Imágenes de páginas
PDF
EPUB

CRÉON.

Ah! Madame, il est vrai que les dieux ennemis....

ANTIGONE.

N'imputez qu'à vous seul la mort du roi mon frère, Et n'en accusez point la céleste colère.

A ce combat fatal vous seul l'avez conduit:

Il a cru vos conseils, sa mort en est le fruit.
Ainsi de leurs flatteurs les rois sont les victimes;
Vous avancez leur perte, en approuvant leurs crimes :
De la chute des rois vous êtes les auteurs;

Mais les rois, en tombant, entraînent leurs flatteurs.
Vous le voyez, Créon, sa disgrace mortelle
Vous est funeste autant qu'elle nous est cruelle:
Le ciel, en le perdant, s'en est vengé sur vous,
Et vous avez peut-être à pleurer comme nous.
CRÉON.

Madame, je l'avoue, et les destins contraires
Me font pleurer deux fils, si vous pleurez deux frères.

ANTIGONE.

Mes frères et vos fils! dieux ! que veut ce discours? Quelque autre qu'Etéocle a-t-il fini ses jours?

CRÉON.

Mais ne savez-vous pas cette sanglante histoire?

ANTIGONE.

J'ai su que Polynice a gagné la victoire,
Et qu'Hémon a voulu les séparer en vain.
CREON.

Madame, ce combat est bien plus inhumain.

POLYNICE.

Quand je devrois au ciel rencontrer le tonnerre
J'y monterois plutôt que de ramper à terre.
Mon cœur, jaloux du sort de ces grands malheureux,
Veut s'élever, Madame, et tomber avec eux.
ÉTÉOCLE.

Je saurai t'épargner une chute si vaine.

POLYNICE.

Ah! ta chute, crois-moi, précédera la mienne.

JOCASTE.

Mon fils, son règne plaît.

POLYNICE.

Mais il m'est odieux.

JOCASTE.

Il a pour lui le peuple.

POLYNICE.

Et j'ai pour moi les dieux.
ÉTÉOCLE.

Les dieux de ce haut rang te vouloient interdire,
Puisqu'ils m'ont élevé le premier à l'empire.
Ils ne savoient que trop, lorsqu'ils firent ce choix,
Qu'on veut régner toujours quand on règne une fois.
Jamais dessus le trône on ne vit plus d'un maître;
Il n'en peut tenir deux, quelque grand qu'il puisse être
L'un des deux, tôt ou tard, se verroit renversé,
Et d'un autre soi-même on y seroit pressé.
Jugez donc, par l'horreur que ce méchant me donne
Si je puis avec lui partager la couronne.

POLYNICE.

Et moi je ne veux plus, tant tu m'es odieux
Partager avec toi la lumière des cieux.

JOCASTE.

Allez donc, j'y consens, allez perdre la vie;
A ce cruel combat tous deux je vous convie.
Puisque tous mes efforts ne sauroient vous changer,
Que tardez-vous ? allez vous perdre et me venger.
Surpassez, s'il se peut, les crimes de vos pères;
Montrez, en vous tuant, comme vous êtes frères.
Le plus grand des forfaits vous a donné le jour;
Il faut qu'un crime égal vous l'arrache à son tour.
Je ne condamne plus la fureur qui vous presse;
Je n'ai plus pour mon sang ni pitié ni tendresse:
Votre exemple m'apprend à ne le plus chérir;
Et moi je vais, cruels, vous apprendre à mourir.
SCÈNE IV.

ANTIGONE, ÉTÉOCLE, POLYNICE, HÉMON,
CRÉON.

ANTIGONE.

MADAME...Ociel ! que vois-je? Hélas! rien ne les touche.

HÉMON.

Rien ne peut ébranler leur constance farouche.

ANTIGONE.

Princes....

ÉTÉOCLE.

Pour ce combat choisissons quelque lieu.

Vous ignorez encor mes pertes et les vôtres;
Mais, hélas! apprenez les unes et les autres.

ANTIGONE.

Rigoureuse fortune, achève ton courroux.
Ah! sans doute voici le dernier de tes coups.

CREON.

Vous avez vu, Madame, avec quelle furie
Les deux princes sortoient pour s'arracher la vie;
Que d'une ardeur égale ils fuyoient de ces lieux,
Et que jamais leurs coeurs ne s'accordèrent mieux.
La soif de se baigner dans le sang de leur frère,
Faisoit ce que jamais le sang n'avoit su faire.
Par l'excès de leur haine ils sembloient réunis ;
Et, prêts à s'égorger, ils paroissoient amis.

Ils ont choisi d'abord, pour leur champ de bataille,
Un lieu près des deux camps, au pied de la muraille.
C'est là que reprenant leur première fureur,
Ils commencent enfin ce combat plein d'horreur.
D'un geste menaçant, d'un œil brûlant de rage,
Dans le sein l'un de l'autre ils cherchent un passage;
Et la seule fureur précipitant leurs bras,

Tous deux semblent courir au-devant du trépas.
Mon fils, qui de douleur en soupiroit dans l'ame,
Et qui se souvenoit de vos ordres, Madame,
Se jette au milieu d'eux, et méprise pour vous
Leurs ordres absolus qui nous arrêtoient tous.
Il leur retient le bras, les repousse, les prie,
Et, pour les séparer, s'expose à leur furie.

Mais il s'efforce en vain d'en arrêter le cours;
Et ces deux furieux se rapprochent toujours.
Il tient ferme pourtant, et ne perd point courage:
De mille coups mortels il détourne l'orage,

Jusqu'à ce que du roi le fer trop rigoureux,

Soit qu'il cherchât son frère, ou ce fils malheureux, Le renverse à ses pieds prêt à rendre la vie.

ANTIGONE.

Et la douleur encor ne me l'a

pas ravie?

CREON.

J'y cours, je le relève, et le prends dans mes bras;
Et me reconnoissant : « Je meurs, dit-il tout bas,
<< Trop heureux d'expirer pour ma belle princesse.
<< En vain à mon secours votre amitié s'empresse;
« C'est à ces furieux que vous devez courir :
<< Séparez-les, mon père, et me laissez mourir, »>
Il expire à ces mots. Ce barbare spectacle

A leur noire fureur n'apporte point d'obstacle;
Seulement Polynice en paroît affligé :

<< Attends, Hémon, dit-il, tu vas être vengé. »
En effet, sa douleur renouvelle sa rage,
Et bientôt le combat tourne à son avantage.”
Le roi, frappé d'un coup qui lui perce le flanc,
Lui cède la victoire, et tombe dans son sang..
Les deux camps aussitôt s'abandonnent en proie,
Le nôtre à la douleur, et les Grecs à la joie;
Et le peuple, alarmé du trépas de son roi,
Sur le haut de ses tours témoigne son effroi..
Polynice, tout fier du succès de son crime,

« AnteriorContinuar »