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droit aux prières des religieux, Louis XIV leur accorda pour grand maître un personnage éminent et capable de les protéger efficacement: le cardinal de Polignac. Ce fut le dernier acte du monarque à l'égard de l'ordre du Saint Esprit, auquel il avait fini par rendre justice. Le brevet de grand maître fut expédié au cardinal par le Régent (3 novembre 1716), malgré toutes les démarches du duc de Chatillon'. Il n'obtint cependant ses bulles qu'en 1733, par suite de l'opposition du cardinal Doria, grand maître de Sainte-Marie. Sous sa haute protection, les hospitaliers jouirent enfin de quelque tranquillité; mais sa mort, arrivée trop tôt, vint remettre en question l'avenir même de l'Ordre.

Clément XII n'avait conféré la grande maîtrise au cardinal qu'à titre de commende, en sorte qu'à sa mort les religieux devaient élire l'un d'entre eux à cette dignité. Cette disposition fut traversée par deux personnages qui, grâce à leur séjour à Paris, réussirent à mettre la main sur la direction des affaires de l'Ordre. Ils se nommaient Antoine Tousart et Pépin Dumontet. Le premier était un ancien récollet, qui avait fait profession dans la maison de Dijon. Le second, après avoir fait profession, en 1711, à l'abbaye de Chancelade et joui successivement de trois bénéfices dans cette congrégation, s'était qualifié du titre

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Il devait sa situation à frère Dupont, qui se l'était adjoint pour la publication, à laquelle il travaillait depuis longtemps, du recueil des bulles et des privilèges de l'Ordre. Doué de qualités assez brillantes, mais trop superficielles pour mener à bien une telle entreprise, Tousart se contentà d'ajouter aux documents réunis par frère Dupont des commentaires critiques qui montrent un esprit faussé par les erreurs gallicanes. Les deux tomes en un volume in-folio de cet ouvrage, dédié au cardinal de Polignac, parurent en 1723, sous le nom de Tousart seul. D. Calmelet se plaint des frais énormes dont la publication de cet ouvrage greva les maisons de l'Ordre pendant de longues années. Un arrêt du Grand Conseil les avait obligés à se charger de cette dette, mais le parlement de Besançon fit défense à celles de FrancheComté de rien payer, et elles ne furent pas inquiétées.

de commandeur d'Audignon; mais il ne put jamais justifier de son entrée dans l'ordre du Saint-Esprit. Leurs intrigues leur valurent, après la mort du cardinal de Polignac, les pouvoirs, à Pépin, d'administrateur général, et à Tousart, de procureur général de l'Ordre '.

Dès lors, les jours de l'ordre du Saint-Esprit furent comptés. Dans la commission même de Pépin avait été insérée une clause néfaste, à laquelle il ne s'opposa point, et qui s'inspirait de la politique du Régent à l'égard des ordres religieux : c'était la défense absolue de recevoir des novices. On ne pouvait trouver un meilleur moyen de procurer l'extinction, à bref délai, de l'Ordre en France. En même temps, tous les recteurs durent envoyer au sieur Pépin les états, revenus et titres de leurs maisons, pour être par lui communiqués à une commission chargée de décider du sort de l'Ordre. Mais l'affaire traîna en longueur et n'eut pas alors de suites. Le 6 octobre 1747, parut une ordonnance royale pour une nouvelle production de titres, non plus devant la commission, mais devant les Intendants de province. Les avis de ces hauts fonctionnaires, les mieux placés pour être bien éclairés, furent très favorables', mais ne produisirent aucun effet. Le recteur de Dijon, voyant l'inutilité de toutes les démarches et le dépérissement de sa maison, faute de nouveaux sujets, tenta un dernier effort et implora l'intervention de Benoit XIV, par l'intermédiaire du grand maître romain. Le Pape connaissait la situation misérable faite à l'Ordre; il recommanda à son nonce de faire toutes les diligences pour obtenir que l'interdiction de recevoir des novices fut levée. Malheureusement, c'était en 1750, dans le moment où l'assemblée du clergé était aux

'D. Calmelet, loc. cit.

Le recteur de Besançon,

Edit du 13 avril 1742, Arch. nat., M. 45. frère Bardenet, refusa toute communication (Ibid., M, 71).

Voy. le Mémoire de l'Intendant de Franche-Comté. Arch. du Doubs, con 113 (Intendance). — V. aussi, Diplom., t. II, les Avis d'autres Intendants.

prises avec la cour, au sujet de la déclaration du clergé ; le nonce jugea que toutes ses remontrances seraient inutiles: il se tut '.

Pendant ce temps, le sieur Pépin profitait de sa situation d'administrateur général pour extorquer aux recteurs le plus d'argent qu'il pouvait, sous prétexte de les défendre auprès de la cour. Ces sommes ne suffisant pas à son avidité, il s'appropriait le revenu des maisons vacantes. Chargé en 1747, par le recteur de Steffansfeld, de protester contre une pension de mille livres assignée sur sa maison, il enleva en effet cette pension à son destinataire, mais ce fut pour la partager avec son digne acolyte Tousart; ce dernier, du reste, n'en profita pas longtemps, car il mourut peu après, âgé de quatre vingt deux ans.

Pépin semblait s'être donné la mission d'anéantir ce qui restait en France de ce malheureux ordre. Il s'y prit de diverses manières. S'étant emparé de la commanderie d'Auray, à la mort du dernier titulaire, il eut l'idée bizarre de consacrer les maisons du Saint-Esprit à former des élèves pour l'école militaire, projetée par un édit de l'année 1751. Il congédia donc les pauvres d'Auray et mit à leur place six jeunes enfants, qu'il prétendait sortis des meilleures familles de la province, et auxquels il donna un costume bleu, avec la double croix du Saint-Esprit. Dans une demande d'approbation adressée au roi, il se faisait fort, si on lui abandonnait les biens de l'Ordre, d'élever ainsi plus de cinq cents gentilshommes. Il renia à l'Ordre la qualité de régulier, qu'il avait pourtant défendue avec force dans un Placet imprimé en 1743, et soutint, dans un nouvel écrit où il renouvelait toutes les extravagances du siècle précédent, que l'Ordre était noble et militaire.

D. Calmelet, chap. VII.

• Idée générale de l'ordre hospitalier du Saint-Esprit de Montpellier, Paris, 1743, in-8° de 56 p.

Toutes ses tentatives de ce côté échouèrent. Il tenta une autre voie, et, au mois de septembre 1759, il notifiait à tous les recteurs une lettre du ministre et une décision du Conseil en dix articles, « qui enjoignait à tous les commandeurs et chanoines de l'Ordre d'envoyer sur le champ leur consentement à son extinction, à la réunion de ses biens à l'ordre séculier et militaire de Saint-Lazare, à leur sécularisation et incorporation de leurs personnes à cette chevalerie, sous l'autorité de Mgr le duc de Berry, qui en est grand maître. » Cinq seulement des religieux fléchirent devant les menaces de Pépin et la crainte du ministre, et donnèrent l'adhésion demandée', à l'insu de leurs recteurs. Devant les protestations des autres, le ministre, pour lever les scrupules de leur conscience, fit solliciter à Rome 3, par le conseil de l'ordre de Saint-Lazare, une bulle de réunion des deux ordres, ce que le Pape finit par accorder, le 3 janvier 1762. Le sieur Pépin se réjouissait de son succès, et s'apprêtait à seconder de toutes ses forces l'évêque d'Auxerre, nommé exécuteur de la bulle, lorsqu'un jugement flétrissant rendu contre lui vint l'arrêter en le privant de tous ses titres, au mois de septembre 1763. Il est remarquable que ce personnage remuant eut la même fin que tous les intrus ses prédécesseurs au moment où ses manœuvres allaient être couronnées de succès, la Providence l'arrêta3. Frère Alexandre-Joseph-Rémond de Bellecin, religieux de Besançon et recteur de Saint-Julien, hérita du titre de vicaire et administrateur général, que lui valut son adhésion à la bulle d'union.

'D. Calmelet, chap. VII.

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Voy. Capitulations ou conditions proposées par MM. du Saint-Esprit de Montpellier, avant de donner leur consentement à l'union et à l'extinction de leur ordre à celui de St Lazare, 1759, ms. — Arch. nat, M. 45, no 12.

3

Brevet de S. M. du 1o février 1760, portant permission de solliciter une bulle d'union; Bulle de Clément XIII, du 3 janvier 1762; — Lettres patentes du 22 juin 1763. Arch. nat, M. 42, no 1.

D. Calmelet, loc. cit,

Nous allons assister encore une fois à la lutte entre les deux ordres. Celui de Saint-Lazare, ne voulant pas s'exposer à voir sa proie lui échapper de nouveau, résolut de mener vivement la prise de possession. Appuyé sur le consentement de frère de Bellecin à l'exécution de la bulle, donné sans pouvoir des autres membres et sans délégation d'un chapitre général, l'abbé de Cambacérès, prit possession des ruines de l'hôpital de Montpellier, au nom du bureau de Saint-Lazare, le 16 avril 1764. Il en fit autant de plusieurs autres hôpitaux de la région, qui n'avaient pas de titulaires. Après ce facile succès, les efforts se portèrent sur les maisons régulières. Le 6 décembre de la même année, le commandeur et les religieux de Dijon reçurent assignation pour comparaître par devant l'abbé Duchatel, commissaire de l'évêque d'Auxerre, chargé de fulminer la bulle d'union. Frère Calmelet avait préparé sa défense; il n'eut pas de peine à démontrer que cette bulle, ayant été obtenue par l'ordre de Saint-Lazare, sans le consentement de celui du Saint-Esprit, et sur des motifs erronés, était nulle et obreptice; en conséquence il fit opposition à son exécution. Il se hâta de prévenir les autres recteurs contre les surprises des commissaires de Saint-Lazare. Aussi, lorsque ces derniers arrivèrent à Besançon, munis des lettres du comte de Saint-Florentin, vicaire général pendant la minorité du Dauphin, et du ministre Choiseul, ils trouvèrent toutes les autorités contraires, et le parlement refusa nettement d'enregistrer la bulle.

Impuissants à Besançon et dans tout le ressort du parlement de Franche-Comté, les commissaires voulurent du moins surprendre les maisons d'Alsace. Mais là encore ils furent déçus. Le jour même de leur arrivée à Steffansfeld, le grand conseil d'Alsace, prévenu à la hâte, se réunit extraordinairement et leur fit défense expresse de procé⚫ der à aucune visite, sécularisation ou union des maisons du Saint-Esprit situées en Alsace, avant d'avoir fait enregistrer

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