Imágenes de páginas
PDF
EPUB

« Enfin, il y a de cela quelques années, je me décidai, par une belle matinée du mois d'août, à mettre mon projet à exécution et à fuir la capitale, où le soleil de la canicule avait transformé l'air en une véritable fournaise.

<< Mais voyager seul est chose insipide. Je fais donc part de ma résolution à un de mes amis, qui lui-même la communique à un autre; plusieurs dames se mettent aussi de la partie, si bien, qu'au moment du départ, nous nous trouvons une société complète dans la salle d'attente du chemin de fer, où est le lieu du rendez-vous.

« A peine installés dans une bonne diligence, le signal est donné, le convoi se met en mouvement. Semblable à un vieux cheval poussif, la locomotive semble d'abord vouloir se refuser à l'effort immense que l'on exige d'elle; des gémissements paraissent s'échapper de sa poitrine; peu à peu cependant, les aspirations de son haleine se multiplient, puis cessent tout à coup, et la voilà lancée avec la rapidité d'un torrent sur la route veloutée qui s'ouvre devant elle. Arbres, maisons, campagnes, tout a beau s'évanouir devant le voyageur avec la promptitude de l'éclair, il voudrait encore stimuler cette puissance nouvelle qui l'entraîne; il voudrait, aussitôt parti, avoir atteint déjà le but. Une demi-heure s'est pourtant à peine écoulée que Malines nous montre avec fierté sa tour de S'-Rombaut; Malines, qui, elle aussi, n'a pu échapper à la pente du siècle, et dont les clochers, les dômes et les vieilles maisons à pignons s'effacent aujourd'hui derrière les palais de l'industrie. Bientôt, à l'horizon, apparaît une masse gigantesque. Enveloppée d'abord dans les brouillards, ses formes se dessinent peu à peu, et la cathédrale d'Anvers nous montre enfin son élégante flèche, dont le sommet se perd dans les nues.

« C'est ici que se termine notre voyage féérique, et que

nous devons nous résigner à échanger le doux balancement de notre berline contre les cabots d'une diligence de Campine. Nous disons donc adieu à regret à la noire machine qui nous a fait dévorer, en une heure, les huit lieues qui séparent les tours de Sainte-Gudule de celles de NotreDame, et nous cheminons modestement parmi la cité du commerce et des beaux-arts. Mais ce n'est pas la première visite que nous lui faisons; l'activité et le mouvement de son port nous ont déjà charmé plus d'une fois. Nous avons admiré plus d'une fois l'architecture simple et majestueuse de l'église Notre-Dame, que dépare un malencontreux maître autel, et Saint Jacques si coquettement orné de son remarquable jubé, de ses statues, de ses sculptures en bois. Nous connaissons les merveilles de la Descente de Croix, et tous les chefs d'oeuvre du pinceau de Rubens et de Van Dyck, que renferme le Musée. Nous nous hâtons de gagner la voiture qui doit nous conduire au but de notre course.

«Notre voyage va prendre maintenant un nouvel aspect. Jusqu'à présent nous avons voyagé au centre du pays, dans le foyer de sa plus haute civilisation; l'industrie et le commerce se sont offerts à nous dans leur plus grand développement; l'agriculture nous a montré ses plus riches produits, les beaux-arts leurs plus admirables monuments. Maintenant l'industrie va disparaître complétement, l'agriculture s'appauvrir à chaque pas que nous ferons, et les beaux-arts participer à cette décadence.

« Borgerhout, Deurne, Wyneghem, sont encore de véritables villages flamands, villages qui, partout ailleurs, pourraient passer pour des villes, avec leur nombreuse population, leurs longues rangées de maisons contigues, et leur classe moyenne si confortablement casée dans de jolies habitations.

brillantes de propreté; mais peu à peu vous voyez disparaitre la fertilité du sol, et avec elle la richesse des habitants. Ici l'observateur peut assister à cette guerre bienfaisante que l'homme a livrée au désert; il peut voir le travail conquérant chaque jour de nouvelles terres, et la grande route, son plus puissant auxiliaire, bordée d'un ruban de moissons dorées qu'elle a substituées à la bruyère qui y croissait jadis. Parfois un bois de sapins vient rompre l'uniformité d'un paysage où le regard se perd dans de vastes plaines d'un sable blanc.

<« Le sapin est la richesse de ces contrées peu favorisées de la nature. Semé très épais, ses premiers élagages sont convertis en fagots; ses jeunes plants, que l'on abat pour éclaircir le bois, sont vendus comme perches; enfin les gros arbres sont réservés pour le bois de construction.

« C'est après avoir fait environ quatre lieues dans ce pays, nouveau pour nous habitants de la capitale, que nous découvrons sur notre gauche, peu avant le village de Westmalle, un bâtiment aux murs de briques, aux toits de tuiles, semblable à une ferme, et qui en est effectivement une, mais qui y joint aussi une destination un peu plus grave, car c'est un couvent de Pères de la Trappe.

« Cinq à six cents pas seulement le séparent de la route, et ce court espace suffit pour apprécier le but de cette corporation et les bienfaits qu'elle répand autour d'elle. Au milieu du désert que vous avez parcouru, une verte prairie vient tout à coup reposer vos yeux. Ce constraste vous saisit d'abord, et vous comprenez ce que les habitants vous apprennent des immenses travaux qu'a nécessités cet ouvrage, des nombreux engrais et amendements qu'a dévorés ce sol avant de produire ce qu'on exigeait de lui. Un particulier s'y fût ruiné; il fallait la persévance continue et désintéressée d'une corporation pour

obtenir un pareil résultat. Près de là, des ouvriers sont occupés à préparer des tas d'engrais mélangés avec de la chaux, cette substance si précieuse mais si rare dans ces contrées, tandis que çà et là dans la campagne, un moine de la Trappe, piochant la terre revêtu de sa longue robe blanche, produit un effet des plus pittoresques.

<< Cependant nous voici dans une courte avenue de hêtres, et bientôt paraît devant nous la porte du couvent surmontée d'une petite croix de bois. Nous sonnons; aussitôt vient s'encadrer dans un judas la figure respectable du portier, dont la longue barbe grisonnante tombe jusque sur la poitrine. Il se hâte d'ouvrir, et se jette pieusement à genoux. Cette manière de recevoir les étrangers ne paraît pas prescrite par les statuts des Trappistes, mais elle était pratiquée par le portier, digne homme, réputé saint dans les environs. Il semblait, après toutes ces formalités, que nous dussions enfin être introduits, mais une petite circonstance que je mentionne pour la gouverne des futurs visiteurs de la Trappe, nous retint quelques instants hors de l'enceinte sacrée. Le sexe est curieux, dit-on; je n'entreprendrai point ici une discussion sur un sujet aussi délicat et aussi controversé; je dirai seulement que nos aimables compagnes de voyage, ignorant l'exclusion qu'ont prononcée contre les filles des hommes les rigoureuses lois de l'ordre des Trappistes, voulaient à tout prix forcer la fatale consigne. Je m'abstiendrai encore de rechercher les motifs d'une disposition qui interdit l'entrée de l'asile du silence à un sexe qui a l'amabilité en partage, mais on nous affirme que trois jours d'excommunication frapperaient le couvent qui aurait laissé transgresser cette loi. Nos dames, à ces mots, se résignèrent; on les introduisit dans une des cellules extérieures, sans doute

réservées en partie à cet usage, et nous pûmes commencer notre visite, guidés par un frère hospitalier, auquel ses fonctions permettent l'usage de la parole.

<< Rien dans l'aspect de l'abbaye ne dénote sa sévère destination. A notre passage, plusieurs enfants jouaient dans la cour; ce sont des enfants auxquels les Trappistes donnent l'instruction et apprennent un métier; ils sont logés dans l'établissement même. Dans la première salle qui s'offrit à nos regards, des étrangers assis autour d'une table prenaient un frugal repas; tout passant peut venir ainsi réclamer une hospitalité qu'on s'empresse de lui accorder. Un escalier nous conduisit aux appartements supérieurs où nous visitâmes d'abord l'imprimerie récemment établie, et dont les produits sont remarquables par leur luxe typographique. Les livres de piété sont, on le pense bien, les seuls qu'on y imprime. Le réfectoire présentait encore quelques traces du diner qui venait de se terminer; deux bancs en bois régnaient autour de deux tables longues, et à la place de chaque convive se trouvait une petite planche sur laquelle était gravé son nom, un petit vase de terre, et un morceau de linge faisant vraisemblablement fonction de serviette. La place de l'abbé était au milieu d'une table placée en fer à cheval à la suite des autres, et d'où il pouvait tout observer. Les Trappistes dînent à onze heures; ils ne faisaient autrefois que ce seul repas, aussi la plupart des décès avaient-ils lieu par suite d'indigestions. Le Pape, juste appréciateur des privations qu'il n'est pas donné à la nature humaine d'excéder, a prescrit, en élevant le couvent de Westmalle au rang d'abbaye,'que ses religieux prendraient désormais un second repas le soir. Cette sage disposition paraît avoir exercé une influence très-favorable sur la santé des Trappistes dont la vie active stimule à tel point

« AnteriorContinuar »