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FRAGMENTS.

ANDROMAQUE.

ACTE V, SCÈNE III.

ORESTE, ANDROMAQUE, HERMIONE,
CLÉONE, CÉPHISE, Soldats d'Oreste.

ORESTE.

MADAME, c'en est fait. Partons en diligence: Venez dans mes vaisseaux goûter votre vengeance. Voyez cette captive; elle peut, mieux que moi, Vous apprendre qu'Oreste a dégagé sa foi.

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Deux fois veuve, et deux fois l'esclave de la Grèce;
Mais qui jusque dans Sparte ira vous braver tous,
Puisqu'elle voit son fils à couvert de vos coups.
Du crime de Pyrrhus complice manifeste,
J'attends son châtiment; car je vois bien qu'Oreste,
Engagé par votre ordre à cet assassinat,

Vient de ce triste exploit vous céder tout l'éclat.

Je ne m'attendois pas que le ciel en colère
Pût, sans perdre mon fils, accroître ma misère,
Et gardât à mes yeux quelque spectacle encor
Qui fit couler mes pleurs pour un autre qu'Hector.
Vous avez trouvé seule une sanglante voie

De suspendre en mon coeur le souvenir de Troie :
Plus barbare aujourd'hui qu'Achille et que son fils,
Vous me faites pleurer mes plus grands ennemis;
Et, ce que n'avoient pu prières ni menace,

Pyrrhus de mon Hector semble avoir pris la place.
Je n'ai que trop, Madame, éprouvé son courroux :
J'aurois plus de sujet de m'en plaindre que vous.
Pour dernière rigueur, ton amitié cruelle,
Pyrrhus, à mon époux me rendoit infidèle!
Je t'en allois punir; mais le ciel m'est témoin
Que je ne poussois pas ma vengeance si loin;
Et, sans verser ton sang ni causer tant d'alarmes,
Il ne t'en eût coûté peut-être que des larmes.

HERMIONE.

Quoi! Pyrrhus est donc mort?

ORESTE.

Oui, nos Grecs irrités

Ont lavé dans son sang ses infidélités.

Je vous l'avois promis; et, quoique mon courage
Se fit de ce complot une funeste image,

J'ai couru vers le temple, où nos Grecs dispersés
Se sont jusqu'à l'autel dans la foule glissés.
Pyrrhus m'a reconnu; mais, sans changer de face,
Il sembloit que ma vue excitât son audace;
Que tous les Grecs, bravés en leur ambassadeur,

Dussent de son hymen relever la splendeur..
Enfin, avec transport prenant son diadème,
Sur le front d'Andromaque il l'a posé lui-même.

«

Je vous donne, a-t-il dit, ma couronne et ma foi; <«<< Andromaque, régnez sur l'Epire et sur moi.

« Je voue à votre fils une amitié de père;

« J'en atteste les dieux, je le jure à sa mère:

».

<< Pour tous mes ennemis je déclare les siens,
<< Et je le reconnois pour le roi des Troyens >>.
A ces mots, qui du peuple attiroient le suffrage,
Nos Grecs n'ont répondu que par un cri de rage:
L'infidèle s'est vu partout envelopper,

Et je n'ai pu trouver de place pour frapper:
Chacun se disputoit la gloire de l'abattre.

Je l'ai vu dans leurs mains quelque temps se débattre,
Tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober;
Mais enfin à l'autel il est allé tomber.

Le Troyen est sauvé. Mais partons, le temps presse.
L'Epire tôt ou tard satisfera la Grèce.

Cependant j'ai voulu qu'Andromaque aujourd'hui
Honorât mon triomphe, et répondît de lui.
Du peuple épouvanté la foule fugitive
M'a laissé sans obstacle enlever ma captive,
Et regagner ces lieux où bientôt nos amis
Viendront couverts du sang que je vous ai promis.

Qu'ont-ils fait?

HERMIONE.

ORESTE.

Pardonnez à leur impatience:

Ils ont, je le vois bien, trahi votre vengeance;

Vous vouliez que ma main portât les premiers coups, Qu'il sentît en mourant qu'il expiroit pour vous. Mais c'est moi dont l'ardeur leur a servi d'exemple: Je les ai pour vous seule entraînés dans le temple; Madame; et vous pouvez justement vous flatter D'une mort que leurs bras n'ont fait qu'exécuter. Vous seule avez poussé les coups....

HERMIONE.

Tais-toi, perfide,

Et n'impute qu'à toi ton lâche parricide.
Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur;
Va, je la désavoue, et tu me fais horreur.
Barbare, qu'as-tu fait? Avec quelle furie
As-tu tranché le cours d'une si belle vie?
Avez-vous pu, cruels, l'immoler aujourd'hui,
Sans que tout votre sang se soulevât pour lui?
Mais parle de son sort qui t'a rendu l'arbitre?
Pourquoi l'assassiner? qu'a-t-il fait? à quel titre?
Qui te l'a dit?

ORESTE.

O dieux! quoi! ne m'avez-vous pas Vous-même, ici, tantôt, ordonné son trépas?

HERMIONE.

Ah! falloit-il en croire une amante insensée?
Ne devois-tu pas lire au fond de ma pensée?
Et ne voyais-tu pas dans mes emportements
Que mon cœur démentoit ma bouche à tous moments?
Quand je l'aurois voulu, falloit-il y souscrire?
dû cent fois te le faire redire?

N'as-tu pas

Toi-même, avant le coup, me venir consulter?
Y revenir encore, ou plutôt m'éviter?

Que ne me laissois-tu le soin de ma vengeance?
Qui t'amène en des lieux où l'on fuit ta présence?
Voilà de ton amour le détestable fruit:

Tu m'apportois, cruel, le malheur qui te suit.
C'est toi, dont l'ambassade, à tous les deux fatale,
L'a fait pour son malheur pencher vers ma rivale.
Nous le verrions encor nous partager ses soins:
Il m'aimeroit peut-être, il le feindroit du moins.
Adieu. Tu peux partir. Je demeure en Epire:
Je renonce à la Grèce, à Sparte, à son empire,
A toute ma famille; et c'est assez pour moi,
Traître, qu'elle ait produit un monstre comme toi..
(à Andromaque.)

Allons, Madame, allons : c'est moi qui vous délivre.
Pyrrhus ainsi l'ordonne, et vous pouvez me suivre.
De nos derniers devoirs allons nous dégager :

Montrons qui de nous deux saura mieux le venger.

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