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Ainsi, lorsque inutile au reste des humains,
Claude laissoit gémir l'empire entre vos mains,
Le reproche éternel de votre conscience
Condamnoit devant lui Rome entière au silence;
Vous lui laissez à peine écouter vos flatteurs:
Le reste vous sembloit autant d'accusateurs,
Qui, prêts à s'élever contre votre conduite,
Alloient de nos malheurs développer la suite,
Et, lui portant les cris du peuple et du sénat,
Lui demander justice au nom de tout l'état.
Toutefois pour César je crains votre présence:

Je crains, puisqu'il vous faut parler sans complaisance,
Tous ceux qui, comme vous, flattant tous ses desirs,
Sont toujours dans son cœur du parti des plaisirs.
Jadis à nos conseils l'empereur plus docile,
Affectoit pour son frère une bonté facile,

Et, de son rang pour lui modérant la splendeur,
De sa chute à ses yeux cachoit la profondeur.
Quel soupçon aujourd'hui, quel desir de vengeance
Rompt du sang des Césars l'heureuse intelligence?
Junie est enlevée, Agrippine frémit;

Jaloux et sans espoir, Britannicus gémit:
Du cœur de l'empereur son épouse bannie,
D'un divorce à toute heure attend l'ignominie;
Elle pleure et voilà ce que leur a coûté
:

L'entretien d'un flatteur qui veut être écouté.

NARCISSE.

Seigneur, c'est un peu loin pousser la violence.
Vous pouvez tout, j'écoute, et garde le silence.

Mes actions un jour pourront vous repartir,

Jusque-là....

BURRHUS.

Puissiez-vous bientôt me démentir!

Plût aux dieux qu'en effet ce reproche vous touche!
Je vous aiderai même à me fermer la bouche.
Sénèque, dont les soins devroient me soulager,
Occupé loin de Rome, ignore ce danger.
Réparons, vous et moi, cette absence funeste.
Du sang de nos Césars réunissons le reste:
Rapprochons-les, Narcisse, au plus tôt, dès ce jour,
Tandis qu'ils ne sont point séparés sans retour.

ACTE V, SCÈNE VI.

NÉRON, AGRIPPINE, JUNIE, BURRHUS,

NARCISSE.

NÉRON, à Junie.

De vos pleurs j'approuve la justice,

Mais, Madame, évitez ce spectacle odieux:..!
Moi-même, en frémissant, j'en détourne les yeux.
Il est mort; tôt ou tard il faut qu'on vous l'avoue.
Ainsi de nos desseins la fortune se joue :

Quand nous nous rapprochons, le ciel nous désunit.

JUNIE I

J'aimois Britannicus, Seigneur, je vous l'ai dit.
Si de quelque pitié ma misère est suivie,
Qu'on me laisse chercher, dans le sein d'Octavie.
Un entretien conforme à l'état où je suis.

NÉRON.

Belle Junie, allez ; moi-même je vous suis.

Je vais par tous les soins que la tendresse inspire,
Vous....

PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION

DE BRITANNICUS.

De tous les ouvrages que j'ai donnés au public, il n'y en a point qui m'ait attiré plus d'applaudissements ni plus de censeurs que celui-ci. Quelque soin que j'aie pris pour travailler cette tragédie, il semble qu'autant que je me suis efforcé de la rendre bonne, autant de certaines gens se sont efforcés de la décrier. Il n'y a point de cabale qu'ils n'aient faite, point de critique dont ils ne se soient avisés. Il y en a même qui ont pris le parti de Néron contre moi : ils ont dit que je le faisois trop cruel. Pour moi, je croyois que le nom seul de Néron faisoit entendre quelque chose de plus que cruel. Mais peut-être qu'ils raffinent sur son histoire, et veulent dire qu'il étoit honnête homme dans ses premières années. Il ne faut qu'avoir lu Tacite pour savoir que, s'il a été

quelque temps un bon empereur, il a toujours été un très-méchant homme. Il ne s'agit point, dans ma tragédie, des affaires du dehors. Néron est ici dans son particulier, et dans sa famille, et ils me dispenseront de rapporter tous les passages qui pourroient aisément leur prouver que je n'ai point de réparation à lui faire.

D'autres ont dit au contraire que je l'avois fait trop bon. J'avoue que je ne m'étois pas formé l'idée d'un bon homme en la personne de Néron. Je l'ai toujours regardé comme un monstre, mais c'est ici un monstre naissant. Il n'a pas encore mis le feu à Rome: il n'a pas encore tué sa mère, sa femme, ses gouverneurs. A cela près, il me semble qu'il lui échappe assez de cruautés pour empê→ cher que personne ne le méconnoisse.

Quelques-uns ont pris l'intérêt de Narcisse, et se sont plaints que j'en eusse fait un très-méchant homme et le confident de Néron. Il suffit d'un passage pour leur répondre. Néron, dit Tacite, porta impatiem

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