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Beaumanoir qui encore aujourd'hui est un hameau dépendant de la commune de Remy.

« Cette observation suffit pour jeter une lumière toute nouvelle sur le précieux manuscrit mentionné ci-dessus, et pour faire concevoir du premier coup-d'œil une très-forte présomption que les éditeurs de Philippe de Reim auraient dû lire Philippe de Remi; que Remi est le nom de famille de l'illustre Beaumanoir; que la Manekine et Jean de Dammartin sont aussi son ouvrage; enfin que le trouvère Philippe de Reim ou de Reimes est un être imaginaire. Et même la présomption se change en certitude dès qu'on rencontre des actes passés de 1250 à 1270 par des personnages se nommant: Philippe ou Girard de Remi, sire de Beaumanoir.

<< Maintenant, quand on prend le manuscrit lui-même, qu'on le lit avec cette pensée, qu'on voit dans quels lieux se passent et dans quel esprit sont conçues les scènes des deux romans, lorsqu'on retrouve dans les pièces 6, 7, 8 et 9, qui ne portent pas de nom d'auteur, des désignations géographiques, telles que Clermont, Pont, Verberie, Ressons et jusqu'à la simple ferme de Warnaviller près Remy, il n'y a plus de place possible au moindre doute. Sauf la pièce due à Sarrasin, le manuscrit 76092 est tout entier l'œuvre du jurisconsulte Beaumanoir.

« Cette première donnée en amène une autre. Avec le nom de Remi j'ai pu recueillir un certain nombre de chartes relatives à la famille de Beaumanoir. C'était une des grandes familles du Beauvaisis; le Pierre de Remin que Guillaume le Breton cite dans sa Philippide comme s'étant distingué à Bouvines à la tête des milices de Compiègne, était je crois le grand-père du jurisconsulte; son père, nommé Philippe comme lui, avait été bailli du Gatinais pour la maison des comtes d'Artois, Boulogne et Dammartin; sa mère était la fille du petit seigneur de Bailleul-leSoc, près Remy; lui-même était un serviteur des comtes de Clermont. Par tous les liens possibles donc, Beaumanoir était attaché au sol du Beauvaisis; or, le roman de Jean de Dammartin est l'histoire des exploits en France et en Angleterre d'un

des plus grands seigneurs de la contrée avant que le comté de Clermont ne fût acquis par saint Louis (ce qui arriva seulement en 1245); c'est une légende, c'est-à-dire une fable mêlée d'histoire. La Manekine participe de ce caractère, mais à un degré beaucoup moindre. Il est superflu d'ajouter que les éditeurs de ces deux poëmes (malgré leur mérite bien connu, ce sont MM. Francisque Michel et Le Roux de Lincy) n'ayant pas la clef de ces récits, en ont ignoré la principale valeur, et ont pris pour un simple roman d'aventures ou roman de mœurs ce qui est une véritable épopée Beauvaisine.

« Outre les dépôts littéraires de Paris, j'ai visité plusieurs fois toutes les bibliothèques et les archives dont on a bien voulu m'ouvrir l'accès à Beauvais, Compiègne, Clermont et Senlis. J'y ai recherché avec soin tous les documents qui peuvent avoir subsisté jusqu'à nos jours sur la famille de Remi. J'ai ainsi rassemblé un grand nombre de documents entièrement nouveaux sur la famille de Beaumanoir et sur les fonctions administratives qu'il a exercées. Malheureusement il n'y a que trèspeu de chose dans toutes ces pièces sur sa personne même. On y voit seulement qu'il fut marié deux fois, qu'il avait pour armoiries trois quinte-feuilles, qu'il habitait ordinairement, du moins vers la fin de sa vie, un manoir qu'il possédait à Pontpoint, près Pont-Sainte-Maxence; qu'il mourut le 7 janvier 1296, âgé, suivant mes conjectures, de cinquante ans, et qu'il fut inhumé entre ses deux femmes, dans l'église des Jacobins de Compiègne. Cette église est devenue une maison particulière, dans diverses parties de laquelle on trouve encore des fragments de pierres tumulaires et d'inscriptions mutilées. Malgré l'assistance obligeante et éclairée du propriétaire actuel, M. le baron de Bicquilley, je n'ai rien pu y découvrir qui se rapportât à la sépulture de Beaumanoir, et ma recherche n'a pu être compléte. »

J'ai aussi inséré dans mon Histoire de France d'après les documents originaux (1862, t. 1er, p. 378), une courte notice sur mon héros où j'ajoutais ces nouveaux détails :

Beaumanoir, dans sa jeunesse, avait visité l'Angleterre où il paraît avoir été attaché à la fortune du comte Simon de Montfort qui commandait les barons révoltés contre le roi Henri III, et qui fut à peu près le maître du royaume pendant les années 1264 et 1265. »

Il s'agit de justifier maintenant par les preuves toutes ces données lentement acquises.

CHAPITRE [er.

Origine du jurisconsulte Philippe de Beaumanoir.

A trois quarts d'heure au nord du village de Remy (1), la petite rivière d'Aronde coule paisiblement dans un fond resserré. Sur la rive gauche s'élève en pente douce le mamelon sur lequel est assis le château de Monchy-Humières; à droite la prairie se dresse brusquement à plus de dix mètres de hauteur; un petit moulin placé sur le rivage, une demi-douzaine de maisons étagées sur la pente et une vaste ferme carrée dont les murailles élevées bordent le sommet de la colline, forment en cet endroit un hameau de triste et chétive apparence. Ce sont le hameau, la ferme et le moulin de Beaumanoir.

Au commencement du XIIIe siècle, il n'y avait encore là que des champs (2) qu'on appelait la terre Bernard et qui appartenaient à l'une des familles seigneuriales du pays, celle qui portait le nom du village de Remy. Leur propriétaire, Pierre de Remi ou de Remin (3), chevalier, tenait ce domaine en fief de

(1) Arr. de Compiègne, cant. d'Estrées-Saint-Denys, 920 habitants d'après le Dictionn. des Postes, 1868.

(2) Cependant on y a découvert en 1837 des sarcophages (voy. l'Annuaire du dép. de l'Oise, par M. Graves), et le meunier de Beaumanoir, M. Lesguillons, conserve chez lui, ou du moins conservait encore en 1866, avec quelques objets du moyen-âge (notamment un petit crucifix, une boucle de ceinture formée de deux animaux affrontés et une clef fort belle, le tout en cuivre) trouvés sur le bord de l'Aronde ou dans son lit, une statuette romaine en bronze, une lampe à quatre becs, une amphore en terre cuite et quelques autres débris antiques.

(3) Dans les textes du moyen-âge: Remiacus, et plus souvent Reminus. On trouve aussi Riminus. Beaumanoir se nomme lui-même Remi dans ses poésies; mais dans ses Coutumes, il parle du village de Remin.

l'abbaye de Saint-Denys à laquelle il en abandonna une partie au mois de mars 1222. Nous avons l'acte, daté de Moinvillers (1), par lequel, en présence du prévôt de Senlis et sous son autorité, Pierre de Remi, chevalier, cède en pur don à l'abbaye la dîme de la terre Bernard, qu'il estime à la valeur de trois muids par an, et qui devra fournir chaque année aux religieux ces trois muids au moins. Il y ajoute cent verges de terrain, à prendre par les religieux en quelque lieu qu'ils voudront du dit domaine, pour y construire la grange dont ils auront besoin à l'avenir.

Il se constitue en outre, avec deux chevaliers du voisinage, Jean d'Estrées et Dreux de Francières, pour garant de ces dispositions, et pour obligé ainsi qu'eux, en cas d'inexécution du contrat, d'aller se rendre tous les trois prisonniers à Pont-SainteMaxence ou à Compiègne.

Ce Pierre de Remi si bien établi dans ce pays, lié si étroitement avec deux des meilleures familles de la contrée, les d'Estrées et les Francières, et vivant dans le voisinage de Compiègne huit années après la bataille de Bouvines, pourrait fort bien être le même Pierre de Remi, chevalier, qui dans cette célèbre affaire, commandait les milices Compiénoises et se conduisit de manière à mériter l'honneur d'être mentionné dans les chroniques du temps et dans les vers de la Philippide (2).

(1) Village près de Remy. Voyez pièces justificatives, n° I. Ajoutons, pour compléter la note précédente, que l'auteur de cet acte y est nommé dans le texte Petrus de Remin, et sur le sceau Petrus de Remigio.

(2)

Icedit hic, ruit ille

Vixque potest hastile suis evellere coxis.

Hugo Malaunites accurrit, Reminidesque

Petrus, quos sequitur acies Campana comesque
Bellimontensis.

(Philipp., lib. XI, v. 109.)

« A cele meslée sorvient Pierre de Remi et cil de sa compagnie par force pristrent et emmenèrent celui Gautier de Guistelle et Jehan Buridant. » (Chroniq. de Saint-Denys.)

Voyez aussi la Vie de Philippe-Auguste, par Guillaume Le Breton, qui de plus, cite Pierre de Remi parmi ceux qui s'étaient offerts pour caution en faveur des prisonniers ennemis.

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