Les chevaliers se lassaient de tant de démarches, dont les résultats étaient loin de compenser les peines et les frais. Sur ces entrefaites, ils perdirent, par la mort du grand maître Louvois, leur plus ferme appui (1691). Louis XIV, n'ayant plus pour l'influencer l'impérieuse volonté de son ministre, comprit, avec son grand bon sens, qu'il était allé trop loin, et qu'au lieu de supprimer les hôpitaux, il fallait tenter de vigoureux efforts pour rétablir l'hospitalité, interrompue sur tous les points du royaume, au grand préjudice des malheureux. Aussi rendit-il, au mois de mars 1693, un nouvel édit, par lequel il révoquait celui de 1672 et restituait aux ordres supprimés leur existence légale et leurs biens. Les considérants de cet édit sont remarquables. Le roi constate que l'union des biens hospitaliers à l'ordre de Saint-Lazare n'apportait presqu'aucune utilité aux officiers de ses troupes qui en jouissaient à titre de commanderies, et cela à cause des difficultés créées par une multitude de contestations et de procès; que les ordres hospitaliers et militaires supprimés « ne pouvant être regardez comme entièrement éteints, il seroit juste de leur rendre lesdits biens et revenus, sauf à être pourvu à la réformation des abus qui s'y sont glissez ; » qu'il ne pouvait rien faire enfin de plus digne de la justice et de la charité, que de laisser les revenus des hôpitaux « pour être employez à la subsistance des pauvres des lieux, suivant l'esprit et l'intention des Fondateurs, en y établissant une bonne administration pour l'avenir 1. » Les débats occasionnés par l'édit d'union eurent pour résultat d'attirer l'attention de Louis XIV sur l'abandon général de l'assistance hospitalière. Il y avait en France une multitude d'hôpitaux et d'hospices de toute espèce, et pourtant c'est à peine si les classes indigentes en tiraient 'Diplomata, II, p. 148. quelque secours. La principale cause en venait des guerres, qui depuis deux siècles désolaient le pays, et dont les établissements de bienfaisance avaient souffert plus encore que les particuliers; les revenus échappés à la dévastation étaient si modiques, que la plupart du temps ils suffisaient à peine à l'acquittement des services religieux annexés aux fondations pieuses, si bien qu'il ne restait rien pour le service des malades et des pauvres. Pour remédier à un si grand mal, le roi conçut une vaste opération qui, bien qu'elle ait passé inapercue de la plupart des historiens, n'en est pas moins un des actes les plus utiles de son administration'. Par son édit du 24 août 1693, il ordonna que tous les hôpitaux, maladreries, lėproseries qu'il avait concédés à l'ordre de Saint-Lazare en 1672, seraient rendus à leurs anciens possesseurs, à charge d'y rétablir l'hospitalitė. Mais comme un grand nombre n'avaient que des revenus fort insuffisants, l'édit disposa qu'ils seraient supprimés, et leurs biens unis aux maisons les plus considérables dans chaque région, avec obligation toutefois pour celles-ci de recevoir les malades des lieux où se trouvaient les hospices supprimés, dans la proportion des revenus annexes. Cet édit fut exécuté, et partout, «< au lieu de dix maisons qui dépérissaient, on en eut ainsi une ou deux seulement, mais qui furent florissantes'. » Ce furent les hôpitaux généraux, établis à l'instar de l'hôpital général de Paris, qui héritèrent presque partout des petits hospices. Cette fois le Pape ne fit pas d'opposition, parceque la mesure était vraiment bienfaisante et que les biens hospitaliers conservaient leur destination primitive, sans être convertis à un usage étranger et profane. 'A. d'Arbois de Jubainville, Etudes sur les documents...... conservés dans les archives des quatre petits hôpitaux de la ville de Troyes Mém de la Soc. d'Agric. de l'Aube, 1857). - L. Gautier, Histoire de la charité, p. 65. L. Gautier, loc. cit. A la mort de l'évêque de Césarée, arrivée en 1671, comme nous l'avons dit, l'abbé Morin du Colombier, aumônier du roi, se fit pourvoir, par bref de Clément X, de la commanderie de Montpellier, vacante depuis quarante ans, disait-il, à charge de prendre l'habit et de faire profession dans l'ordre régulier du Saint-Esprit. Sur ces entrefaites, survint l'édit d'union de l'ordre du Saint-Esprit à celui de Saint-Lazare. Nonobstant cet édit, l'abbé Morin obtint, au mois de janvier 1673, de François-Marie Phoebus, archevêque de Tarse et grand maître de Sainte-Marie in Saxia, une provision de vicaire et visiteur général en France. Mais cette faveur n'eut d'autre effet que de lui procurer un séjour de huit années à la Bastille. Le sieur de La Coste, qui se dit ensuite grand maître, de par le choix des chevaliers, reçut également du Conseil d'Etat, en 1689 et 1690, défense de prendre ce titre '. Cependant l'édit de 1693, qui rétablissait l'ordre du SaintEsprit, eut pour effet de donner une nouvelle impulsion aux prétendus chevaliers. Le roi leur accorda pour grand maître, quoique le Pape eût refusé d'envoyer les bulles, un puissant personnage, l'abbé de Montmorency-Luxembourg. Leur nombre grossissait tous les jours des hommes qui n'avaient aucun droit légitime, en vertu des titres de Vicaire Général, de Chancelier, de Vice-Chancelier et mème de Vicaire Généralissime qu'ils s'attribuaient, créaient de nouveaux chevaliers. Ils y en avait qui prenaient le titre d'Anciens Chevaliers, et qui ne regardaient les autres que comme des intrus dans l'Ordre. Parmi ces chevaliers anciens, il y en avait qui se disaient premiers Officiers d'épée. On y voyait des Chevaliers de grâce, des Chevaliers d'obédience, des Chevaliers servants et de petits Officiers..... 'P. Hélyot, op. cit, t. II, p. 210. Dans un chapitre tenu au Grands Augustins de Paris, en 1692, ils avaient délibéré qu'on ne recevrait aucuns chevaliers, qu'ils ne payassent à l'Ordre six Les religieux réguliers, qui n'avaient jamais fait cause. commune avec les chevaliers, avaient tout à craindre de leur insatiable avidité. Aussi, encouragés par le succès qu'ils avaient obtenu dans l'affaire de l'abrogation de l'édit d'union à l'ordre de Saint-Lazare, abrogation dûe en grande partie à leur opposition, ils résolurent d'achever l'œuvre de restauration de l'Ordre en poursuivant l'extinction de la milice des pseudo-chevaliers, qui aurait fini par anéantir toutes les maisons régulières. La lutte fut vive. Les réguliers déléguèrent à Paris, pour faire toutes les démarches nécessaires, un habile religieux de Besançon, frère Etienne Grandvoynet, recteur de Steffansfeld; l'abbé de Luxembourg défendit sa milice. Enfin, après six années de discussions et de débats, les commissaires du Grand Conseil rendirent leur sentence, et un arrêt du 10 mai 1700 déclara l'ordre du Saint-Esprit purement régulier et hospitalier, rapporta, comme nul et de nul effet, le brevet de grand maître accordé à M. de Luxembourg, et fit défense à tous ceux qui avaient pris la qualité d'officiers et de chevaliers du Saint-Esprit, de prendre à l'avenir ces titres et d'en porter les insignes '. Atterrés par cet arrêt, les chevaliers ne perdirent pourtant pas encore toute espérance. Le roi avait résolu de ne point désigner de grand maître avant d'avoir avisé au meilleur moyen de relever l'Ordre. Il nomma, le 15 janvier 1701, une commission, dont faisaient partie l'archevêque de Paris, Bossuet, le P. de la Chaise, l'abbé Bignon. La Reynie et d'Aguesseau, pour lui rendre compte de la situation des maisons. à l'aide des titres que les recteurs avaient ordre de produire. En vertu de cet arrêt et de celui du 25 cents livres au moins, les chevaliers de grâce, douze cents livres, les chevaliers d'obedience, servants et autres petits officiers. quatre cents livres.-P. Helyot, op. cit., p. 211-212. 'Diplomata, 11, p. 201 mai 1705, frère Joseph Dupont, religieux de Besançon et recteur de Dijon, se rendit à Paris en 1706, muni d'une procuration des commandeurs et religieux de Besançon, tant en leur nom qu'en celui des recteurs de Dole, Poligny, Neufchâteau, Vaucouleurs, Saint-Julien, Arlay et Orgelet, tous en dépendant'. De leur côté, les chevaliers tentèrent un dernier effort et persuadèrent au duc de Chatillon, troisième fils du maréchal de Luxembourg, de postuler pour lui-même le titre de grand maître, qu'il n'avait pas vu sans regret enlever à son frère. Le procureur des réguliers, frère Dupont, était profondément dévoué à son ordre; mais, appréhendant le crédit du duc de Chatillon, il commit la faute d'entrer dans les propositions de ce seigneur. Il promit, au nom des réguliers, qui ne lui avaient point donné tant de pouvoir, de ne pas se prévaloir de l'arrêt de 1700 et consentit à ce que l'Ordre fut mixte, c'est-à-dire composé de chevaliers et de réguliers, qui auraient à leur tête un grand maître séculier, assisté d'un grand prieur ecclésiastique, nommé par les religieux et confirmé par le Pape'. Heureusement, cette complaisance n'eut pas de suites fâcheuses; les commissaires reconnurent le bien fondé de l'arrêt de 1700 et le roi en confirma purement et simplement la teneur, le 4 janvier 1708'. Cet arrêt fut la base de la conservation des derniers hôpitaux du Saint-Esprit'; plusieurs furent même recouvrés, parmi lesquels ceux d'Angers et d'Auray. Enfin, faisant 4 Pendant le temps de l'union de l'Ordre à celui de Saint-Lazare, les religieux ne conservaient que dix maisons: Dijon, Bar-sur-Aube, Besançon, Arlay, Dole, Gray, Poligny, Rouffac, Steffansfeld, Wimpfen; en 1708, l'Ordre en avait recouvré six: Chaussin, Fouvent, Neufchâteau, Orgelet, Saint-Julien, Vaucouleurs treize autres lui furent rendues de 1708 1743 Aix, Agen, Angers, Audignon, Auray, Confolens, Largentière, Mèze, l'Ile en Jourdain, Maubourguet, Montpellier, Sainte- Sévère, Tonnerre. Idée générale, p. 48-49. |