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Égale tous les maux que l'on souffre aux enfers.
Et toutefois, ô dieux, un crime involontaire
Devait-il attirer toute votre colère?

Le connaissais-je, hélas! ce fils infortuné?
Vous-mêmes dans mes bras vous l'avez amené.
C'est vous dont la rigueur m'ouvrit ce précipice.
Voilà de ces grands dieux la suprême justice!
Jusques au bord du crime ils conduisent nos pas;
Ils nous le font commettre, et ne l'excusent pas.
Prennent-ils donc plaisir à faire des coupables,
Afin d'en faire, après, d'illustres misérables?
Et ne peuvent-ils point, quand ils sont en courroux,
Chercher des criminels à qui le crime est doux?

SCÈNE III.

JOCASTE, ANTIGONE.

JOCASTE.

Hé bien! en est-ce fait? l'un ou l'autre perfide
Vient-il d'exécuter son noble parricide?

Parlez, parlez, ma fille.

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Rend la paix à l'État, et le calme à votre âme;
Un sang digne des rois dont il est découlé :
Un héros pour l'État s'est lui-même immolé.
Je courais pour fléchir Hémon et Polynice:
Ils étaient déjà loin avant que je sortisse;
Ils ne m'entendaient plus, et mes cris douloureux
Vainement par leur nom les rappelaient tous deux.
Ils ont tous deux volé vers le champ de bataille ;
Et moi, je suis montée au haut de la muraille,
D'où le peuple étonné regardait, comme moi,
L'approche d'un combat qui le glaçait d'effroi.
A cet instant fatal le dernier de nos princes,
L'honneur de notre sang, l'espoir de nos provinces,

Ménécée, en un mot, digne frère d'Hèmon,

Et trop indigne aussi d'être fils de Créon,
De l'amour du pays montrant son âme atteinte,
Au milieu des deux camps s'est avancé sans craintes,
Et se faisant ouïr des Grecs et des Thébains :

« Arrêtez, a-t-il dit, arrêtez, inhumains! »
Ces mots impérieux n'ont point trouvé d'obstacle.
Les soldats, étonnés de ce nouveau spectacle,
De leur noire fureur ont suspendu le cours ;
Et ce prince aussitôt poursuivant son discours :
Apprenez, a-t-il dit, l'arrêt des destinées,

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Par qui vous allez voir vos misères bornées.

« Je suis le dernier sang de vos rois descendu,

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<< Recevez donc ce sang que ma main va répandre,
<< Et recevez la paix, où vous n'osiez prétendre.
Il se tait, et se frappe en achevant ces mots :
Et les Thébains, voyant expirer ce héros,
Comme si leur salut devenait leur supplice,
Regardent en tremblant ce noble sacrifice.
J'ai vu le triste Hémon abandonner son rang
Pour venir embrasser ce frère tout en sang :
Créon, à son exemple, a jeté bas les armes,
Et vers ce fils mourant est venu tout en larmes :
Et l'un et l'autre camp, les voyant retirés,
Ont quitté le combat, et se sont séparés.
Et moi, le cœur tremblant, et l'âme tout émue,
D'un si funeste objet j'ai détourné la vue,
De ce prince admirant l'héroïque fureur.

JOCASTE.

1

Comme vous je l'admire, et j'en frémis d'horreur.
Est-il possible, ô dieux, qu'après ce grand miracle
Le repos des Thébains trouve encor quelque obstacle?
Cet illustre trépas ne peut-il vous calmer,

Puisque même mes fils s'en laissent désarmer?
La refuserez-vous cette noble victime?

Si la vertu vous touche autant que fait le crime,
Si vous donnez les prix comme vous punissez,
Quels crimes par ce sang ne seront effacés?

ANTIGONE.

Oui, oui, cette vertu sera récompensée;

Les dieux sont trop payés du sang de Ménécée ;
Et le sang d'un héros, auprès des immortels,
Vaut seul plus que celui de mille criminels.

JOCASTE.

Connaissez mieux du ciel la vengeance fatale.
Toujours à ma douleur il met quelque intervalle :
Mais, hélas! quand sa main semble me secourir,
C'est alors qu'il s'apprête à me faire périr.

Il a mis, cette nuit, quelque fin à mes larmes,
Afin qu'à mon réveil je visse tout en armes.
S'il me flatte aussitôt de quelque espoir de paix,
Un oracle cruel me l'ôte pour jamais.

Il m'amène mon fils; il veut que je le voie :
Mais, hélas! combien cher me vend-il cette joie!
Ce fils est insensible et ne m'écoute pas;
Et soudain il me l'ôte, et l'engage aux combats.
Ainsi, toujours cruel, et toujours en colère,
Il feint de s'apaiser, et devient plus sévère;
Il n'interrompt ses coups que pour les redoubler,
Et retire son bras pour me mieux accabler.

ANTIGONE.

Madame, espérons tout de ce dernier miracle.

JOCASTE.

La haine de mes fils est un trop grand obstacle
Polynice endurci n'écoute que ses droits :
Du peuple et de Créon l'autre écoute la voix ;
Oui, du lâche Créon. Cette âme intéressée
Nous ravit tout le fruit du sang de Ménécée :
En vain pour nous sauver ce grand prince se perd,
Le père nous nuit plus que le fils ne nous sert.
De deux jeunes héros cet infidèle père...

ANTIGONE.

Ah! le voici, madame, avec le roi mon frère.

SCÈNE IV.

JOCASTE, ÉTÉOCLE, ANTIGONE, CREON.

JOCASTE.

Mon fils, c'est donc ainsi que l'on garde sa foi?

ÉTÉOCLE.

Madame, ce combat n'est point venu de moi,

RACINE.

3

Mais de quelques soldats, tant d'Argos que des nôtres,
Qui, s'étant querellés les uns avec les autres,
Ont insensiblement tout le corps ébranlé,
Et fait un grand combat d'un simple démêlé.
La bataille sans doute allait être cruelle,
Et son événement vidait notre querelle;
Quand du fils de Créon l'héroïque trépas
De tous les combattants a retenu le bras.
Ce prince, le dernier de la race royale,
S'est appliqué des dieux la réponse fatale;
Et lui-même à la mort il s'est précipité,
De l'amour du pays noblement transporté.

JOCASTE.

Ah! si le seul amour qu'il eut pour sa patrie
Le rendit insensible aux douceurs de la vie,
Mon fils, ce même amour ne peut-il seulement
De votre ambition vaincre l'emportement?
Un exemple si beau vous invite à le suivre.
Il ne faudra cesser de régner ni de vivre :
Vous pouvez, en cédant un peu de votre rang,
Faire plus qu'il n'a fait en versant tout son sang;
Il ne faut que cesser de haïr votre frère;

Vous ferez beaucoup plus que sa mort n'a su faire.
Oh dieux! aimer un frère, est-ce un plus grand effort
Que de haïr la vie et courir à la mort?

Et doit-il être enfin plus facile en un autre

De répandre son sang, qu'en vous d'aimer le vôtre?

ÉTÉOCLE.

Son illustre vert me charme comme vous;

Et d'un si beau trepas je suis même jaloux.

Et toutefois, madame, il faut que je vous die

Qu'un trône est plus pénible à quitter que la vie :

La gloire bien souvent nous porte à la haïr;

Mais peu de souverains font gloire d'obéir.

Les dieux voulaient son sang; et ce prince, sans crime,
Ne pouvait à l'État refuser sa victime.

Mais ce même pays, qui demandait son sang,
Demande que je règne, et m'attache à mon rang.
Jusqu'à ce qu'il m'en ôte, il faut que j'y demeure:
Il n'a qu'à prononcer, j'obéirai sur l'heure ;
Et Thèbes me verra, pour apaiser son sort,

Et descendre du trône, et courir à la mort.

CRÉON.

Ah! Ménécée est mort, le ciel n'en veut point d'autre :
Laissez couler son sang, sans y mêler le vôtre;
Et puisqu'il l'a versé pour nous donner la paix,
Accordez-la, seigneur, à nos justes souhaits.
ÉTÉOCLE.

Hé quoi! même Créon pour la paix se déclare?
CRÉON.

Pour avoir trop aimé cette guerre barbare,
Vous voyez les malheurs où le ciel m'a plongé :
Mon fils est mort, seigneur.

ÉTÉOCLE.

Il faut qu'il soit vengé.
CRÉON.

Sur qui me vengerais-je en ce malheur extrênie?

ÉTÉOCLE.

Vos ennemis, Créon, sont ceux de Thèbes même :
Vengez-la, vengez-vous.

CRÉON.

Ah! dans ses ennemis

Je trouve votre frère, et je trouve mon fils :
Dois-je verser mon sang, ou répandre le vôtre?
Et dois-je perdre un fils pour en venger un autre?
Seigneur, mon sang m'est cher, le vôtre m'est sacré :
Serai-je sacrilége, ou bien dénaturé?

Souillerai-je ma main d'un sang que je révère?
Serai-je parricide, afin d'être bon père?

Un si cruel secours ne me peut soulager;

Et ce serait me perdre au lieu de me venger.

Tout le soulagement où ma douleur aspire,

C'est qu'au moins mes malheurs servent à votre empire.
Je me consolerai, si ce fils que je plains
Assure par sa mort le repos des Thébains.
Le ciel promet la paix au sang de Ménécée;
Achevez-la, seigneur, mon fils l'a commencée :
Accordez-lui ce prix qu'il en a prétendu;

Et que son sang en vain ne soit pas répandu.

JOCASTE.

Non, puisqu'à nos malheurs vous devenez sensible,
Au sang de Ménécée il n'est rien d'impossible.

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