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DEUXIÈME PARTIE

RELATIONS DE LOUIS XI ET DE LA COMMUNE DE LYON

(1461-1483)

CHAPITRE PREMIER

LYON ET L'AVÈNEMENT DE LOUIS XI. LA SUPPRESSION DE LA TAILLE

[1461]. Charles VII mourut le 22 juillet 1461, trop tôt pour pouvoir écouter les doléances d'une ambassade envoyée le 18 par les Lyonnais pour lui remontrer les grandes charges de la ville et obtenir un dégrèvement1. Trois jours après ce vote, la nouvelle de son décès était apportée à Lyon. Les conseillers prescrivirent, suivant l'usage, un service solennel dans l'église « des Cordelliers » et décidèrent d'envoyer promptement par devers le « roi Dauphin ou qu'il fut >> << bonne et notable ambaxade pour bien fere et pourter toute obeissance de par la dite ville, et lui supplier d'avoir la ville en sa grace et pour recommandée 3

Les Lyonnais avaient une grande confiance dans le Dauphin Louis avec lequel ils avaient entretenu de nombreux rapports, lors de son séjour en Dauphiné. Le Dauphin avait fréquemment écrit aux con

4 Voir la délibération du 25 juillet 1461 (BB 8, fol. 180 vo).

? Voir ibidem.

3 Le voyage des députés à Blois a été étudié en détail par M. Boulieu (J.-.R), dans un travail intitulé Louis XI à Lyon, I. Les Relations de Louis XI et de la ville de Lyon, de 1461 à 1475, paru dans le tome II (1903) de la Revue d'histoire de Lyon, publiée sous la direction de M. Sébastien Charléty (Documents), aux pages 328-329 A la note i de la page 328, il a publié le texte de la lettre écrite de Blois 31 octobre 1461) aux conseillers par les quatre députés : Jehan Palmier, Guillaume Baronnat, Jehan Rosselet et Anthoine Dupont.

suls pour obtenir en faveur de ses favoris des exemptions de tailles, et toujours on avait cherché à lui donner satisfaction, car on tenait à se ménager ses bonnes grâces 1.

Plus gênante avait été pour la ville la longue lutte de Louis avec Charles VII, mais à force d'habileté et de modération les conseillers avaient su maintenir de bons rapports avec le père sans cesser de plaire au fils 2.

Toutefois, si les Lyonnais espéraient beaucoup de Louis XI, Louis XI espérait davantage des Lyonnais. Lors de son séjour en Dauphiné, il avait eu l'occasion d'apprécier l'importance de la ville qui, à l'abri des guerres, se développait de jour en jour. Les foires avaient enrichi la ville et les habitants et attiré une foule d'étrangers génois, milanais, lucquois. Plusieurs même de ces derniers avaient élu domicile dans la ville où ils représentaient des banques italiennes et faisaient le change. Ce sont eux qui, un siècle après, domineront à Lyon. Lyon était bien, à cette heure, la première place de commerce du royaume. Seule Genève pouvait alors rivaliser avec elle. On conçoit sans peine le parti qu'un prince aussi intelligent et aussi astucieux que Louis XI sut tirer d'une telle situation. Le

royaume, ruiné par la guerre de Cent ans, était dénué de ressources.

Les routiers avaient tout ravagé; beaucoup de terres étaient redevenues en friche et la population avait considérablement diminué. Partout le commerce était à peu près ruiné. Or, plus que jamais,

Les envoyés de la ville étaient allés à Orléans, puis à Blois, où ils trouvèrent le roi qui venait de Flandre. Ils ne purent le voir tout de suite, car les ambassadeurs de Rome, de Bourgogne et du Dauphiné, qui les accompagnaient depuis Orléans, furent reçus par Louis XI avant eux; ils profitèrent de ce contre-temps pour saluer le duc de Bourbon, le seigneur de Beaujeu, Dunois et le chancelier. Enfin, grâce à l'entremise du sire de la Roche, bailli de Mâcon, ils furent présentés à Louis XI: « Et apres certaines assignacions à nous sur ce données, mon dit seigneur de Beaujeu, a la solicitacion de monseigneur de la Roche, Bailly de Mascon, lequel nous y a fort bien servy, nous fit avoir audience et parlasmes au roy mercredi matin dernier passé par la bouche de Monseigneur le doyen, lequel s'en acquicta si honnorablement que par dessus toutes les autres ambassades, nous avons esté louez et cordialement receuz. Il n'y failloit pas envoyer bestes pour pourter le langaige, car les choses se font en si grande et triumphant maniere qu'il n'y a si saige ne hardy qui n'en soit bien entrepris comme vous dirons plus à plain a nostre retour par dela. » Le roi les fit remercier par son chancelier. (V. Revue d'Histoire de Lyon, t. II, p. 328-329 (n. 1 de p. 328), le texte de la lettre des envoyés, publié par M. Boulieu.)

2 Voir AA 160, le texte des instructions qui leur avaient été confiées par la ville.

3 M. Boulieu a présenté d'intéressantes observations à la page 330 du tome 11 de la Revue d'Histoire de Lyon.

la royauté avait besoin d'argent pour maintenir les nouvelles institutions récemment créées et pour reprendre les provinces qui n'étaient pas encore annexées au domaine royal. Louis XI demanda une bonne partie de cet argent à Lyon, mais il n'agit pas à la manière de ses prédécesseurs. Ceux-ci demandaient des tailles et les exigeaient sans retard. Le nouveau roi fut plus habile; il exigea peu, mais sut se faire donner beaucoup. Tout lui fut bon: emprunts jamais remboursés, cadeaux imposés, menaces tout fut employé. Les foires étaient la principale source de richesse pour les Lyonnais; aussi étaient-elles l'objet de leurs préoccupations constantes. Ils en firent augmenter le nombre, exigèrent des mesures rigoureuses à l'encontre des négociants se rendant à celles de Genève. Le roi sut en profiter. Toute augmentation de privilèges, toute prolongation des foires fut pour lui l'occasion d'une demande d'argent. Il joua avec la suppression des foires comme il avait joué avec leur concession. Avait-il besoin d'argent, il faisait courir le bruit qu'il allait autoriser les marchands de France à se rendre à Genève. Aussitôt, grand émoi à Lyon; on réunissait une assemblée de notables qui désignait une ambassade. Mais cette ambassade n'avait garde d'oublier un beau sac d'écus; c'était le moyen infaillible pour se faire écouter. Louis XI prenait l'argent et rassurait les Lyonnais. Il sut de la sorte se faire donner de grosses sommes qu'il n'aurait jamais osé demander autrement. Tout fut pour lui une source de bénéfices.

Les Lyonnais ne tardèrent pas à en faire l'expérience.

Jean Grand et Thomassin avaient été, à la fin du règne précédent, désignés pour se rendre auprès du roi ; mais, ainsi que nous l'avons dit, ils arrivèrent trop tard pour parler à Charles VII. C'est Louis XI qui entendit leur requête touchant un dégrèvement de tailles; il se vit aussi demander, comme c'était l'usage au commencement de chaque règne, le renouvellement des lettres du dixième du vin et du barrage du pont du Rhône. Le nouveau roi resta sourd à leur premiére demande. Il reçut « benignement et joyeusement » la promesse d'obeissance faicte au nom des habitants, mais refusa impitoyablement de diminuer les charges de la ville. Il alla même plus loin: il ne consentit à confirmer les foires et les impôts municipaux que moyennant «< cinq cens escuz d'or »; autrement, comme dirent les ambassadeurs à leur retour le 17 octobre, « ils n'eussent peu avoir

ne obtenir la dite confirmacion1». Le même rapport nous révèle même l'usage qui fut fait de cette somme. Le roi l'attribua à son maître d'hôtel, messire Cadorat, bailli de Viennois, qu'il envoyait en ambassade «< au pais de Cathalognie ». Mais les envoyés de la ville n'avaient pas sur eux une somme aussi importante. Ils durent emmener avec eux messire Cadorat et demander aux conseillers de ratifier leur promesse. Le lendemain, une assemblée de notables et de maîtres des métiers accorda au représentant du roi la somme dont il avait besoin pour remplir sa mission. Comme le trésor de la ville était vide, on prescrivit au trésorier municipal, Guillaume de Chaveyrie, de prendre une partie de la somme sur les 402 livres (3 sous 6 deniers) déjà levés par Étienne Godin, ancien receveur d'une taille pour les gens d'armes 3.

[1461-1462]. Les lettres de commission des élus de 1462 nous révèlent un fait du plus haut intérêt comme par le passé, le roi réclamait une taille pour l'entretien des 27 lances traditionnelles, mais, cette année-là, la somme demandée fut très majorée au lieu de 10.000 livres, le roi en réclama plus de 13.000 (13.400). Cette

1 Voir BB 8 (fol. 189 vo-190), le rapport que firent Jean Grand et Thomassin å leur retour, le 17 octobre. - V. le texte, Pièces justificatives, no CCLX.

2 Voir ibidem. Il s'agit d'Emard de Poysieu, dit Capdorat. V. CC 418, no 1, la quittance délivrée par Capdorat, chevalier, maistre d'ostel du roi, au trésorier Gilet de Chaveyrie, le 29 octobre 1461. En ce qui concerne les foires, Louis XI, à l'exemple de son père, interdit aux marchands français de se rendre aux foires de Genève et aux marchands étrangers de traverser le royaume pour s'y rendre. Des agents furent chargés d'aller dans diverses localités publier ces défenses, mais les frais nécessités par leurs voyages devaient être à la charge de la ville. V. à ce sujet dans le tome II, des Lettres de Louis XI, publiées par M. Vaesen, p. 133-134, une lettre de Louis XI, écrite à Amboise, le 13 juillet 1463 et prescrivant aux Lyonnais de rembourser à Jean de Langlée, les frais du voyage par lui fait en Dauphiné et en Bourgogne pour la publication des foires de Lyon. Jean de Langlée logea chez Étienne Girerd, hôte du Chapeau rouge, à l'aller et au retour. Il reçut 16 écus pour son voyage et ses frais de séjour à Lyon furent payés par la ville. (V. CC 418, no 13, le mandement du 12 mai 1463, prescrivant à Gilet de Chaveyrie de délivrer 16 écus à Jean de Langlée, et 5 écus d'or à Étienne Girerd.)

3 Le 18 octobre (BB 8, fol. 190 vo-191), une assemblée générale confirma les décisions prises la veille et le 19 (fol, 191 v°), Guillaume de Chaveyrie reçut l'ordre de prendre cette somme sur l'argent reçu par Étienne Godin.

4 Ces lettres de commission, datées du 27 novembre 1461 (Tours), émanent des «< commisseres ordonnez par le roy nostre sire à mectre sus et imposer ou pays de Lyonnois impost et aide ordonné estre mis de par le dit seigneur pour le paiement des gens d'armes et aultres afferes de ce royaume pour l'année qui commencera le premier jour de janvier prouchain venant ». Elles ont été copiées sur les registres consulaires, à la suite de la délibération du 14 février 1462 (BB 9, fol, 5)

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