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CHAPITRE V

VIE INTÉRIEURE DE L'ORDRE
AUX XIV & XV SIÈCLES

NOUVELLES FONDATIONS

'EST ainsi que, sous la protection des pontifes romains, l'ordre du Saint-Esprit continuait dans la chrétienté sa mission bienfaisante. Partout il offrait le spectacle d'une régularité exemplaire, unie à la pratique de toutes les œuvres de la charité; partout aussi la sympathie la plus vive, traduite par des fondations nombreuses et d'abondantes aumônes, répondait à son dévouement. D'un côté les œuvres de la charité, de l'autre les libéralités de la reconnaissance, tel est pendant longtemps le résumé de l'histoire de notre ordre.

Sans doute, par suite du malheur des temps, par suite des guerres et des dissensions intestines si fréquentes au moyen-âge, beaucoup d'hôpitaux voyaient leurs œuvres entravées momentanément; mais les fléaux une fois passés, les ruines étaient réparées et l'hospitalité chrétienne refleurissait avec une nouvelle vigueur.

Les services rendus par les innombrables maisons du Saint-Esprit sont incalculables. Le seul hôpital de Dijon,

dans une année de disette et d'affreuse mortalité, hébergea jusqu'à douze mille pauvres; dix mille, en cette même année, furent enterrés dans son cimetière, ainsi que le constate une lettre envoyée au grand maître quelque temps après '.

Les bulles pontificales, les chartes des seigneurs et les donations particulières ne tarissent pas d'éloges sur les services rendus par les frères ; nous en avons cité déjà plus d'un exemple; en voici d'autres: « L'hôpital du SaintEsprit de Besançon, écrit l'archevêque Vital, en 1313, est le réceptacle et le filet qui reçoit tous les pauvres de notre diocèse et de ceux qui l'entourent....... » Un siècle plus tard (1435), Eugène IV et un archevêque de Lyon en font le même magnifique éloge: «< Chaque jour, dit le premier, les devoirs multiples de la charité y sont exercés »; et le second ajoute: « Les pauvres infirmes y sont sustentés; les orphelins nourris et instruits, aux frais de la maison, dans les arts propres à leur permettre de défendre leur vie contre les besoins; les femmes en couches y reçoivent tous les soins nécessaires; tous les passants, de quelqu'état et condition qu'ils soient, y sont accueillis sans préférences, avec piété et miséricorde; les jeunes filles y reçoivent une dot qui leur permet de se marier honorablement. »

L'obituaire de Dijon constate le fait en ces termes : « Anniversaire général pour tous les bienfaiteurs de l'hospital de ceans, tant vifs que morts, et pour tous les trespassez dont les corps sont inhumez au cimetière dud. hospital, dont il y en a eu en la mortalité qui fut en 1438, dix mille inhumez. Animæ eorum requiescant in pace ». - D. Calmelet, ms., chap. IV.

Hospitalis Sancti Spiritus Bisuntini..... pauperum nostre dyocesis et alienarum ibi confluentium... receptaculum et sagenam.... A. Castan, Notice, I, p. 163. Bulle d'Eugène IV, à l'hôp. de Besançon, 6 décembre 1435. A. Castan, loc. cit.

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..... Pauperes infirmi in eodem sustentantur, orphani nutriuntur et artibus debitis quibus vitam deffendant inopem, expensis dicte domus, instruuntur, mulieres in puerperio jacentes relevantur; omnesque ibidem transitum facientes, cujuscumque status et conditionis existant, indistincte, pietatis et misericordie intuitu, recipiuntur, et virgines maritantur.... (Mandatum Amedei de Talaru, archiep. Lugdun., 17 jul. 1437 A. Castan, loc. cit.).

On serait tenté de croire que, pour suffire à des charges qui paraissent si nombreuses et si lourdes, le personnel des hôpitaux dût être très nombreux dans notre ordre, comme dans beaucoup d'autres fondations du même temps. Il n'en est rien; au contraire, il a toujours été dans l'esprit de l'Ordre de restreindre le plus possible le nombre des religieux dans chaque hôpital, et cela dans un double but fort sage et louable: les frères évitaient ainsi le reproche d'employer à leur entretien la meilleure partie des revenus destinés aux pauvres ; et puis, leur petit nombre les tenant sans cesse en haleine, il leur était plus difficile de se laisser aller à la négligence et à la paresse. Dijon, dans le cours des XIV et XVe siècles, n'eut jamais que de six à douze religieux; Besançon ne paraît pas non plus avoir dépassé ce nombre. Les sœurs se trouvaient dans des proportions habituellement un peu supérieures; la présence des enfants et des orphelins à demeure leur donnait des occupations plus nombreuses.

La charité du prochain ne va pas sans l'amour de Dieu; celui-ci en est la source et le mobile. Il n'est donc pas étonnant que nos frères aient été des hospitaliers pleins de dévouement, alors qu'ils se montraient des religieux zélés pour la régularité monastique. « L'office divin et les heures canoniques, tant diurnes que nocturnes, y sont célébrés chaque jour d'une manière très louable '. » Les frères de Dijon s'acquittaient avec tant d'exactitude de cette importante fonction, que le duc de Bourgogne Philippele-Bon se plut à en rendre témoignage au grand maître 3. Ces témoignages abondent pour toutes les maisons et il nous serait facile de les multiplier.

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2

A. Castan, II, p. 194.

Divinum officium et hore canonice, tam diurne quam nocturne, singulis diebus laudabiliter exsolvuntur.... (Mandatum Amedei de Talaru, A. Castan, loc. cit.)

3 Lettre de Philippe-le-Bon, 1453; D. Calmelet, chap. IV.

La sainteté dut fleurir abondamment chez ces humbles religieux et religieuses, dont la vie était ainsi partagée entre la prière et la charité. Si Dieu a jugé à propos de laisser un grand nombre de ces saintes âmes dans l'obscurité et l'humilité qu'elles avaient choisies par amour pour lui, il a pourtant favorisé de grâces extérieures éclatantes plusieurs des enfants de Gui de Montpellier.

Déjà, au XIII siècle, saint Face ou Fazzio s'était distingué au nombre des saints personnages qui donnèrent à cette époque un éclat et une physionomie uniques dans l'histoire.

Il naquit à Vérone, au milieu des troubles civils du commencement du siècle. Des persécutions longues et acharnées le forcèrent à aller exercer sa profession d'orfèvre à Crémone, vers 1226. Là-comme dans son pays natal, la charité occupait la plus grande partie de son temps, si bien qu'on finit par lui confier le soin de la distribution des aumônes de la ville. Pendant qu'il était tout entier adonné à ses œuvres de miséricorde, il apprit que Vérone était plongée à nouveau dans toutes les horreurs des dissensions civiles; il y alla aussitôt, et se fit l'ange de la paix au milieu de ses concitoyens. Mais, comme il arrive trop souvent, son zèle était trop désintéressé pour être regardė comme sincère; des calomnies se répandirent, qui dénaturaient perfidement toutes ses démarches; on finit par le jeter en prison. C'est là que Dieu se réservait de faire éclater sa vertu ; les cachots étaient remplis; plusieurs des prisonniers, minés par les privations de la captivité, se mouraient. La prière du saint les guérit. Le bruit de ces prodiges se répandit bientôt et on se hâta de le remettre en liberté. Voyant cependant que tout son zèle était impuissant devant l'obstination de ses concitoyens, il reprit le chemin de Crémone, y construisit un oratoire et un hôpital du Saint-Esprit, et s'y livra, avec de pieux émules, à toutes les œuvres de miséricorde. Plus tard, il fit le pèlerinage

de Rome et de S. Jacques, et, de retour dans sa seconde patrie, fut nommé par l'évêque Visiteur Général des monastères de son diocèse. Il mourut en 1272, dans son hôpital, auquel il avait donné tous ses biens. De nombreux miracles, opérés pendant sa vie et après sa mort, attestèrent sa haute sainteté 1.

L'hôpital de Foligno, donné à l'Ordre par Clément V, en 1311, fut le théâtre sur lequel brilla la sainteté d'un autre serviteur de Dieu. Le jubilé de 1350, proclamé par Clément VI, avait attiré à Rome des multitudes infinies, venues de tous les pays d'Europe. Au nombre des pèlerins se trouvait un jeune homme que n'avait pas effrayé le voyage de la Hongrie à Rome. Il se nommait Antoine; comme on ignorait son nom de famille, le peuple l'appelait Antoine le Hongrois. La piété l'avait fait entrer dans les rangs du Tiers-Ordre de S. François. Ayant achevé ses dévotions à la ville éternelle, il se mit, suivant le pieux usage des pèlerins, à parcourir les principaux sanctuaires de l'Italie. Arrivé à Foligno, une fièvre maligne le saisit. On le reçut à l'hôpital du Saint-Esprit, où les soins empressés des frères le ramenèrent à la santé. Mais il fut si touché de la charité de ces bons religieux, qu'il résolut de passer sa vie dans leur maison, au service des pauvres, en qualité de frère oblat. Pendant vingt-sept ans, il y donna de tels exemples de charité, de douceur et de patience dans le soin des pauvres, des malades et des orphelins, qu'il faisait l'admiration de tout le peuple. Ses avis étaient écoutés comme les oracles de Dieu même. Sa bienheureuse mort, arrivée le 13 mai 1398, fut un deuil public, et bientôt, à la suite des miracles opérés sur son tombeau, on le regarda comme un saint, et l'on réclama de toutes parts sa canonisation.

Pour honorer la pureté et la charité de son humble

1

Acta SS. Bolland. (1643), jan. II, 210-211 (ed. 3a, 574-575).

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