien méchant.
J'ai vu que les procès ne donnaient point de peine;
Six écus en gagnaient une demi-douzaine.

Mais aujourd'hui, je crois que tout mon bien entier
Ne me suffirait pas pour gagner un portier.
Mais j'aperçois venir madame la comtesse
De Pimbesche. Elle vient pour affaire qui presse.

SCÈNE VII.

LA COMTESSE, CHICANEAU.

Madame, on n'entre plus.

CHICANEAU.

LA COMTESSE.

Hé bien! l'ai-je pas dit?

Sans mentir, mes valets me font perdre l'esprit.
Pour les faire lever c'est en vain que je gronde;
Il faut que tous les jours j'éveille tout mon monde.

CHICANEAU.

Il faut absolument qu'il se fasse celer.

LA COMTESSE.

Pour moi, depuis deux jours je ne lui puis parler.

CHICANEAU.

Ma partie est puissante, et j'ai lieu de tout craindre..

LA COMTESSE.

Après ce qu'on m'a fait, il ne faut plus se plaindre.

Si pourtant j'ai hon droit.

CHICANEAU.

LA COMTESSE.

Ah! monsieur! quel arrêt!

CHICANEAU.

Je m'en rapporte à vous. Écoutez, s'il vous plaît.

LA COMTESSE.

Il faut que vous sachiez, monsieur, la perfidie...

CHICANEAU.

Ce n'est rien dans le fond.

LA COMTESSE.

Monsieur, que je vous die...

CHICANEAU.

Voici le fait. Depuis quinze ou vingt ans en çà,
Au travers d'un mien pré certain ânon passa,
S'y veautra, non sans faire un notable dommage,
Dont je formai ma plainte au juge du village.
Je fais saisir l'anon. Un expert est nommé;
A deux bottes de foin le dégât estimé.
Enfin, au bout d'un an, sentence par laquelle
Nous sommes renvoyés hors de cour. J'en appelle.
Pendant qu'à l'audience on poursuit un arrêt,
Remarquez bien ceci, madame, s'il vous plaît,
Notre ami Drolichon, qui n'est pas une bête,
Obtient pour quelque argent un arrêt sur requête;
Et je gagne ma cause. A cela que fait-on ?
Mon chicaneur s'oppose à l'exécution.

Autre incident: tandis qu'au procès on travaille,
Ma partie en mon pré laisse aller sa volaille.
Ordonné qu'il sera fait rapport à la cour

Du foin que peut manger une poule en un jour :
Le tout joint au procès. Enfin, et toute chose
Demeurant en état, on appointe la cause
Le cinquième ou sixième avril cinquante-six.
J'écris sur nouveaux frais. Je produis, je fournis
De dits, de contredits, enquêtes, compulsoires,
Rapports d'experts, transports, trois interlocutoires,
Griefs et faits nouveaux, baux et procès-verbaux.
J'obtiens lettres royaux, et je m'inscris en faux.
Quatorze appointements, trente exploits, six instances,
Six-vingts productions, vingt arrêts de défenses,
Arrêt enfin. Je perds ma cause avec dépens,
Estimés environ cinq à six mille francs.
Est-ce là faire droit? est-ce là comme on juge?
Après quinze ou vingt ans! Il me reste un refuge;
La requête civile est ouverte pour moi,

Je ne suis pas rendu. Mais vous, comme je voi,
Vous plaidez?

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Deux bottes de foin cinq à six mille livres.

LA COMTESSE.

Monsieur, tous mes procès allaient être finis:
Il ne m'en restait plus que quatre ou cinq petits,
L'un contre mon mari, l'autre contre mon père,
Et contre mes enfants: ah monsieur ! la misère !
Je ne sais quel biais ils ont imaginé,

Ni tout ce qu'ils ont fait ; mais on leur a donné
Un arrêt par lequel, moi vêtue et nourrie,
On me défend, monsieur, de plaider de ma vie.

CHICANEAU.

De plaider!

LA COMTESSE.

De plaider.

CHICANEAU.

Certes, le trait est noir.

J'en suis surpris.

LA COMTESSE.

Monsieur, j'en suis au désespoir.

CHICANEAU.

Comment! lier les mains aux gens de votre sorte!
Mais cette pension, madame, est-elle forte?

LA COMTESSE.

Je n'en vivrais, monsieur, que trop honnêtement.
Mais vivre sans plaider, est-ce contentement?

CHICANEAU.

Des chicaneurs viendront nous manger jusqu'à l'âme, Et nous ne dirons mot! Mais, s'il vous plaît, madame, Depuis quand plaidez-vous?

Depuis trente ans au plus.

LA COMTESSE.

Il ne m'en souvient pas.

CHICANEAU.

Ce n'est pas trop.

LA COMTESSE.

Hélas!

CHICANEAU.

Et quel âge avez-vous? Vous avez bon visage.

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Laissez faire, ils ne sont pas au bout.

J'y vendrai ma chemise: et je veux rien, ou tout.

CHICANEAU.

Madame, écoutez-moi. Voici ce qu'il faut faire.

LA COMTESSE.

Oui, monsieur, je vous crois comme mon propre père.

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Oui, vous prenez la chose ainsi qu'il la faut prendre.

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Si vous parlez toujours, il faut que je me taise.

LA COMTESSE.

Ah! que vous m'obligez! Je ne me sens pas d'aise.

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