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L'un par
l'autre entraînés, nous courons à l'autel
Nous jurer, malgré nous, un amour immortel.
Après cela, Madame, éclatez contre un traître,
Qui l'est avec douleur, et qui pourtant veut l'être.
Pour moi, loin de contraindre un si juste courroux,
Il me soulagera peut-être autant que vous.
Donnez-moi tous les noms destinés aux parjures:
Je crains votre silence, et non pas vos injures;

Et mon cœur, soulevant mille secrets témoins,

M'en dira d'autant plus que vous m'en direz moins.

1300

1305

HERMIONE.

Seigneur, dans cet aveu dépouillé d'artifice,

J'aime à voir que du moins vous vous rendiez justice, 1310

Et que voulant bien rompre un nœud si solennel,
Vous vous abandonniez au crime en criminel.

Est-il juste, après tout, qu'un conquérant s'abaisse
Sous la servile loi de garder sa promesse ?

Non, non, la perfidie a de quoi vous tenter;
Et vous ne me cherchez que pour vous en vanter.
Quoi? sans que ni serment ni devoir vous retienne,
Rechercher une Grecque, amant d'une Troyenne?

1315

Me quitter, me reprendre, et retourner encor

De la fille d'Hélène à la veuve d'Hector?

1320

Couronner tour à tour l'esclave et la princesse ;

Immoler Troie aux Grecs, au fils d'Hector la Grèce?

Tout cela part d'un cœur toujours maître de soi,

D'un héros qui n'est point esclave de sa foi.

Pour plaire à votre épouse, il vous faudrait peut-être

1325

Prodiguer les doux noms de parjure et de traître.

Vous veniez de mon front observer la pâleur,
Pour aller dans ses bras rire de ma douleur.
Pleurante après son char vous voulez qu'on me voie ;
Mais, Seigneur, en un jour ce serait trop de joie ;
Et sans chercher ailleurs des titres empruntés,
Ne vous suffit-il pas de ceux que vous portez ?
Du vieux père d'Hector la valeur abattue
Aux pieds de sa famille expirante à sa vue,
Tandis que dans son sein votre bras enfoncé
Cherche un reste de sang que l'âge avait glacé ;
Dans des ruisseaux de sang Troie ardente plongée ;
De votre propre main Polyxène égorgée
Aux yeux de tous les Grecs indignés contre vous:
Que peut-on refuser à ces généreux coups?

1330

1335

1340

PYRRHUS.

Madame, je sais trop à quels excès de rage
La vengeance d'Hélène emporta mon courage:
Je puis me plaindre à vous du sang que j'ai versé ;
Mais enfin je consens d'oublier le passé.

1345

Je rends grâces au ciel que votre indifférence
De mes heureux soupirs m'apprenne l'innocence.
Mon cœur, je le vois bien, trop prompt à se gêner,
Devait mieux vous connaître et mieux s'examiner.
Mes remords vous faisaient une injure mortelle ;
Il faut se croire aimé pour se croire infidèle.
Vous ne prétendiez point m'arrêter dans vos fers:
J'ai craint de vous trahir, peut-être je vous sers.
Nos cœurs n'étaient point faits dépendants l'un de l'autre ;
Je suivais mon devoir, et vous cédiez au vôtre.
Rien ne vous engageait à m'aimer en effet.

1350

1355

HERMIONE.

Je ne t'ai point aimé, cruel? Qu'ai-je donc fait ?
J'ai dédaigné pour toi les vœux de tous nos princes:
Je t'ai cherché moi-même au fond de tes provinces ;
J'y suis encor, malgré tes infidélités,

Et malgré tous mes Grecs honteux de mes bontés.
Je leur ai commandé de cacher mon injure;
J'attendais en secret le retour d'un parjure;
J'ai cru que tôt ou tard, à ton devoir rendu,
Tu me rapporterais un cœur qui m'était dû.
Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ?
Et même en ce moment où ta bouche cruelle
Vient si tranquillement m'annoncer le trépas,
Ingrat, je doute encor si je ne t'aime pas.
Mais, Seigneur, s'il le faut, si le ciel en colère
Réserve à d'autres yeux la gloire de vous plaire,
Achevez votre hymen, j'y consens.

Mais du moins

Ne forcez pas mes yeux d'en être les témoins.
Pour la dernière fois je vous parle peut-être :
Différez-le d'un jour: demain vous serez maître.
Vous ne répondez point? Perfide, je le voi,
Tu comptes les moments que tu perds avec moi!
Ton cœur, impatient de revoir ta Troyenne,
Ne souffre qu'à regret qu'un autre t'entretienne.
Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux.
Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux :
Va lui jurer la foi que tu m'avais jurée,
Va profaner des Dieux la majesté sacrée.
Ces Dieux, ces justes Dieux n'auront pas oublié
Que les mêmes serments avec moi t'ont lié.

1360

1365

1370

1375

1380

Porte aux pieds des autels ce cœur qui m'abandonne; 1385 Mais crains encor d'y trouver Hermione.

Va, cours.

SCÈNE VI

PYRRHUS, PHOENIX

PHOENIX.

Seigneur, vous entendez. Gardez de négliger
Une amante en fureur qui cherche à se venger.
Elle n'est en ces lieux que trop bien appuyée :
La querelle des Grecs à la sienne est liée;
Oreste l'aime encore; et peut-être à ce prix. .

1390

PYRRHUS.

Andromaque m'attend. Phoenix, garde son fils.

ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE

HERMIONE, seule.

Où suis-je ? Qu'ai-je fait ? Que dois-je faire encore?
Quel transport me saisit? Quel chagrin me dévore?
Errante, et sans dessein, je cours dans ce palais.
Ah! ne puis-je savoir si j'aime, ou si je hais?
Le cruel! de quel œil il m'a congédiée !

Sans pitié, sans douleur, au moins étudiée.

1395

L'ai-je vu se troubler et me plaindre un moment?
En ai-je pu tirer un seul gémissement ?
Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes,
Semblait-il seulement qu'il eût part à mes larmes ?
Et je le plains encore? Et pour comble d'ennui,
Mon cœur, mon lâche cœur s'intéresse pour lui?
Je tremble au seul penser du coup qui le menace?
Et prête à me venger, je lui fais déjà grâce?
Non, ne révoquons point l'arrêt de mon courroux:
Qu'il périsse! Aussi bien il ne vit plus pour nous.
Le perfide triomphe, et se rit de ma rage:
Il pense voir en pleurs dissiper cet orage;

1400

1405

1410

Il croit que toujours faible et d'un cœur incertain,
Je parerai d'un bras les coups de l'autre main.

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