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CHAPITRE XI

LES SŒURS DU SAINT-ESPRIT

XVIII-XIX SIÈCLES

SOMME on l'a vu dans le cours de cette histoire, l'ordre du Saint-Esprit fut composé, dès ses premières années, de frères et de sœurs. Chaque hôpital contenait donc deux communautés distinctes, mais régies par un seul maître et adonnées aux mêmes œuvres charitables. Les sœurs, dans les maisons moins importantes surtout, furent souvent les plus nombreuses; le personnel de ces maisons se composait en général du recteur, seul ou assisté d'un religieux, et de trois à cinq sœurs. Cette prédominence de l'élément féminin était déjà très sensible dès la fin du XVe siècle, où les frères entraient presque tous dans les saints ordres; elle le devint bien davantage au XVII, et les sœurs tendirent de plus en plus à assumer seules, dans les hôpitaux du Saint-Esprit, le service matériel, qui, en même temps, se spécialisait dans le soin principal des enfants abandonnés. Le rôle des religieux se borna dès lors à l'administration spirituelle et temporelle des établissements; et lorsque cette dernière leur fut enlevée par les municipalités, ils furent réduits à n'être dans leurs hôpitaux que de simples chapelains ou aumôniers.

Au milieu des désastres amoncelés aux XVIe et XVII° siècles, les hôpitaux de Franche-Comté, ruinés et abandonnés pour la plupart, avaient perdu leurs familles de sœurs. A Besançon même, plusieurs pestes successives avaient tellement décimé la communauté, pourtant nombreuse, qu'il n'était pas resté une seule religieuse. Il fallait à tout prix remédier à cette triste situation. Par bonheur, l'hôpital de Dijon abritait alors une communauté nombreuse et pleine de ferveur. Jean-Jacques Despoutot, commandeur magistral de Besançon, s'adressa donc à frère Robert, recteur de Dijon, qui lui confia, en 1665, deux sœurs intelligentes et pieuses. Celles-ci, après avoir formé de nouveaux sujets à Besançon, retournèrent pour le reste de leurs jours dans leur maison professe.

Malheureusement, la prospérité même de la communauté Dijonnaise fut cause de sa ruine. Par raison d'économie', un arrêt de l'année 1695 décida d'abord la réduction progressive des religieuses jusqu'au nombre de quatre seulement, qui furent laissées entièrement à la charge de la mense conventuelle des frères; puis, bientôt après, les revenus des frères suffisant à peine à leur entretien, le recteur dut se résigner à laisser s'éteindre la communauté des sœurs. La dernière religieuse mourut en 1722, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, sans avoir cessé jusqu'au bout de consacrer ses soins aux enfants de l'hôpital '.

La communauté des sœurs de Besançon eut une existence plus longue et plus prospère. Grâce aux nombreuses novices qui se présentèrent, elles furent, au bout de peu de temps, en état d'envoyer des essaims dans les hôpitaux de Gray, de Poligny, d'Arlay, de Vaucouleurs et de Neufchâteau, qui, par leurs soins, redevinrent florissants '.

'Les sœurs du Saint-Esprit faisaient double emploi avec celles de SainteMarthe, placées dans le nouvel hôpital, annexe du Saint-Esprit, en 1684. D. Calmelet, chap. VII.

Chaque maison recrutait elle-même son personnel suivant ses besoins, par l'admission de jeunes novices. En 1680, frère Simon Pageot, recteur de Gray, était secondé par deux sœurs; plus tard, il y en eut communément cinq '; Neufchâteau en possédait six en 1730, Vaucouleurs trois en 1749, tandis qu'au même temps leur nombre était de quatorze à Besançon ; enfin la moyenne à Poligny était de quatre ou cinq religieuses.

Toutes les sœurs appartenaient à la première bourgeoisie et on exigeait, à leur profession, une dot de 2000 livres, plus un trousseau estimé à 1000 livres, afin d'écarter les postulantes de la classe pauvre, dont l'éducation aurait pu n'être pas en harmonie avec la vie et les occupations auxquelles elles étaient destinées'.

Les six communautés reçurent, en 1709, du commandeur de Besançon, frère Poncet Perraud, un règlement commun, tiré de la règle de l'Ordre et accommodé à leur situation particulière. Le commandeur magistral se réservait d'autoriser les recteurs de sa dépendance à recevoir la profession des novices, lorsque, ayant reçu l'habit après une épreuve de six mois, elles seraient, après six autres mois, jugées dignes par les religieuses de faire profession. L'une des religieuses, ordinairement la plus ancienne, était placée au dessus des autres et chargée de veiller sur leur conduite. La pauvreté la plus stricte devait être gardée : défense était faite de rien conserver en propre, pas même les menus objets offerts par les parents, sans l'agrément de la maîtresse ou ancienne.

Le lever était à cinq heures en été, à cinq heures et demie en hiver. La prière et la méditation se faisaient en commun. A la place de l'office canonial, les sœurs récitaient

'J. Gauthier, Notice, pp. 26, 29, 34.

Règlement conservé à la maison de Poligny.

• Les règlements postérieurs mirent quatre heures et quatre heures et demie.

cent cinquante pater, autant que possible dans le temps marqué pour les heures canoniales. Elles se confessaient et communiaient une fois la semaine. Lorsqu'une d'elles avait obtenu permission de sortir de la maison, elle devait se faire accompagner. La lecture pendant les repas, les jeûnes chaque vendredi, les obligations relatives aux enfants et aux malades, ne faisaient que renouveler les anciennes prescriptions. Telle était en substance la règle des hospitalières du Saint-Esprit, règle encore en vigueur aujourd'hui sans modifications notables.

On aurait pu craindre que l'extinction de la branche mâle de l'Ordre, dans la seconde moitié du siècle, n'atteignît aussi les communautés annexes de sœurs; heureusement il n'en fut rien. La résistance combinée des religieux et des administrations municipales avait réussi à sauvegarder les maisons de l'annexion à l'ordre de Saint-Lazare. Les villes, une fois maîtresses de leurs hôpitaux, n'eurent garde de renvoyer les sœurs, qui leur rendaient de si éminents services; elles les laissèrent à leur poste de dévouement. Mais comme l'ordre du Saint-Esprit était aboli en France, et que d'ailleurs il était impossible aux sœurs de se rattacher au grand maître romain, elles prirent le parti de rentrer dans le droit commun, en se plaçant sous la sauvegarde et la juridiction de leurs évêques diocésains.

Les religieuses de Poligny donnèrent l'exemple: «< Voyant, dit l'historien de cette ville, l'état dépérissant de l'ordre du Saint-Esprit, la vacance de la place de grand maître dudit ordre (en France), elles ont, par mon avis, supplié Mgr le cardinal de Choiseul, archevêque de Besançon, de les prendre sous sa protection et juridiction, en quoi elles ont donné un exemple salutaire à suivre aux autres maisons'. >> Cet exemple fut en effet suivi par celles de Gray, en 1771,

'Chevalier, Notes mss, fo 33 vo, volume non coté, à la Bibl. de Poligny.

et de Besançon, l'année suivante, lors de la retraite du dernier commandeur. Cinq ans plus tard, l'évêque de Toul reçut celles de Neufchâteau et de Vaucouleurs '.

Ce fut là le seul changement opéré dans la vie des religieuses. Dès lors, les visites, les nominations de supérieures et d'aumôniers, enfin tous les pouvoirs des commandeurs magistraux passèrent aux mains de l'administration épiscopale. On voit, par les registres des communautés de Poligny et Neufchâteau, que les visites canoniques étaient faites très régulièrement par des vicaires généraux, qui rendaient pleine justice, dans leurs rapports, à la fervente régularité de nos hospitalières, comme aussi bien leur dévouement et leur charité leur avaient conquis depuis longtemps l'attachement des populations.

Le seul évènement que nous ayons à signaler à cette époque, dans l'existence de nos maisons, est l'incendie qui dévora Neufchâteau, le 14 octobre 1779. Les écuries et remises, la salle des malades, le logement des religieuses, la pharmacie, la première travée de la chapelle et l'élégante tour hexagonale du clocher, furent détruits par les flammes. Ce désastre fut réparé en deux ans : la ville et les campagnes avoisinantes se hâtèrent 'de fournir de fortes sommes pour la restauration d'un établissement qui leur rendait des services signalés; le patrimoine des sœurs, qu'elles abandonnèrent généreusement, acheva de couvrir les dépenses.

Dix ans après, la révolution éclatait. Tout le monde connaît les attentats consommés à cette époque néfaste.

Le sort de nos hospitalières suivit celui des communautés religieuses; leurs bienfaits passés ne leur servirent pas de sauvegarde. En 1791, le maire de Poligny, usant du pouvoir

Ms des archives de la maison de Poligny. L'hôpital d'Arlay ayant été réuni à cette époque à celui de Besançon, sa dernière hospitalière, la mère de Belot, âgée et infirme, se retira à Poligny. - Abry-d'Arcier, Histoire du bourg d'Arlay, p. 391.

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