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mais souvent méconnaissables; j'ai pourtant remarqué une tête de Faune, une grosse tête de Cérès (pesant 27 kilog.), une petite tête de Junon, une tête du Soleil, les cheveux rayonnants, une tête d'aigle ou de griffon, deux restes de Cariatides, des fragments de mains, de pieds, de jambes et de torses qui indiquent des statues de proportions colossales. Une étude attentive et prolongée de ces débris qui m'ont paru, au premier abord, avoir une grande analogie avec plusieurs des monuments gallo-romains conservés au Musée de Langres, permettra peut-être la détermination précise de quelques-uns d'entre eux.

J'ai vivement incité M. le chanoine Maugère à rédiger pour les Mémoires de la Société archéologique de Langres, un rapport détaillé sur ses fouilles intéressantes, et qui, jusqu'ici, n'ont encore été signalées nulle part. Le plan des constructions, la reproduction des principaux fragments d'architecture et de sculpture qu'il a découverts aideront à rechercher la destination des édifices que nous avons sommairement décrits. Pour nous, les constructions primitives étaient des temples gallo-romains de divinités parèdres. Vers la fin de l'empire romain, ces temples auront été détruits violemment, soit lors des invasions nombreuses dont la région de Langres a été le théâtre, soit lors de l'établissement du christianisme. Les ruines des deux temples out alors été utilisées dans la construction d'un nouvel édifice que M. le chanoine Maugère croit avoir été un grenier d'abondance, et voici sur quelles bases repose la conjecture du zélé chanoine. Le lieudit où il a pratiqué ses fouilles s'appelle encore actuellement les Granges; les premiers travaux de labour exécutés i! y a quelques années sur l'emplacement des ruines ont permis aux cultivateurs de recueillir une assez grande quantité de blé brûlé; le soin tout particulier qu'on a mis à exhausser l'aire du nouvel édifice au-dessus d'un enrochement, d'un béton et d'un dallage, paraît révéler l'intention de garantir le sol contre l'humidité; les dimensions énormes de cette aire qui couvrait presque sans discontinuité ni interruption la surface des deux édifices primitifs, conviennent mieux à un grenier qu'à toute autre destination.

Une fois qu'il eut l'esprit hanté par cette idée, M. le chanoine Maugère recourut aux textes et il trouva dans les poèmes de Claudien, des passages qu'il interprète en faveur de son bypothèse. On sait que l'Egypte était une des contrées qui fournissait à Rome le blé dont la capitale de l'empire avait besoin; après la division de l'empire en deux parties, sous Honorius et Arcadius, Rome se trouva privée d'une de ses principales sources d'approvisionnement, l'Egypte faisant partie de l'empire d'Orient. Ce fut alors que, pour conjurer la disette à Rome, on songea aux blés de l'Afrique et de la Gaule. Honorius envoya Stilicon en Afrique; Stilicon, raconte Claudien, battit Gildon, roi des Maures, qui s'opposait au ravitaillement de Rome, et fit venir en Italie les blés de l'Afrique. Mais cela ne suffit pas pour sauver Rome de la famine,

et en 398, l'empereur envoya Stilicon au delà des Alpes, pour recueillir le blé de la Gaule. Stilicon-vint en personne à Langres et à Sens pour acheter du blé, et le poète célèbre en vers ampoulés l'heureuse issue de sa mission :

Africa per te

Nec prius auditas Rhodanus jam donat aristas;
Ut mihi vel Massyla Ceres, vel Gallica prosit
Fertilitas, messesque vehant nunc humidus Auster,
Nunc Aquilo, cunctis ditescant horrea ventis.

(Claud. XXII. 392.)

«Par toi, Stilicon, l'Afrique et le Rhône me donnent (à Rome) des moissons jusqu'alors inconnues, et Cérès, dans la Libye et dans la Gaule, féconde pour moi les campagnes; par toi, l'humide Auster et l'Aquilon m'apportent tour à tour leurs richesses, et tous les vents remplissent mes greniers. »

Ailleurs, le poète précise le rôle de Langres dans cette recrudescence de bien-être à Rome :

.....

Quis Gallica rura

Quis meminit Latio Senonum servisse ligones?
Aut quibus exemplis fecunda Tibris ab Arcto
Vexit Lingonico sudatas vomere messes?

(Claud. XXIV, 91.)

« Qui jamais a vu les plaines de la Gaule, les hoyaux des Sénonais enrichir le Latium? ou les moissons écloses sous la charrue du Lingon laborieux, arriver des champs fertiles de l'Ourse jusqu'au Tibre étonné? »

D'autres passages de Claudien pourraient encore être cités. Qu'il me suffise de dire qu'il en résulte que Langres fut une des villes de la Gaule choisies pour être le lieu de concentration des blés qu'on embarquait sur la Saône, qui gagnaient Marseille par le Rhône, et qu'on transportait de là jusqu'à Rome. Il y avait à Langres des magasins, des greniers d'abondance, et M. le chanoine Maugère pense avoir retrouvé l'emplacement de l'un d'eux. Ce qui me paraît venir à l'appui de cette ingénieuse hypothèse, c'est que l'emplacement de ses fouilles se trouve situé au bas du plateau de Langres, sur le chemin des plaines du Bassigny. Or, la contrée qui, à toutes les époques de l'histoire, a fourni du blé à Langres, ce n'était pas le plateau ni la région montagneuse qui, en fait de céréales, suffit à peine à nourrir ses habitants, c'était et c'est encore la campagne fertile du Bassigny qui se développe au nord de Langres, jusqu'au pied des Vosges. Quoiqu'on pense de l'hypothèse de M. le chanoine Maugère, je crois qu'elle méritait d'être men. tionnée, et je me plais à espérer que la Société archéologique de Langres qui produit de si excellents travaux et qui a à sa tête des

savants zélés, pourra encourager les fouilles si intéressantes de M. Maugère 1.

NOUVEAUX RENSEIGNEMENTS CONCERNANT LE DIOCÈSE DE Langres et SES ÉVÈQUES (Suite).

10o Guillaume de SABRAN, 57° évêque. Sacré en 1138, il n'occupa le siège que deux mois, selon les Annales de Saint-Bénigne, puis il fut évincé par le crédit de saint Bernard et dut céder la place à Godefroi de Rochetaillée. Après la mort de Guillenc d'Aigremont, en 1136, il y eut une longue altercation entre les abbayes de Cluny et de Clairvaux, pour donner un évêque à l'Eglise de Langres. Pierre-le-Vénérable, abbé de Cluny, présentait un de ses réligieux, Guillaume de Sabran, que ses adversaires eurent l'adresse de décrier dans l'esprit de saint Bernard. De là lutte entre ces deux grands personnages, les abbés de Cluny et de Clairvaux. Guillaume de Sabran, moine de Cluny, parvint cependant, malgré l'opposition très active de saint Bernard, à se faire sacrer évêque de Langres, en 1138, après deux ans de vacance; mais il ne put tenir le siège que deux mois, grâce aux démarches multipliées de l'abbé de Clairvaux qui, ayant porté plainte au pape Innocent II, ainsi qu'aux cardinaux, fit sacrer évêque de Langres, cette même année 1138, en place de Guillaume de Sabran, Godefroi de Rochetaillée, prieur de Clairvaux, et son parent. Mais ce dernier, rejeté d'abord par le roi de France, ne devint paisible possesseur qu'en 1140, après quatre années de troubles et de compétitions diverses dans l'Eglise de Langres. C'est ce que nous avons expliqué assez au long dans notre Nouvelle Etude, p, 390.

Assurément l'Eglise de Langres n'eut pas à se plaindre de l'évêque Godefroi, qui lui fut imposé par saint Bernard; mais il faut bien reconnaitre d'autre part que, si on lui eût laissé Guillaume de Sabran, elle n'aurait eu pareillement qu'à se féliciter de son administration, si l'on s'en rapporte à son supérieur, Pierrele-Vénérable, et si l'on met de côté les préventions défavorables, qu'on avait inspirées à saint Bernard, contre ce moine de Cluny. Si dans cette opposition qui a eu dans l'Eglise un grand retentissement, on veut regarder le dessous des cartes, il est difficile de ne pas y remarquer, tout en laissant à part les abbés de Cluny et de Clairvaux, dont les bonnes intentions sont hors de doute, une certaine antipathie entre les moines de Clairvaux et de Cluny, comme l'insinue assez clairement Pierre-le-Vénérable dans sa

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1. Au sujet de la mission de Stilicon à Langres en 398, et du commerce des blés dans cette ville à cette époque, on peut consulter le P. Vignier, Décade hist. du diocèse de Langres, t. 1, p. 10 et 372; l'abbé Mathieu, dans l'Annuaire de la Haute-Marne, pour 1808, p. 260; S. Migneret, Précis de l'histoire de Langres, p. 33.

lettre 29o du livre 1er, écrite à saint Bernard et dont nous avons donné la traduction dans notre Nouvelle Etude, p. 214. Celui-là même qui parvint à l'évêché de Langres, en place de Guillaume de Sabran, savoir Godefroi de Rochetaillée, nous paraît avoir été l'un des plus chauds adversaires de Guillaume; car on trouve sa signature dans les actes les plus formels d'opposition à son sacre. Ceci soit dit toutefois, sans diminution de la vénération due à ce saint prélat, digne enfant de saint Bernard, et qui après la mort de son maître renonça à l'épiscopat, pour se retirer à Clairvaux, dans la chambre même du saint abbé.

11° BERTRAND DE GOT, 71o évêque, en 1306. Certains auteurs ont prétendu que cet évêque, remis sur le siège d'Agen qu'il avait occupé précédemment, mourut à Langres, avant de sortir de cette ville et qu'il y fut inhumé sous le nom de Barthélemy. C'est une erreur manifeste. L'évêque Barthélemy, inhumé à Langres dans l'église Saint-Mammès, est demeuré inconnu de nos historiens; mais il est tout différent de Bertrand de Got qui, devenu pour la seconde fois évêque d'Agen, occupait ce siège dans les années 1309, 1310, 1311 et 1312, comme il est prouvé par certaines chartes; puis i mourut à Agen même le 5 mai 1313, comme le marque l'abbé du Tems, d'après les auteurs du Gallia Christiana.

120 LOUIS [er DE POITIERS, 73° évêque, de 1318 à 1325. Ce prélat, ancien évêque de Viviers, eut à Langres de graves démêlés avec les chanoines de Saint-Mammès, et dut en conséquence être transféré sur le siège de Metz. On conserve à Langres de si fortes préventions contre cet évêque, que l'un des prêtres les plus distingués du diocèse, nous a porté le défi de le blanchir. C'est l'expression dont il s'est servi. Il nous semble pourtant que l'équité demande que l'on juge Louis de Poitiers d'après l'ensemble de ses actes, et non pas seulement d'après un fait regrettable commis contre ses chanoines. Or, ce prélat a été successivement évêque de Viviers, de Langres et de Metz. Il faut donc pour le juger, consulter sur son compte, non seulement les chroniques de l'Eglise de Langres qui lui sont défavorables, mais encore celles des Eglises de Viviers et de Metz.

Voici d'abord la relation complète que l'abbé Mathieu, sur le rapport des anciens chroniqueurs, nous a laissée sur ce prélat dans son Histoire des évêques de Langres: « La brigue ou la faveur a rarement égard à la vertu et au mérite dans le choix des sujets qu'elle veut élever on se laisse éblouir par de grands noms ou entrainer par des recommandations puissantes, sans prévoir les suites funestes qu'une complaisance lâche, aveugle ou intéressée peut produire. Pour le malheur et le scandale des peuples, Louis, de l'illustre maison des comtes de Valentinois et de Poitiers, est élu évêque de Langres, en 1318: il était fils d'Aymar III (ou plutôt Aymar IV) et d'Hippolyte, fille de Hugues, comte palatin de Bourgogne.

«Cet homme turbulent et emporté, plus propre à commander une troupe de brigands qu'à régir un diocèse, se porte à des violences inouïes envers son Chapitre qui lui avait refusé les clefs de ses caves et de ses greniers. Outré de ce refus, il en fait rompre les portes, s'empare de force des vins, du froment et des provisions des chanoines, dont deux, Jean de Talant et Jean de la Chaume, expirent par suite des mauvais traitements qu'ils éprouvent. Il arme une bande d'infâmes satellites qui, courant les rues, insultent à tout ce qui appartient à la cathédrale qu'ils polluent par des meurtres et autres crimes. Il avait pour but de forcer les chanoines d'abandonner leur église et de quitter la ville. Par un attentat inouï, cet homme furibond fait briser les portes de la basilique, et dans l'excès d'une rage impie et sacrilège, il la pollue lui-même; puis il fait sonner les cloches et célébrer les redoutables mystères par des prêtres étrangers et indignes, qu'il avait fait venir à cette fin, sans qu'elle eût été réconciliée. Il jette dans les prisons tous les chanoines que ses sbires peuvent trouver, ordonne d'abattre les cloîtres, et de leurs débris fait reconstruire les murailles de la ville, à l'orient, appelées encore murs frails ou fracts (muri fracti).

«Les chanoines consternés se réfugient à Dijon, et ont recours au roi qui envoie des commissaires pour les réintégrer dans leur église, et arrêter le mal; mais les satellites de Louis de Poitiers sy opposent et leur révolte contre l'autorité se signale par un nouveau meurtre.

Les chanoines de Langres envoient en 1320, une circulaire à plusieurs Chapitres de France, entre autres à ceux de Lyon, de Besançon, d'Autun, de Mâcon et de Châlon: tous font cause commune et s'assemblent à Sainte-Geneviève de Paris pour délibérer. Ils portent leurs plaintes au Saint-Siège : les Chapitres de Chartres et de Rouen prennent aussi part à cette affaire, et écrivent au souverain pontife, qui envoie les abbés de Cluny et de Beaumont, pour rétablir l'ordre, mais leur négligence ou leur peu de fermeté laisse subsister le scandale. Cependant Jean XXII soustrait le Chapitre de Langres à la juridiction de l'évêque diocésain, et le place sous celle du Saint-Siège; cette soustraction a eu son effet jusqu'à l'extinction de l'évêché en 1802.

« Le roi (Charles le Bel), indigné des violences de l'évêque, de celles de ses gens et de leur désobéissance formelle à ses ordres, ordonne de faire justice des coupables. Par arrêt du Parlement de Paris, de 1322, Louis de Poitiers est condamné à réparer tous les dommages, et à cinquante-six mille livres d'amende (somme alors rès considérable), envers le roi et le Chapitre. La sentence porte en outre qu'il sera fait, aux frais de l'évêque, une image de saint Mammès du poids de vingt marcs d'argent, portée quatre fois l'année en procession, nu-pieds et en chemise, par ceux qui avaient commis le désordre.

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