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d'histoire qui existent dans aucune langue et chez aucun peuple, et les deux seuls entre lesquels il soit permis de balancer, et très-difficile de choisir.

Plusieurs anecdotes de la vie de Racine, ses épigrammes, et surtout la préface de la première édition de Britannicus, où il tourne finement en ridicule, mais avec une ironie très-amère, la plupart des pièces de Corneille, décèlent en lui cet esprit caustique, et ce caractère irascible qu'Horace attribue à tous les poètes qu'il appelle si plaisamment une race colère. La religion, vers laquelle Racine tourna d'assez bonne heure toutes ses pensées, avoit modéré son penchant pour la raillerie; et, ce qui étoit peut-être plus difficile encore, parce que le sacrifice étoit plus grand et plus pénible pour l'amour-propre, elle avoit éteint en lui la passion des vers et celle de la gloire, la plus forte de toutes dans les hommes que la nature a destinés à faire de grandes choses: mais elle n'avoit pu affoiblir son talent pour la poésie. Douze années presque uniquement consacrées aux devoirs de la piété, dont le sentiment tranquille et doux étoit devenu un besoin pour lui, et remplissoit son ame toute entière, ne lui avoient rien fait perdre de ce génie heureux et facile qu'on remarque dans tous ses ouvrages il suffit, pour s'en convaincre, de lire avec attention les deux dernières pièces qu'il fit à la sollicitation de madame de Maintenon, pour les demoiselles de Saint-Cyr.

Esther fut représentée par les jeunes pensionnaires de cette maison, que l'auteur avoit formées à la déclamation. Madame de Sévigné fait mention, dans une de ses lettres, des applaudissements que reçut cette tragédie, qu'elle appelle un chef-d'oeuvre de Racine. «Ce poète s'est surpassé, dit-elle; il aime << Dieu comme il aimoit ses maîtresses; il est pour <«<les choses saintes, comme il étoit pour les pro<«<fanes : tout est beau, tout est grand, tout est « écrit avec dignité. >>

On est d'abord un peu étonné de cette admiration exagérée que madame de Sévigné montre ici pour Esther, après avoir parlé si froidement, pour ne pas dire si dédaigneusement, d'Andròmaque, de Britannicus, de Bajazet, de Phèdre, etc. pièces très-supérieures à Esther. Mais lorsqu'on se rappelle que, fidèle à ce qu'elle appeloit ses vieilles. admirations, elle écrivoit à sa fille que «Racine « n'iroit pas loin, et que le goût en passeroit comme «< celui du café, on ne voit plus dans la critique comme dans l'éloge, que le même défaut de tact et de jugement.

Quoique Esther offre de très-beaux détails soutenus de ce style enchanteur qui rend la lecture de Racine si délicieuse, il faut avouer que il faut avouer que les applications particulières et malignes que les courtisans firent de plusieurs vers de cette tragédie à certains événements du temps, contribuèrent beaucoup au grand succès qu'elle eut à la cour: mais le public,

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qui jugeoit la pièce en elle-même, et dans l'opinion duquel ces applications bonnes ou mauvaises ne pouvoient ajouter à l'ouvrage, ni une beauté, ni un défaut, ne lui fut pas aussi favorable qu'on l'avoit été à Versailles; et l'on convient généralement aujourd'hui que le public eut raison.

Deux ans après, Racine, flatté d'avoir réussi dans un genre dont il étoit l'inventeur, et qui peut-être avoit senti renaître en lui le desir si naturel et si utile de la gloire, traita dans les mêmes vues le sujet d'Athalie; mais le long silence qu'il s'étoit imposé, et qui auroit dû lui faire pardonner sa réputation, n'avoit pu encore désarmer l'envie : tous les ressorts les plus actifs, et dont l'effet est le plus sûr lorsqu'on veut nuire, furent mis en mouvement, et l'on parvint enfin à jeter dans l'esprit de madame de Maintenon des scrupules qui firent supprimer les spectacles de Saint-Cyr, et Athalie n'y fut point représentée. Racine la fit imprimer en 1691; mais elle trouva peu de lecteurs. On se persuada qu'une pièce faite pour des enfants n'étoit bonne que pour eux ; et les gens du monde, qui craignent l'ennui autant que la douleur, et qui, moins par défaut de lumières que d'application, n'ont guère en général d'autres sentiments que ceux qu'on leur inspire, suivirent le torrent, et continuèrent à dépriser Athalie sans l'avoir lue.

Racine, étonné que le public reçût avec cette indifférence un ouvrage qui auroit suffi pour

l'immortaliser, s'imagina qu'il avoit manqué son sujet, et il l'avouoit sincèrement à Boileau, qui lui soutenoit au contraire qu'Athalie étoit son chefd'œuvre. « Je m'y connois, lui disoit-il, et le public » y reviendra. » La prédiction de Boileau s'est accomplie, mais si long-temps après la mort de Racine, que ce grand homme n'a pu ni jouir du succès de sa pièce, ni même le prévoir.

Cette nouvelle injustice du public, qui venoit de commettre un second crime envers la poésie et le bon goût, détermina enfin Racine à ne plus s'occuper de vers, et à renoncer pour jamais au théâtre. Il étoit né très-sensible, et cette extrême mobilité d'âme, qui donnoit à la fortune et aux événements tant de moyens divers de le tourmenter et de le rendre malheureux, devint en effet pour lui une source de peines. «Quoique les applaudissements << que j'ai reçus, disoit-il, m'aient beaucoup flatté, « la moindre critique, quelque mauvaise qu'elle << ait été, m'a toujours causé plus de chagrin que << toutes les louanges ne m'ont fait de plaisir. » Un homme du génie le plus fécond, le plus original, et le plus universel qu'il y ait jamais eu, et qui a d'ailleurs beaucoup d'autres rapports avec Racine, auroit pu faire le même aveu.

La sensibilité de Racine, se portoit sur tous les objets : elle abrégea même ses jours. Il avoit fait, dans les vues de madame de Maintenon, et pour répondre à la confiance qu'elle lui témoignoit, un

projet de finance dont l'objet étoit de proposer un plan de réforme et de législation qui pût soulager la misère du peuple. Louis XIV surprit ce projet entre les mains de madame de Maintenon, et blâma hautement le zèle inconsidéré de Racine. << Parce « qu'il sait faire parfaitement des vers, dit le roi roi, << croit-il tout savoir? et parce qu'il est grand poète, <<< veut-il être ministre ? » Racine auroit mieux fait sans doute, pour sa gloire et pour son repos, de donner au public une bonne tragédie de plus, que de s'occuper à écrire des lieux communs plus ou moins éloquents, sur des matières qu'il n'avoit pas étudiées, et sur lesquelles avec beaucoup de connoissances, et une longue expérience, il est si facile et si ordinaire de se tromper; mais la vanité lui fit un moment illusion: son amour-propre fut flatté que madame de Maintenon l'eût choisi pour porter la vérité, ou ce qu'il prenoit pour elle, aux pieds du trône; et l'espoir si séduisant et si doux de devenir l'instrument du bonheur du peuple, après avoir été si long-temps celui de ses plaisirs, lui ferma les yeux sur les dangers de sa complaisance.

Cependant madame de Maintenon lui fit dire de ne pas paroître à la cour jusqu'à nouvel ordre: dès ce moment Racine ne douta plus de sa disgrace. Accablé de mélancolie, et portant partout le trait mortel dont il étoit atteint, il retourna quelque temps après à Versailles : mais tout étoit changé pour lui, ou du moins il le crut ainsi; et Louis XIV

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