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TOMBEAU DU CARDINAL CHOLET dans le chœur de l'église de l'abbaye de St Lucien .

PL.III

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à quelque temps de là, entre l'abbaye et les habitants de Grandvilliers. La justice du bourg appartenant à Saint-Lucien, les officiers du monastère étaient dans l'usage de requérir les habitants, toutes les fois qu'ils en avaient besoin, pour arrêter les malfaiteurs, pour les conduire dans les prisons de l'abbaye, et même pour les escorter jusqu'au lieu du supplice, afin d'empêcher toute violence et tout désordre. Ils exigeaient quelquefois ce service avec des procédés qui irritaient la population. D'abord, on les nourrissait et on les défrayait convenablement de leur déplacement, et puis on le fit de mauvaise grâce, et on finit presque par exiger d'eux qu'ils s'entretinssent à leurs frais. Les habitants de Grandvilliers, indisposés par ces vexations, se plaignirent hautement et refusèrent tout service. Tous les efforts faits pour les contraindre ne firent que rendre la position plus critique, et une révolte ouverte était imminente. Alors l'abbé les cita pardevant les grandes assises des hauts fieffés de son monastère. Les chevaliers Richard de Breteuil, Raoul de Gaudechart, Drogon de Sauqueuses et Pierre de Savignies y siégeaient; mais on ne put s'entendre. Odon, inquiet de la tournure que prenaient les choses, consulta Jean Cholet de Nointel, son frère, qui était alors archidiacre de Caux, au diocèse de Rouen, et le pria de venir l'assister des lumières de son expérience. Jean Cholet se rendit à Saint-Lucien et réussit à déterminer les deux parties à s'en remettre à son arbitrage Un compromis fut signé dans ce sens, le vendredi après la Saint-Michel de l'an 1278, avec un dédit de 200 marcs d'argent pour la partie qui refuserait de se soumettre à son jugement.

L'archidiacre, après avoir scrupuleusement pris toutes les informations nécessaires, et entendu les parties et leurs témoins, décida que l'abbaye était bien dans son droit en exigeant que les habitants de Grandvilliers, ses vassaux, conduisissent les malfaiteurs arrêtés sur leur territoire jusqu'aux prisons de l'abbaye, et qu'ils les escortassent jusqu'au lieu du supplice; mais qu'en revanche celle-ci était tenue de les indemniser de leur déplacement en leur donnant « autant de vin de sa panneterie, et de potage de sa cuisine qu'il faudrait, selon qu'il avait été pratiqué par le passé, » et de faire les exécutions sur les terres de l'ancien fief. Les parties se soumirent à cette décision et la paix fut rétablie. La sentence fut prononcée, le huitième jour d'oc

tobre 1278, en présence de Robert, abbé de Saint-Symphorien, des chevaliers Drogon, seigneur de Milly, Eustache de Wavignies, Pierre et Raoul de Léglantier, Jean de Caigny, Drogon le jeune de Milly, Etienne de Milly, et de Manassès, bailli de Beauvais, qui tous scellèrent l'acte de leur sceau, avec l'archidiacre (1).

En 1281, Odon de Nointel nous apparaît traitant avec Robert, comte de Clermont, et faisant avec lui divers échanges. Par ce traité, le comte accordait que toutes les propriétés de l'abbaye de Saint-Lucien, situées dans l'étendue de son comté, ainsi que le village de Thieux et son territoire, ne relèveraient plus dé sormais du comté de Clermont, mais ressortiraient directement du roi, à l'exception, pourtant, du bois du Val de La Verrière, près Saint-Félix, qui était trop voisin de Clermont pour être distrait de la juridiction comtale. Puis il lui cédait, avec l'agrément du roi, son frère, cent vingt-sept arpents de bois et friches dans la forêt de Hez. L'abbé, de son côté, lui abandonnait deux hôtes à Epineuse, tout ce que son abbaye possédait à Sacy-leGrand, à l'exception du bois de Favière, et le bois dit de SaintLucien qu'elle avait en la forêt de Hez. Le roi Philippe-le-Hardi confirma ce traité par lettres-patentes du mois d'août 1281 (2).

Odon de Nointel siégeait, avec l'évêque de Beauvais, au parlement de la Toussaint de l'an 1283, et il signa, comme membre de l'auguste assemblée, au traité qui adjugeait au roi de France les comtés d'Auvergne et de Poitou, malgré les revendications du roi de Sicile. A quel titre l'abbé de Saint-Lucien faisait-il partie de ce parlement? Nous ne le saurions dire (3).

Le seigneur de La Chaussée d'Eu lui donnait, en cette même année, trois maisons sises à La Chaussée, et, l'année suivante, notre abbé transigeait avec le chapitre de Beauvais, au sujet du village d'Allonne, et achetait du chevalier Jean de Nouvion toutes les terres, champarts et droits seigneuriaux qu'il possédait à Poix.

(1) G. Hermant, 1. vII, ch. 15.

(2) D. Grenier, 217, p. 5.

(3) Louvet, t. 1, p. 422. D. Porcheron, ch. 35.

En 1286, il transigeait avec l'abbaye de Séry, et terminait amiablement un différend survenu entre les officiers du comte de Clermont et les habitants de Saint-Félix, tenanciers de son monastère, au sujet de l'exercice de la justice. L'accord intervenu portait que les officiers du comte ne pourraient exercer aucun droit de justice dans l'intérieur du village, mais qu'ils pourraient poursuivre et saisir les habitants qu'ils trouveraient commettant des délits dans les bois du comte.

Pendant qu'Odon de Nointel administrait ainsi l'abbaye de Saint-Lucien, et sauvegardait ses intérêts, Jean Cholet, son frère, venait d'ètre promu au cardinalat. Cette haute dignité n'altéra en rien l'affection qu'il avait toujours portée à notre monastère; tout au contraire, il lui fit don de plusieurs maisons aussitôt après sa promotion, et, en 1286, il lui donna toutes les propriétés qu'il avait à Maysel et à Foulangues. On nous permettra de dire un mot de cet illustre bienfaiteur. Son nom, sans doute, appartient à l'histoire de France par la part qu'il prit aux affaires publiques; mais nous ne saurions oublier que ses affections les plus vives ont toujours été pour Saint-Lucien, qu'il a choisi, du reste, pour être le lieu de sa sépulture.

Jean Cholet était né au château de Nointel, quelques années avant Odon. Ne se sentant aucun goût pour les armes, il alla étudier à l'Université de Paris et se fit d'église. Il fut d'abord chanoine de Notre-Dame-du-Châtel, puis de Saint-Pierre de Beauvais. Le célèbre archevêque de Rouen, Eudes Rigault, qui avait apprécié ses talents, dans un de ses voyages à Beauvais, le fit venir près de lui et le nomma archidiacre de Caux, dans son église métropolitaine. Ce fut là qu'il se lia d'amitié avec un autre archidiacre de la même église, avec Simon de Brion, qui devait faire sa fortune. Simon de Brion étant devenu cardinal puis pape, le 22 février 1281, sous le nom de Martin IV, il éleva aussitôt (23 mars 1281) son ami au cardinalat, et lui donna le titre de Sainte-Cécile qu'il avait porté lui-même. Comptant sur les services que pouvait lui rendre sa haute capacité, il lui confia les difficiles emplois qui l'ont rendu l'un des hommes les plus célèbres de son siècle.

Après les vêpres siciliennes, qui coûtèrent tant de sang à la France et dépouillèrent Charles d'Anjou de la Sicile (1282), le pape, indisposé contre Pierre d'Arragon, qui les avait conseil

lées pour en profiter, chargea le cardinal Cholet d'une mission auprès d'Edouard, roi d'Angleterre. L'année suivante (1283), il vint en France, comme légat du Saint-Siége, et prêcha la croisade contre Pierre d'Arragon. Au concile de Paris, tenu en 1284, il décida Philippe III le Hardi à prendre les armes pour venger le sang français, et l'accompagna dans son expédition. Il fut ensuite mêlé à toutes les négociations qui la suivirent, et les dirigea avec une rare habileté. La mort de Martin IV, son protecteur, ne lui fit rien perdre de son crédit. Honorius IV et Nicolas IV continuèrent de l'employer dans les missions les plus difficiles. Ce fut lui encore qui fut député pour amener un traité entre Philippe-le-Bel, roi de France, et Sanche, roi de Castille, et il y réussit avec un véritable succès (1).

Cependant Odon de Nointel, l'abbé de Saint-Lucien, son frère, venait de mourir (1288). Ce coup, le frappant dans ses affections les plus chères, l'avertit qu'il était temps de mettre ordre à ses affaires. Comme il possédait une très-grande fortune, et voulait répandre ses bienfaits autour de lui et surtout dans le pays qui l'avait vu naître et dans les établissements qu'il aimait le plus, il se hâta de faire son testament. Il le rédigea en l'abbaye de Moutier-la-Celle, près de Troyes, et le scella le premier dimanche de l'Avent de l'an 1289. Ce testament contenait plus de deux cents articles, et distribuait sa fortune en une foule de mains. Ainsi, il donnait à l'abbaye de Saint-Lucien, où il choisissait sa sépulture, 2,400 livres d'argent, sa grande bible glosée en huit volumes, et tous ses autres livres glosés de théologie, à condition qu'on célébrerait, tous les mois, un service solennel pour le repos de son âme, et qu'on augmenterait, en ce jour, l'ordinaire des repas du monastère; à l'abbaye de Breteuil, 200 livres parisis; à celle de Saint-Germer, 200 livres; à celle de SaintQuentin de Beauvais, 69; à celle de Beaupré, 100; à celle de Lannoy, 30; à celle de Saint-Martin-aux-Bois, 60; à celle de Saint-Just-en-Chaussée, 50; à celle de Penthemont, 20; à celle de Saint-Paul, 50; à celle de Royaumont, 300; à celle de Gomerfontaine, 100 sous; à celle de Monchy-Humières, 10 livres;

(1) G. Hermant: Hist. de Beauvais, liv. vu, ch. 15.

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