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<< L'acte de consécration » de la cathédrale de Lausanne.

(L'Original mesure 52 X 34 cm.)

L' «< Acte de consécration » de la cathédrale de Lausanne

par Maxime REYMOND.

Par deux actes, le Cartulaire de Lausanne nous montre que la fête de la consécration de la cathédrale de Notre-Dame se célébrait au XIIIme siècle, à la fin de mai ou au commencement de juin 1. Cependant, les textes liturgiques que nous possédons des XVme et XVIme siècles indiquent le 20 octobre, soit le XIII des calendes de novembre, comme date de la dédicace; et ce jour a été conservé dès lors dans les rituels du diocèse de Lausanne.

Pour que la date de la fête de la Dédicace ait été modifiée, il faut qu'il y ait eu une nouvelle cérémonie de consécration de la cathédrale. Le souvenir de cet événement ne nous a pas été conservé par les chroniques. De chronique postérieure au Cartulaire de Lausanne, nous ne possédons d'ailleurs que celle dite de Moudon qui fut écrite vers 1466, par un clerc de la cathédrale du nom de Louis. Elle ne fait aucune allusion à une pareille solennité.

Mais au milieu du XVIIme siècle, la lumière s'est faite. En 1665, l'évêque de Lausanne, Mgr de Strambino, publiant ses Decreta et Constitutiones synodales, y inséra l' « Instrument » même de la consécration de la cathédrale, en la fixant au 5 octobre 1271, anno Domini 1271, die quinta octobris. Le prélat ne dit pas d'où il a tiré ce document. Il est manifeste d'ailleurs qu'il n'a connu qu'une copie, nous verrons plus loin pourquoi. En 1791, il existait, au dire de M. l'abbé Fontaine, auteur d'une Dissertation historique et critique sur ce document, aux archives de l'Evêché, à Fribourg, une « très ancienne copie, visée par un notaire juré, et faite d'après un vieux parchemin tout usé ». Cette

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Page 408, entre Noël et Nativité (8 septembre). Pages 401-403, entre l'octave de la Pentecôte, qui peut varier entre le 18 mai et le 20 juin, et la fête des saints Ferréol et Ferjeux qui est au 16 juin.

copie n'existe plus; du moins nous l'avons vainement cherchée. Elle ne paraît pas avoir été le manuscrit dont se servit Mgr de Strambino, car, au dire de M. Fontaine, elle était datée du 5 novembre 1270.

M. Fontaine lui-même a publié un autre texte, qu'ont reproduit les Mémoires et Documents de la Société d'histoire de la Suisse romande et les Urkunden für die Geschichte der Stadt Bern de Zeerleder. Mais dans une étude publiée en 1886 dans la Revue de la Suisse catholique, le P. Nicolas Raedlé a établi que ce texte n'est qu'une copie altérée d'une autre leçon qu'il publie lui-même dans son intégrité. Il s'agit d'une copie faite par Gottfried-Emmanuel de Haller, de Berne, vers l'an 1700. Cette pièce est datée du 19 novembre 1275. La même date se trouve dans une chronique de la famille de Loys, à Lausanne, rédigée vers 1670.

Ainsi, des sources auxquelles on a puisé jusqu'ici, aucune ne concorde en ce qui concerne la date, et aucune ne porte celle du 20 octobre ou XIII des calendes de novembre, qu'indiquent les rituels de l'époque catholique. Les divergences portent encore sur d'autres détails : l'orthographe des noms propres, l'interversion dans la copie de Haller des deux passages finals, en outre de la disposition artificielle adoptée par ce dernier pour l'énumération des témoins.

Nous n'insisterons pas sur ces différences, car nous sommes en situation de faire mieux.

Nous présentons aujourd'hui en effet l'original du document connu sous le nom d' « acte de consécration » de la cathédrale de Lausanne. Ce document provient des archives de la famille de Loys, à Lausanne, et nous devons à la complaisance de M. le colonel Treytorrens de Loys de pouvoir en publier le fac-simile, que M. Reiss, professeur à l'université de Lausanne, a bien voulu photographier.

L'examen de ce fac-simile expliquera tout de suite les divergences des copies relativement à la date de l'acte. On y voit en effet que le document est troué précisément à la date. Il laisse lire en chiffres MCCLXX, puis quinto XIII .... ēbris. Ignorant que dans l'usage de l'époque le mot quinto doit se rattacher au millésime, l'un des copistes a lu 1270 5 novembre, un autre a préféré lire 5 octobre. La lecture XIX novembris se justifie en quelque mesure, car ce n'est qu'avec attention qu'on se rend compte que le chiffre réel est XIII. Enfin, le mot kalendas ou son abrégé kl manque absolument, et le peu d'espace qu'il devait occuper a pu faire supposer qu'il n'existait pas. Il est d'ailleurs possible qu'en réalité l'original même l'ait omis.

On voit donc que les lectures différentes de la date aboutissent précisément à prouver que nous avons bien là l'acte qui a servi de base à toutes les publications faites jusqu'ici.

Est-ce à dire que nous soyons réellement en présence de l'acte officiel de la consécration de la cathédrale de Lausanne ? Certainement pas. Le P. Nicolas Raedlé a déjà remarqué que ce document ne parle du Pape qu'à la troisième personne, ce qui n'est pas admissible, l'acte officiel de dédicace devant émaner de lui-même. Il relevait en outre l'expression, bone memorie dont on doit conclure que tout au moins le passage relatif aux reliques est postérieur à la mort de Grégoire X, survenue le 10 janvier 1276, moins de trois mois après la cérémonie de Lausanne. Le P. Nicolas concluait en disant : « Ce n'est pas un acte de consécration proprement dit, mais une simple narration faite on ne sait par qui, on ne sait quand. »

Le fac-simile montre que le religieux fribourgeois avait raison de qualifier ce document de simple narration. Il n'offre en effet aucun des caractères d'un acte officiel. Ce n'est pas le Pape qui parle, la pièce n'est revêtue d'aucune signature, d'aucun sceau. Elle n'a pas été faite pour en avoir, et son rédacteur n'a pas essayé de donner le change. Il est manifeste qu'il a voulu se borner à un simple récit.

Puis, l'écriture de ce document n'appartient pas au XIIIme siècle. C'est une belle pièce paléographique, mais elle a probablement été écrite dans la seconde moitié du XIVme siècle ou dans la première moitié du XVme siècle seulement. Par la forme des a, par la liaison de certaines lettres, elle ressemble assez bien au style d'un missel romain de cette époque, qui a été possédé par le pape Félix V de Savoie et qui se trouve aujourd'hui aux archives de Turin 1. La collection paléographique de l'exposition de Turin contient aussi un missel du même temps, ayant appartenu à un évêque de Lucques, qui a quelque analogie

avec notre document.

Celui-ci n'est donc ni un acte officiel, ni un acte contemporain de la dédicace de la cathédrale de Lausanne.

1 Album de la collection paléographique de l'exposition de Turin.

Nous devons en conséquence examiner prudemment cet acte avant de nous en servir. C'est un vélin de bonne qualité, souvent manié, et qui mesure 51 centimètres de hauteur sur 33 de largeur. Cette pièce n'a appartenu ni à un livre, missel ou rituel, ni à un rouleau. En effet, on ne voit pas qu'elle ait été déchirée d'un recueil ou qu'elle ait été cousue à un autre document. Le vélin a été soigneusement préparé pour recevoir ce texte-là seulement, et la transcription voulue est achevée. Le verso est indemne de tout réglage et de toute inscription, sauf une de la fin du XVIIme siècle et qui n'a pas à entrer en ligne de compte. On peut donc affirmer que ce parchemin se présente à nous tel que l'auteur a voulu qu'il fût.

Ce vélin n'était pas destiné à être plié. Il y a bien deux plis verticaux, mais aucun des plis horizontaux qui eussent été nécessaires, et ces plis verticaux sont disposés de telle sorte que, le document plié, la face écrite se trouvait à l'extérieur et non pas à l'intérieur. D'autre part, il ne porte aucune trace de clou, de colle ou d'applique. Il devait être conservé roulé, l'enroulement commençant par le bas, ce qui explique que ce soit la partie supérieure, la seule visible, qui ait été rongée

et abîmée.

Mais aussi, ce n'est pas un parchemin quelconque. Le vélin a été ligné avec attention, avec double marge, à la pointe dure. L'initiale de tête du dernier paragraphe a été ornée d'une figure humaine. Enfin et surtout, l'écriture est celle d'un missel, belle gothique large et soignée. Le scribe ne faisait sûrement pas une expédition ordinaire. Quel était son but ?

Il ne s'agit certainement pas d'un document à produire en justice. Pour le XVme siècle, l'emploi des lettres de forme aussi bien que l'absence de tout sceau, de toute marque d'authenticité, le démontre.

Cependant, il est visible que ce parchemin devait avoir la valeur d'un témoignage. L'auteur n'a pas voulu dresser un procès-verbal de la dédicace de la cathédrale, cérémonie solennelle, marquée par des rites spéciaux, et qui dut être fort imposante. Il ne fait que l'indiquer aussi brièvement que possible. Ce qui l'intéresse, c'est d'une part les indulgences accordées à quiconque visitera la cathédrale, et de l'autre

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