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Là, nouveau danger : la peste, qui commençait à sévir dans la région, avait envahi l'hôpital. De plus, frère Pierre Tarlot, qui avait la rectorie de Dijon depuis le mois de janvier de la même année, avait demandé son institution à l'autorité séculière, contre les droits du grand maître. La situation était critique et la tâche du visiteur épineuse et délicate. Déposer l'intrus, c'était se heurter à l'administration de la ville et au parlement. D'autre part, pénétrer dans l'hôpital, sans avoir sondé les dispositions du recteur, c'était compromettre le succès de sa mission. Frère Tarlot, heureusement, mit lui-même un terme à la perplexité du visiteur; à peine eut-il appris son arrivée, qu'il se rendit au devant de lui, accompagné d'un frère, afin de lui souhaiter la bienvenue et de le conduire à l'hôpital du Saint-Esprit. Les difficultés étant ainsi aplanies, Frère de la Vallée commença aussitôt la visite canonique. Nous la rapporterons en entier, afin de donner au lecteur une idée complète de ce qu'était une opération de ce genre au moyen-âge.

Le visiteur commença par se rendre à la chapelle, pour mettre sa mission sous la protection de l'Esprit-Saint; puis il se rendit au chapitre, où l'attendaient deux frères prêtres, trois jeunes novices et cinq sœurs, qui composaient alors le personnel de l'hôpital. Après une exhortation du visiteur sur les quatre vœux et les obligations des hospitaliers, un notaire, qu'il avait eu soin d'appeler, donna lecture de la commission du grand maître et du bref pontifical, que tous reconnurent valables et authentiques. Ces préliminaires achevés, la visite commença. Le visiteur et les frères, revêtus du surplis, de l'étole et du capuce, à la manière des docteurs, puis les sœurs, portant des chapes suivant la coutume du pays, se rendirent processionnellement à la chapelle, précédés de la croix et de deux acolythes. Après le chant du Veni Creator, le visiteur fit ouvrir le Tabernacle et le trouva en état assez décent. Il passa ensuite en revue chacun des autels, ainsi que les fonts du baptême,

dictant au notaire ses observations. Puis il parcourut l'hôpital nouveau, qu'il trouva assez beau et élégant; après quoi il fit la visite de l'ancien. Comme le magistrat de la ville s'était arrogé le droit d'administrer les revenus de l'hôpital pour la plus grande partie, frère Melchior ne voulut point imposer aux religieux de trop lourdes charges à cet égard; il les avertit seulement d'avoir le plus grand soin des malades pour le spirituel, comme aussi de l'administration des sacrements et de l'office divin, ajoutant qu'ils répondraient devant Dieu du moindre manquement.

Le lendemain, le pieux visiteur réunit les sœurs, avec le recteur et un frère conventuel, et dans une longue et touchante instruction, il leur rappela leurs devoirs envers les malades et les enfants. Elles devaient, leur dit-il, recevoir les sacrements de Pénitence et d'Eucharistie chaque mois, suivant la règle de l'Ordre et les prescriptions du concile de Trente. Il enjoignit aussi au recteur de tenir la main à ce que les frères novices en fissent de même. « Ensuite, versant d'abondantes larmes, il leur parla du grand péril où étaient tombées les âmes et l'ordre entier, par la négligence et l'incurie des aînés; c'était là, hélas! ce qui avait causé la perte de presque tous les hôpitaux, tant en France qu'en Allemagne. >>

Le troisième jour, comme la peste menaçait d'envahir jusqu'à sa demeure, frère Melchior prit les dernières dispositions, afin de hâter son départ. Il régla que les croix portées par les frères et les sœurs et qui étaient en drap d'argent, ne seraient qu'en toile blanche, suivant l'usage de Rome; que l'office serait récité selon l'usage romain et le bréviaire réformé du Concile; que pendant le repas de la communauté, on ferait une lecture de l'Ecriture sainte ou d'un livre spirituel. Enfin il fit remise à la maison des tributs ou responsions en retard et promit même pour l'avenir des faveurs du grand maître, en considération de ses charges et de sa pauvreté. Il fit aussi dresser l'inventaire des

meubles et ornements de la chapelle, qu'il trouva assez richement garnie ; quant à l'inventaire des revenus et biens de l'hôpital, il n'en put obtenir qu'un aperçu sommaire, à cause de l'opposition des magistrats; il lui parut que ces revenus pouvaient monter à 150 livres d'or, outre les grains et le vin, qui suffisaient à peine à la consommation courante. Ayant fait signer au concurrent de frère Tarlot, nommé par le Pape, une renonciation à son titre, moyennant un dédommagement convenable, il célébra une messe solennelle suivie de la procession, recommanda de nouveau aux frères et aux sœurs la charité, la concorde, le zèle de leur état et se remit en route (11 août).

Il avait eu soin de faire rédiger par le notaire un acte authentique de toute sa visite; cet acte, signé des parties et de plusieurs notables, qui avaient assisté à la visite, fut déposé aux archives de l'hôpital'.

Les prieurés de Tonnerre, Bar-sur-Aube, Sainte-Sévère, «<et d'autres encore qu'il ignorait, » se trouvaient dans ces régions; mais la peste, et plus encore, les bandes de soldats et de voleurs en rendaient la visite si périlleuse, qu'il dut passer outre sans les voir. La Franche-Comté lui était fermée aussi par la contagion et l'effervescence causée par la guerre entre cette province et la Lorraine. Le temps n'était vraiment pas favorable à une mission comme celle de Melchior de la Vallée. Sans se décourager, il se promit de revenir sur ses pas plus tard, et s'arrêtant à peine à Neufchâteau, en Lorraine, il arriva à Toul, «< son pays natal, » le 15 août, fête de l'Assomption. Les religieux le reçurent avec joie, et une bonne partie des habitants vinrent lui souhaiter la bienvenue. Sa première visite fut pour l'évêque de la ville, auquel il exposa le but de son voyage. Les jours suivants furent consacrés à la visite, et

'Frère Calmelet l'a inséré dans son ouvrage.

vraiment l'hôpital avait grand besoin de réforme. Son personnel se composait de six religieux, qui firent de grandes plaintes de leur prieur, frère Désiré des Bœufs ; ces plaintes étaient du reste appuyées par l'évêque et par toute la ville, et à bon droit. Rien n'était en ordre dans la chapelle : les calices rompus, les ciboires rongés de rouille, les ornements en lambeaux, l'église toute noircie par la fumée, six belles cloches muettes faute de cordes, tel était le tableau lamentable qui s'offrit aux yeux du visiteur. Dans l'hôpital, quatorze enfants, sous la garde d'une femme à gages, avaient à peine de quoi se couvrir; son premier soin fut de leur distribuer des vêtements et de renouveler les draps et les couvertures des lits. Il fit ensuite décorer à ses frais la chapelle et la pourvut de

nouveaux ornements.

Mais le plus difficile de sa tâche n'était pas accompli. Un jour qu'il se disposait à se rendre à l'invitation de l'abbé d'un monastère du voisinage, il fut abordé par le recteur, suivi de témoins et d'un notaire, qui lui donna lecture d'un long factum de protestation contre la visite, comme faite sans pouvoirs et nulle par conséquent. Le visiteur se contenta de mettre en pièces la copie qui lui était présentée et de réprimander le notaire, pour s'être prêté à une procédure contre un visiteur apostolique, dont les jugements sont sans appel. Néanmoins, plus inquiet qu'il ne voulait le paraître, il résolut d'attendre, pour terminer la réforme de cette maison, son retour d'Allemagne, espérant que le temps amènerait une détente dans les esprits. Mais avant son départ, il pria l'évêque de veiller pendant son absence au bon ordre de l'hôpital et lui

nom toutes les

donna plein pouvoir de prendre en son mesures nécessaires, et même de ne point reculer devant l'incarcération des mutins. La précaution était bonne : quelques jours à peine s'étaient écoulés, que déjà les religieux se soulevaient de nouveau contre leur prieur, et que l'évêque,

le jugeant incapable de rester plus longtemps à la tête de la maison, se voyait obligé de le mettre au secret.

Ayant donc quitté Toul le 17 septembre, accompagné d'un religieux et d'un serviteur, frère Melchior arriva à Strasbourg, puis le 20 à Steffansfeld. Cet hôpital, assez considérable, était situé entre Strasbourg et Haguenau, dans une plaine entourée partout d'épaisses forêts. L'hérésie y avait exercé ses ravages, et le plus grand nombre des habitants s'étaient laissés séduire. Cependant l'hôpital subsistait toujours et se trouvait même dans une assez bonne situation. Son recteur, frère Henri Groscopff, reçut le visiteur avec empressement. La visite s'accomplit comme à Dijon; les exhortations pressantes de frère Melchior firent passer dans le cœur du recteur et des quatre frères conventuels le zèle dont il était dévoré. Il entra dans de minutieux détails sur Toffice, le chant, le calendrier, la parfaite exécution des fondations de messes et d'anniversaires, qu'il offrit de faire réduire par le Pape, suivant les décrets du concile de Trente, au cas où le personnel de la maison serait insuffisant pour en supporter la charge. L'hôpital était occupé par quatorze enfants au berceau et cinq jeunes filles, employées aux soins de la maison et des enfants, sous la conduite d'une femme âgée et discrète. Le visiteur recommanda qu'on leur fit apprendre un métier qui leur permit de gagner leur vie plus tard, sans péril pour leur foi et leurs meurs. Il chargea l'un des frères de leur expliquer la doctrine chrétienne; de plus, tous les dimanches, à la grand messe, devait avoir lieu une instruction, destinée à prémunir les catholiques contre l'hérésie et à ramener les berétiques secrets ou déclarés, reçus à l'hôpital; car tous les hôtes devaient étre contraints par le prieur d'assister aux offices du dimanche. Le revenu total de la maison se montait à quatre mille florins Rhénans de deux au ducat d'or de la Chambre, et à 579 quartaux environ de froment; le vin suffisait à peine au quart de la consommation. Les

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