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solennellement, avec l'assistance du prieur de Steffansfeld. Enfin, ayant mené à bien ces négociations épineuses et fait les recommandations utiles, il prit congé des religieux et du terrible recteur. En quittant le couvent, remarque-t-il, il sembla à ses compagnons qu'ils sortaient d'une prison, tant était grande la contrainte respectueuse imposée par le visage olympien de frère Balthazar Meyer.

Frère Melchior aurait bien désiré visiter toutes les maisons existant en Allemagne, mais il dut se résigner à rentrer en France, sur l'avis de frère Henri Groscopff que toutes étaient tombées au pouvoir des hérétiques, soit par la force, soit à la mort des prieurs, que l'incurie des visiteurs nommés pour l'Allemagne avait laissés sans remplaçants. Laissant donc la visite des hôpitaux de Neumarkt, de Pfortzheim, de Gromingen, de Berne en Suisse, de Worms, et d'autres plus éloignés, il reprit le chemin de Steffansfeldt. Là, des lettres l'attendaient, qui lui apportaient de mauvaises nouvelles de Toul. Les frères s'étaient révoltés de nouveau à son départ, comme nous l'avons dit, et la maison menaçait ruine, malgré les efforts de l'évêque. Sa présence était urgente, et il y partit en toute hâte. Arrivé à Toul, il prit en main le gouvernement de la maison. Plusieurs profitaient de la faiblesse et de l'incapacité du recteur pour mettre le désordre partout; il se vit contraint de les châtier avec rigueur : le recteur fut déposé et le grand maître ne tarda pas à lui donner un successeur. Un long séjour fut nécessaire au frère de la Vallée pour rétablir l'ordre et la discipline dans cette maison, qu'il aimait comme le berceau de sa vocation. Ayant achevé ce laborieux ouvrage à force de prudence et de vigilante fermetė, il alla passer trois jours dans la ville de Vaucouleurs, qu'il n'avait fait qu'entrevoir, lors de son premier passage. La maison était aux trois quarts ruinée par les désastres des guerres, et l'hospitalité était des plus restreintes, par suite de l'état des revenus, qui suffisaient à peine à l'entretien du prieur et d'un coadjuteur, son neveu.

L'état de la province avait obligé frère Melchior, l'année précédente, à remettre la visite de Besançon; cet état de troubles ne s'étant pas sensiblement modifié, il lui fallut malgré tout procéder à sa mission. Mais la haine entre Bourguignons et Lorrains n'était pas le seul, ni même le plus grand obstacle. On se souvient que frère Melchior avait été, douze ans auparavant, nommé par le grand maître, commandeur de Besançon, tandis que la commune installait frère Jean Buffet, religieux de l'hôpital. Les débats avaient été fort mouvementés. Melchior de la Vallée, qui n'osait se présenter en personne, délégua, pour prendre possession en son nom, François de Chassagne, chanoine du grand chapitre de Besançon; mais toutes ses tentatives échouèrent. Jean Buffet fut alors cité en cour de Rome; la commune lui ayant intimé l'ordre de ne pas comparaître, il encourut, par contumace, l'excommunication, et la sentence fut placardée dans les lieux publics de Besançon. François de Chassagne, auteur de cette infraction aux privilèges de la commune, fut sommé de venir répondre de sa conduite devant le conseil de ville; mais le chapitre prit fait et cause pour son membre, et lui ordonna de faire défaut, comme exempt de toute juridiction laïque. Il n'en fut pas moins condamné, ainsi que le frère Melchior, à une forte amende. Alors le chapitre, se considérant comme lésé dans l'un de ses membres, porta plainte par devant le roi d'Espagne ; la commune riposta par un appel à la cour d'Empire'. La médiation du parlement fut impuissante; il ne fallut rien moins, pour apaiser ce conflit de juridictions, que l'intervention du fameux Don Juan d'Autriche, qui députa, à cet effet, au nom de l'empereur, François de Vergy, gouverneur et capitaine général du comté de Bourgogne, le président du parlement de Dole et deux autres personnages considérables.

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Une ambassade aussi solennelle ne pouvait manquer d'aboutir; le chanoine fut amnistié « en mémoire du glorieux Charles-Quint et par déférence pour la maison d'Autriche », à condition d'obtenir la levée de l'excommunication pour Jean Buffet; ce dernier abdiqua la charge et la remit à François de Chassagne, auquel frère Melchior avait auparavant cédé ses droits. Le traité fut conclu le 2 juillet 1578 et annoncé par une volée de la cloche Portejoye, suivie d'un Te Deum. Le soir, pendant un brillant souper que la ville offrit aux membres de l'ambassade, au cardinal-archevêque et à quelques-uns des chanoines, les trompettes et l'artillerie municipales se firent plusieurs fois entendre. Les frais de ce long procès furent partagés entre l'hôpital et la commune; cependant celle-ci ne put se défendre de la satisfaction toute illusoire de condamner le premier auteur de la querelle, frère Melchior, au remboursement total de la dépense'.

On comprend qu'après un tel éclat, le visiteur était assez peu soucieux de se présenter dans la ville. Arrivé à quelque distance, il envoya prier le conseil de lui accorder un sauf-conduit pour accomplir sa mission. Sa demande souleva un orage; quelques-uns ne parlaient de rien moins que de le retenir prisonnier jusqu'à libération complète de l'amende à laquelle il avait été condamné. Devant une pareille obstination, le visiteur jugea prudent de ne point franchir les murs de la ville et se contenta d'appeler les frères et le commandeur dans leur résidence d'Ecole, située dans le voisinage. La messe et le Veni Creator terminés, il s'enquit de l'état de la maison; on lui répondit que la ville s'était emparée, depuis près de trente ans, de la majeure partie des revenus et avait réduit les religieux au soin des enfants abandonnés et à la réfection des voyageurs ; qu'il

* Pour tout ce débat, voy. A. Castan, Notice, II, pp. 179-180; — Ratio visitationis, sur la fin.

n'y avait d'ailleurs pas à songer à rétablir les choses dans leur ancien état ; quant à la discipline et à la régularité des religieux, elle était satisfaisante; la maison était plus prospère au spirituel qu'au temporel. Avant le départ du visiteur, «<les religieux revinrent à Ecole, avec du vin et des provisions de bouche, annonçant qu'ils voulaient prendre leur repas avec lui; ce qui fut accepté avec joie. Tout se passa, suivant les usages du pays, gaiement et décemment. Deux religieux diacres, âgés d'environ trente ans, servaient à table. Sur l'ordre que leur donna le visiteur d'y prendre place, ils répondirent que cela ne leur était pas permis, et de plus, que l'usage du vin ne leur ayant pas encore été accordé par le recteur, ils ne buvaient que de la piquette, de la bière ou de la cervoise. Frère Melchior, admirant que des hommes de cet âge et de cette qualité se soumissent à un semblable régime, pria le maître de leur accorder, pour cette fois et en considération de sa présence, à chacun un setier de vin. >>

Le dernier acte de frère Melchior fut d'instituer frère Henri Treffard, le recteur de Besançon, vicaire général du grand maître dans les Gaules, les Bourgognes et la Lorraine; le grand maître confirma ensuite cette nomination en y ajoutant des prérogatives et une juridiction très étendue. « C'était à bon droit, dit-il, car ce recteur est le plus puissant de tous en ces contrées, par le nombre de ses prieurés et dépendances; l'hôpital de Toul lui-même lui est soumis, ainsi qu'il nous l'a prouvé par des documents authentiques. >>

Des nombreux hôpitaux situés en Franche-Comté, le visiteur, par suite de l'état de la province, ne put voir que celui de Gray, situé sur sa route. Il reçut là, des magistrats et de beaucoup d'habitants, une foule de plaintes sur la mauvaise administration du recteur, Martin Jobelot; mais le temps ne lui permit pas de lui faire son procès; il en chargea le commandeur de Besançon, supérieur de l'in

culpé; il se contenta d'exhorter instamment ce dernier à changer de vie et à prendre plus de soin du bien des pauvres, dont il répondrait devant Dieu au jour du jugement. Tout, dans cette ruine, n'était cependant pas imputable au recteur; car peu auparavant, les magistrats l'avaient obligé à brûler ou à jeter à la Saône les lits, draps, couvertures et tout ce qui avait servi aux pestiférés, ainsi que l'attestèrent des témoins dignes de foi.

Continuant sa route, le visiteur arriva à Dijon, où le grand maître lui avait écrit de passer de nouveau, afin de s'assurer si certains articles de la réforme, auxquels il tenait beaucoup, avaient été insérés dans son acte de visite. Il ne put entrer dans l'hôpital: la peste était toujours maîtresse de la ville; les portes de l'hôpital avaient été fermées et deux sœurs y soignaient les pestifėrės; déjà quatre des religieux avaient payé leur dévouement de leur vie. Le recteur demeurait en dehors de la maison avec trois sœurs. Il eût été souverainement imprudent de s'attarder à Dijon; frère Melchior se mit en devoir de terminer au plutôt sa mission, en retournant à Toul.

Une aventure qui aurait pu avoir des suites graves, lui advint à trois lieues de cette ville: deux soldats Bourguignons, du parti d'Espagne, le dévalisèrent, lui et son serviteur, et lui enlevèrent son cheval. Fort heureusement le gros de la troupe les suivait de près; l'officier, qui était italien, après un long interrogatoire, lui fit rendre ses bagages et le laissa aller; cette fois encore il en fut quitte pour la peur; mais il eut soin de prendre, pour se rendre à Neufchâteau, une route moins fréquentée. Frère Philippe Luzurier était prieur de l'hôpital de cette ville et le gouvernait avec un grand talent; il fallait toute son industrie pour le relever de ses ruines. Afin de ne point augmenter ses dépenses, le visiteur se contenta d'une visite sommaire et laissa au commandeur de Besançon le soin de parfaire la réforme. Comme les prieurs de toutes les

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