institués par l'Eglise, sanctifiés dans toute l'étendue du mot lors de leur institution, étoient devenus par leur nombre excessif et par la corruption des mœurs, dans la suite des temps, des jours de scandales et de débauches. Il résulta de tous ces intérêts divers et de ces façons de voir différentes une fermentation qui fit croire aux uns une irruption soudaine dans la ville, aux autres que quelque fanatique ou furieux y mît le feu. On ordonna au conseil de guerre de s'assembler, d'appeler à ses assemblées des officiers dans lesquels il auroit de la confiance et de pourvoir à la sûreté de la ville. Mrs. le brigadier Castellaz, retiré, moi, de Reynold de Péraules, retiré, et Reynold, capitaine de grenadiers aux gardes, retiré, avons été ceux auxquels on a fait cet honneur; et pour plus prompte expédition des choses, le conseil de guerre forma un comité composé de son excellence Gady, avoyer président, et en cette qualité Stadt-Hauptman, de Mr. le conseiller de Maillardoz, Stadt-Mayor, de moi et de Mr. de Péraules. Nous fûmes chargés de visiter tout, de réparer et rétablir tout ce qui en auroit besoin et de pourvoir à tout. Le conseil de guerre ordonna provisoirement, en sus de la garde ordinaire de la garnison, une garde bourgeoise composée de deux soixante et de quatre membres des Deuxcent, aidés et remplacés quelquefois par des Hinderses et de six hommes par bannière, total trente hommes, qui furent placés toutes les nuits depuis huit heures du soir jusqu'à huit du matin, sçavoir le commandant avec un autre officier et dix-sept hommes à la maison-de-ville, le second soixante avec un officier et six hommes au cabaret de la Cigogne, en l'Auge, en face du Pont-couvert, et deux officiers et un bourgeois à la porte de Bourguillon. Cette garde a commencé le 16 décembre 1780 et a fini le 11 janvier 1781. Le 5 janvier 1781, jour de la foire, toute la garnison prit les armes, à 6 heures du matin, et fut distribuée, au nombre de 54 hommes, en différents postes. Le 6, jour des Rois, la garnison a paradé comme de coutume, a défilé, a présenté les armes sans tirer, est allée se placer entre l'église de notre Dame et le Zeighaus, d'où la moitié de la troupe a été portée devant le corps de garde de la Tille. Les fusils n'étoient pas chargés, mais le capitaine avoit à sa disposition 300 cartouches à balle pour le besoin. Dès que la cérémonie a été finie, la garnison a été reprendre ses postes de la veille jusqu'au soir. On avoit mis le matin, de très-bonne heure, quatre hommes à chacune des portes de Romont, des Etangs et de Morat, lesquels y sont restés jusqu'à ce que les portes aient été refermées. Nous avons visité les quatorze herses qui existent, dont aucune ne jouoit. J'en ai fait faire une neuve à la porte des Etangs et remettre en parfait bon état toutes les autres. Plusieurs ponts ne pouvoient être levés. Beaucoup de portes manquoient et les autres étoient dans un délabrement affreux; en un mot, tout étoit si négligé et depuis si longtemps que nous avons été nombre de jours à trouver les clefs nécessaires à nos opérations. Il y avoit aussi une infinité d'issues de tous côtés pour sortir de la ville, et de moyens pour y entrer secrètement. J'ai été particulièrement chargé d'ordonner toutes les réparations que je jugerois convenables. J'en ai fait faire beaucoup et je ne me suis arrêté, que lorsque j'ai craint d'aller trop loin, et plus loin qu'on ne vouloit; je prenois souvent la précaution d'exposer au comité et au conseil de guerre mes idées, sur lesquelles je demandois des ordres plus précis. De plus je demandai à Mr. l'avoyer Werro son fils cadet pour me seconder dans toute la besogne dont j'avois été chargé, et cela pour les raisons que voici: 1° je flattois par ce moyen son père et je m'assurois de son approbation dans tout ce que je ferois, ce qui étoit important, étant déjà assuré de l'autre avoyer, son excellence Gady, chef du conseil de guerre et du comité; 2o ce jeune homme, plein d'ardeur et de bonne volonté, a étudié pendant plusieurs années l'architecture à Paris, et il avoit dans ce moment-là vingt ou trente ouvriers de LL. EE. sous ses ordres, qui travailloient à l'hôpital. J'examinois tout avec lui et avec les gens de l'art, j'ordonnois les réparations et je le chargeois de l'exécution. Je lui dois la justice d'avoir consacré tout son temps à cela et d'y avoir apporté autant de lumières et d'intelligence que de bonne volonté et d'activité; 3o on a vu que le comité, extrait du conseil de guerre, étoit présidé par l'avoyer régnant et que trois nobles seuls le formoient avec lui; que ce comité voyoit tout, ordonnoit tout et avoit un pouvoir assez étendu, ce qui faisoit renfrogner beaucoup de physionomies. Il étoit donc à propos que notre conduite fût assez éclairée pour ne point ajouter aux ombrages et pour les faire tomber même. Le conseil de guerre fit commander tous les piquets du canton, excepté ceux des vingt-quatre paroisses anciennes, où étoit alors la grande fermentation. Je fis ce que je pus pour qu'elles fussent comprises dans cet ordre, et cela par deux raisons essentielles, l'une que les excepter c'étoit leur dire de la manière la plus claire et la plus positive qu'elles étoient les ennemis contre lesquels nous prenions des précautions; l'autre que le séjour des majors dans ces paroisses pour y commander leurs piquets leur donneroit occasion de voir, de parler et de nous instruire à fond de l'état des choses et des dispositions du peuple. Tout fut inutile, quoi qu'on soit allé trois fois aux opinions sur cette matière; cependant on trouva moyen de faire porter la chose en Deux-cent, oὐ elle fut presque unanimement approuvée et ensuite exécutée, en quoi l'on fit très-bien : l'événement l'a pleinement justifiée. La suppression des fêtes n'a pas été le seul motif du mécontentement, qui a suivi et gagné tout le canton. Des livres répandus dans le même tems à l'insçu de LL. EE., dont l'un très-hérétique en effet, et l'autre divisant seulement quelques commandements sans en changer la substance, firent beaucoup crier. Ils furent condamnés et supprimés dès que l'on en eut connaissance; ce qui produisit un bon effet, parce qu'on les avoit regardés dans le pays comme un moyen préparatoire à un changement de religion. Survint ensuite un écrit, trouvé par hasard chez le nommé Curty, homme sans état fixe et déterminé, maître d'allemand, copiste, écrivain selon l'occasion, et précédemment déserteur de ma compagnie aux gardes, où il avoit été sergent-fourrier, en un mot un gueux vivant de toutes sortes de moyens; il avoit aussi déserté de Prusse. Ce fut l'avocat Mottet qui, allant chercher un papier chez Curty, y vit celuici, qu'il emporta et remit à l'avoyer président. Cet écrit tendoit directement à renverser la hiérarchie ecclésiastique, à abjurer le pape et les évêques, à ne reconnoître d'autres chefs spirituels que les doyens et les curés, enfin à refuser la publication des mandats souverains avant que les jurés les eussent vus et approuvés. On voit que c'étoit introduire un schisme pur et le presbytérianisme d'une part et se révolter contre le souverain de l'autre.. 4 Il y a eu plusieurs assemblées des jurés des paroisses anciennes, tenues å Schmitten et à Belfaux, où on a délibéré sur les moyens de redresser les griefs dont on croyoit avoir à se plaindre. Tous n'étoient pas du même sentiment, et bien d'honnêtes gens se sont signalés par leur fidélité. Mais le plus grand nombre étoit celui des remuans. - Grand Livre de F.-I. Castella, Msc. ad an. 1780. L'écrit avoit été donné à Curty pour qu'il en tirât une quantité de copies suffisante pour les vingt-quatre paroisses, où on vouloit le répandre. Une seule avait été livrée à Werroz, juré de Barberêche, qui a joué un des premiers rôles dans tout ceci avec Jungo, dit Wittebacher, fermier à Wittenbach, Blanchard, fermier à Menziswyl, et Monney, de Cournillens, sous Benou dont il va être question. Ledit Péter Benou (ou Binno), de la paroisse de Dirlaret, septuagénaire, homme qui a beaucoup lu et beaucoup retenu, qui vit en philosophe dans sa chaumière et qui donne aux pauvres tout l'excédant de ses besoins absolus, étoit l'auteur de cet écrit dangereux. Sur le premier soupçon que l'on en eut, le banneret de son quartier lui manda de se rendre chez lui, à jour et heure indiqués. Comme il n'obéit pas, on envoya un sergent, six fusilliers et deux officiers de ville l'enlever la nuit suivante; ils le conduisirent à la prison de Jaquemart, où il a avoué l'écrit, qu'il disoit avoir fait dans toute la simplicité de son cœur, sans avoir eu le dessein de le répandre, s'il étoit répréhensible. Il y avoit de la mauvaise foi à cet égard dans sa déclaration, puisque le doyen d'Ueberstorf, à qui il avoit été présenté précédemment, l'avoit rejeté comme schismatique. D'autres ecclésiastiques, à qui on l'avoit présenté, l'avoient condamné aussi. Il est vrai cependant que d'autres ecclésiastiques encore qui en avoient entendu faire la lecture avoient gardé le plus profond silence sur son contenu, sans l'approuver ni le condamner, et que cela fournit une espèce d'excuse et de prétexte à Benou et à ses partisans d'étendre leurs recherches sur les opinions des chefs qu'ils vouloient donner à leur secte, doyens et curés; mais l'obstination de leur part n'en étoit pas moins réelle et très-visible, Au bout d'un mois de prison Benou a rétracté toutes ses erreurs, par écrit et par serment; il a fait amende honorable à la porte de l'église de St. Nicolas; on l'a mené demander pardon à l'évêque et rémission de la peine qu'il avoit encourue; de là à la chancellerie y prêter un serment nouveau de fidélité au souverain; enfin il fut reconduit en prison, οὐ il étoit condamné à rester jusqu'au mois de mai, pour y être instruit de sa religion et éclairé sur ses erreurs par d'habiles et sages directeurs. L'abbé Rhebman, ci-devant Jésuite, lui fut donné comme un théologien doué de toutes les connoissances, de toutes les lumières et de toute la douceur désirable pour ce ministère. L'écrit a été brûlé par la main du bourreau le samedi suivant. Pendant ces entrefaites, il arriva à LL. EE. des lettres trèssatisfaisantes et remplies de témoignages de fidélité et d'offres de services de la part des villes de Romont et d'Estavayer; quelque temps après une très-impertinente de la ville de Gruyère, quoique renfermant beaucoup d'assurances de fidélité'; enfin une du pays de la Roche, que l'on a jugée plus bête que méchante 2. La lettre de Gruyère a été couchée par écrit et à coup sûr conçue presqu'en totalité par le curial et avocat Castellaz, qui s'est peint exactement dans son ouvrage. La bulle, le mandement de l'évêque et le mandat souverain, qui les accompagnoit, ont été publiés dans tout le canton, sans aucun obstacle, le second dimanche de l'année, l'imprimeur n'ayant pu être prêt pour le dernier de l'année précédente. Comme le jour des Rois étoit le samedi, veille du premier dimanche de l'année, on a renvoyé la publication, ainsi qu'il vient d'être dit, au second, afin que les baillifs y assistassent. Le conseil secret de Berne nous a offert sur le champ, sans aucune réquisition de notre part, tous les secours dont nous pouvions avoir besoin; nous n'en avons accepté aucun, convaincus que nous viendrions à bout de tout par nousmêmes avec sagesse et dignité. Il eût été d'ailleurs trèsdangereux de recourir à des protestants dans une affaire de 1 V. Appendice, I, p. 12. 2 V. Appendice, II, p. 13. 3 A Belfaux presque tout le monde sortit de l'église dès que le curé commença la lecture. - Grand Livre de F.-I. Castella, ad an. 1781. 1 |