Francesco Quesada. Ayant reçu sa commission en 1599' ce grave et saint personnage parcourut les deux royaumes confiés à son zèle, et après s'être rendu compte de l'état des hôpitaux et des monastères que l'Ordre y possédait en grand nombre, il y remit la discipline en une vigueur nouvelle. Le rapport qu'il adressa au grand maître fut imprimé dans le même temps', mais il nous a été impossible de le consulter; l'hôpital de Sainte-Marie lui-même ne le possède plus. Sans doute, il eut jeté de vives lumières sur la situation prospère des hôpitaux Espagnols à cette époque. La tâche la plus lourde fut dévolue à un profès de l'hôpital romain: il devait parcourir la France, l'Allemagne et jusqu'à la Pologne. Plus heureux qu'en ce qui regarde ses deux collègues, nous possédons de sa visite une relation officielle et fort détaillée, qui cependant est demeurée manuscrite. C'est cette relation qui va faire l'objet du présent chapitre. Mais il ne sera pas inutile, avant d'en entreprendre l'analyse, de faire connaître notre personnage. Melchior de la Vallée, né à Toul avant 1550, appartenait, dit-on 3, à une famille distinguée par sa noblesse. Frère Jean Gerrier le Vieux, recteur du Saint-Esprit de Toul, avait tenu le jeune enfant sur les fonts du baptême. Cet excellent parrain, optimus patrinus, semble avoir 'Arch, de l'hôp. de Besançon, cas. C, B. 2 P. Saulnier, p. 9. * L'abbé Renard, Hist. ms. de Neufchâteau. Nous ignorons sur quelles preuves s'appuie cet auteur, lorsqu'il inscrit Melchior à la famille de Christophe de la Vallée, qui mourut évêque de Toul en 1607. Il y avait plusieurs familles nobles qui portaient ce nom. A l'une d'elles appartenait un autre Melchior de la Vallée, fils d'un orfèvre de Nancy, qui devint protonotaire et grand-chantre à SaintGeorges de la même ville et mourut vers 1631 (H. Lepage, Melchior de la Vallée, dans les Mém. de la Soc. d'Archéol. Lorraine, 1882, p. 257-310). La similitude des noms semblerait indiquer une parenté entre ce personnage et notre visiteur. L'érudition Lorraine parviendra sans doute à résoudre le problème, que nous ne pouvons que poser ici, au sujet de l'origine d'un homme qui fait honneur à son pays. • Ratio Visitationis. destiné à son ordre l'enfant qu'il avait initié à la vie chrétienne. En 1565, Melchior prit en effet la croix des hospitaliers dans sa ville natale '; puis il se rendit à Rome, afin de puiser à leur source même les eaux vives de la charité. Là, ses qualités brillantes eurent bientôt attiré l'attention du grand maître, qui le nomma, quoique bien jeune encore, recteur de Besançon, la principale maison de l'Ordre au delà des monts (1573). Mais la commune, qui, après avoir installé d'autorité le frère Jean Buffet, n'avait pu réussir à le faire agréer à Rome, empêcha par la force son concurrent de prendre possession, si bien qu'au bout de quatre années de procès et de luttes, compliqués d'appels au parlement et même à l'empereur, Melchior prit le parti de résigner ses droits (1577). Le grand maître le dédommagea en lui donnant l'hôpital de Foligno '. Profond théologien, très versé dans la peinture et la musique, orateur agréable et disert, il se trouvait désigné naturellement par un ensemble de qualités peu communes pour les plus hauts emplois. Dès l'an 1580, il recevait une délégation de visiteur apostolique ; et lorsque le grand maître donna à son zèle un champ plus étendu et l'envoya réformer en son nom les hôpitaux de France, d'Allemagne et de Pologne, il s'y montra constamment négociateur habile et religieux plein de l'esprit de sa vocation. A son retour, il fut chargé de rédiger, à l'aide des archives de l'hôpital romain, un manuel ou Pouillé, par états et provinces, de toutes les maisons appartenant à l'ordre du Saint-Esprit. C'était un travail important, qui l'obligea à lire une masse considérable de documents. Il en vint à bout cependant, et compléta son manuel par une table 'Arch. de Meurthe et Mos., G. 154, Obituaire du Saint-Esprit de Toul; Abbé Renard, op. cit. A. Castan, Notice, II. 179, 197. • Ratio Visitationis. Arch. du Saint-Esprit de Rome, lib. S, fo 39. analytique des principaux actes de juridiction concernant les prieurés de l'Ordre, de 1431 à 1600, date où il achevait ce grand travail '. La confrérie du Saint-Esprit, restaurée jadis par Eugène IV, Sixte IV et Jules III, était retombée dans une sorte de décadence et d'oubli, comme il arrive fréquemment aux institutions de ce genre: frère Melchior entreprit de lui rendre son ancien éclat, et un plein succès couronna ses efforts. Le principe de toutes ses actions, c'était la vertu, qui avait jeté dans son cœur les racines les plus profondes. Aussi passait-il généralement pour un saint. Depuis longtemps son patrimoine était devenu celui des pauvres, et tous les dons qu'il recevait étaient employés invariablement, soit au soulagement des malades, soit à l'achat de pieuses récompenses, destinées à attirer les enfants aux catéchismes familiers qu'il aimait à leur faire. Ses amis lui représentaient-ils que ses vêtements usés ne convenaient point à un homme de sa condition: « Ne me voyez-vous donc pas, leur répondait-il en souriant, quand je monte à l'autel, tout brillant d'or et de soie?» Etant prieur de Foligno, il fit placer (1608) dans une châsse très riche, au dessus du maître-autel, les reliques du Bienheureux Antoine le Hongrois. Singulièrement dévot aux trois rois Mages, dont l'un était son patron, c'était merveille, dit Saulnier, comme il exaltait et imitait leur générosité et leur humilité aux pieds de l'Enfant-Jésus. Il mourut le 6 janvier 1613, le jour même des Rois, auxquels il avait voué un culte si tendre. L'humble religieux, qui n'avait aspiré qu'à une vie obscure et cachée en Dieu, fut après sa mort l'objet des témoignages les plus pompeux de l'estime publique. Il se fit un immense concours autour de sa sainte dépouille, et 'Note écrite à la fin de l'année 1599 par frère Melchior, fo 116. Cet inventaire fort commode nous a été très utile dans nos recherches aux archives de l'hôpital romain, pour satisfaire le peuple, il fallut le conduire à sa sépulture par un long circuit et transformer un simple convoi funèbre en une marche triomphale '. Un tel homme était capable de faire un grand bien, dans une mission comme celle qui lui avait été confiée, grâce à l'ascendant de sa sainteté, grâce aussi à son intelligence et à sa prudence consommée. En le nommant visiteur général, le grand maître avait fait preuve d'un véritable discernement et l'effet répondit à son attente. Le bon religieux se mit donc en route, le 19 juin 1596, muni des lettres du grand maître Salluste Taurusi et d'un bref ampliatif du pape Clément VIII. Pendant le cours de son voyage, qui dura plus d'un an, il prit soin d'en noter jour par jour toutes les circonstances. Cette relation', écrite dans un excellent style, qui témoigne de l'esprit cultivé de son auteur, est d'une lecture fort intéressante et donne de précieux détails sur l'état de l'Ordre dans les régions qu'il parcourut. Les pages suivantes n'en sont que le court résumé. Frère Melchior, en visiteur consciencieux, voulut que le premier acte de sa mission fût la visite de l'hôpital de Foligno, dont il était recteur. Il y ordonna toutes choses pour le temps de son absence et dressa un inventaire des biens, qu'il envoya sans retard au grand maître. Il était le 10 juillet à Florence, dans le but de passer en France par Milan; mais la guerre entre les rois de France et d'Espagne rendait alors le passage fort périlleux. Il dut donc vendre son cheval et se rendre à Gênes par mer ; il gagna ensuite Turin, d'où il traversa les Alpes, se dirigeant sur Lyon par Grenoble. Là non plus, les dangers ne manquaient 'Voir, pour les détails biographiques qui précèdent, P. Saulnier, pp. 75-76. * Ratio seu discursus totius visitationis ordinis Sancti Spiritus in Saxia de Urbe per Galliam et Germaniam, quam frater Melchior de Valle Tullensis, ejusdem ordinis presbiter professus, executioni demandavit ab anno Domini 1596 ad annum 1597, quæ 19 junii ejusdem anni exordium habuit. Arch. de l'hôp. de Besançon, Boite 14, chap. II, no 1, pas: c'étaient les calvinistes, maîtres absolus du Dauphiné; puis Lesdiguières, gouverneur de Grenoble, en lutte avec le duc de Savoie. Il n'y avait pas à reculer cependant. Les compagnons de route de frère Melchior le pressèrent en vain d'écouter les conseils de la prudence et de cacher sa croix : il n'en voulut rien faire, et l'évènement lui donna raison. La croix le protégea et les habitants de Grenoble lui rendirent honneur pour la plupart, ce qui lui donna lieu de composer le distique suivant: Fulminat ira tremens frustra inimice salutis, L'itinéraire normal du visiteur était de passer directement de Grenoble à Montpellier, « siège du célèbre hôpital, d'où dépendent de nombreux prieurés dans cette province et celle de Gascogne. » Mais cet hôpital, aussi bien que la plupart de ceux des provinces de Toulouse, de Narbonne, de Bordeaux, de Bourges et d'Arles, était aux mains des Réformés. Dans ces conjonctures, il ne pouvait s'y présenter sans danger pour sa vie. Il omit donc la visite des très nombreuses maisons du midi de la France, que l'hérésie et les guerres rendaient impraticable, et se dirigea sur Lyon, où il arriva le 3 août. Ses gens l'y attendaient avec ses bagages; ils étaient venus à la suite du cardinal de Florence, légat du Pape près le roi Henri IV. Mais de nouvelles épreuves l'attendaient. Se rendant à Dijon par la Saône, il mit trois jours pour aborder à Châlon, et peu s'en fallut qu'il ne pérît de faim sur son bateau: les gens de guerre avaient si bien dévasté les bords de la Saône, qu'ayant négligé de se munir de vivres à Lyon, les passagers n'en purent trouver sur la route. Heureusement la Providence vint à leur secours, en leur envoyant une assez grande quantité de poissons, qui furent jetés sur le pont par un coup de vent, pendant la nuit. Trois jours encore, et Melchior arrivait à Dijon, traîné dans un chariot. |