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DE LA CLASSE

DE LITTÉRATURE ET BEAUX ARTS.

MÉMOIRE

SUR la réunion des littérateurs et des artistes dans l'Institut français, et sur l'esprit qui doit les animer,

Par le citoyen MONGEZ.

Lu le 13 nivose an 4.

BACON, ce beau génie qui, semblable au Jupiter d'Hésiode, a fait éclore de son vaste cerveau la connoissance de tous les degrés de perfection dont l'esprit humain est susceptible, avoit proposé de rapprocher les travaux des littérateurs de ceux des artistes. Cette réunion étoit sollicitée ardemment par l'esprit philosophique qui distingue le siècle près de nous échapper. L'utilité en avoit été généralement sentie; car il s'étoit formé à Paris et dans les provinces plusieurs associations dans lesquelles on voyoit les savans rapprochés des artistes et des littérateurs. Cependant, malgré

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les avantages évidens et nombreux que devoit opérer cette réunion, malgré la conviction intime de tous ceux à qui les talens, ou la réputation acquise, donnent une grande influence sur l'opinion, on ne pouvoit espérer cette heureuse réforme de la part de l'ancien gou

vernement.

Toujours étranger à l'opinion publique par son attachement servile aux anciennes formes; toujours esclave de ses agens, qui réagissoient sans relâche contre lui pour le retenir dans une ignorance et une inertie favorables à leurs desseins ambitieux; toujours guidé par ceux des membres des académies qui cultivoient moins assidument les muses que les dispensateurs des graces, et qui redoutoient dans les changemens la perte de leur faveur ou de leur prépondérance, le gouvernement ne pouvoit pas même entrevoir la possibilité d'une amélioration dans les compagnies littéraires.

Tout est heureusement changé. Une terre libre ne peut être gouvernée que par des hommes instruits. Ce choix sera toujours le résultat nécessaire du plus grand nombre des élections, lorsque des factions atroces et puissantes ne présenteront plus aux électeurs des candidats ineptes et immoraux, ou des chaînes et des poignards. Les rênes du gouvernement sont déposées entre les mains de citoyens à qui leurs lumières et leurs connoissances marquent des places dans l'Institut, non pour y siéger honorifiquement, mais pour en partager les travaux et la gloire. Leurs premiers regards se sont portés sur les débris des anciennes associations littéraires et artielles :

ils ont voulu rallumer ce foyer de lumières qui avoit préparé depuis long-temps la chûte des fanatiques et du despotisme; mais ils ont vu, dès le vestibule de l'édifice littéraire, qu'il seroit incomplet s'il ne rassembloit les trois classes d'hommes qui travaillent à étendre le domaine de la raison et du génie, les savans, les littérateurs et les artistes.

Tel un beau jour de floréal, un jour ardemment desiré par Cérès et Pomone, n'est pas uniquement l'effet de la vive lumière du soleil; il veut encore être tempéré par la douce haleine du zéphyr.

Les classes de l'Institut que les sciences diverses revendiquent d'une manière mieux prononcée, s'occuperont sans doute à rechercher les avantages de leur rapprochement: pour nous, littérateurs et artistes réunis dans la même classe, étudions les heureux effets de cette institution philosophique. Commençons nos travaux par cette recherche : qu'elle ne soit point oisive; mais qu'elle serve à déterminer avec précision l'esprit qui devra nous animer, et présider aux secours que la société et le gouvernement se promettent de nos assemblées.

Placé dans une section qui semble, par sa position dans le tableau et par la nature de ses travaux, former le lien entre toutes les autres; instruit d'ailleurs par l'expérience des associations littéraires et par la société des artistes avec lesquels mes études et un goût naturel m'ont fait contracter d'anciennes et de douces habitudes, je me hasarde à vous soumettre ces fruits

de mes méditations sur la formation de notre classe. Vos réflexions vous auroient donné à tous les mêmes résultats : heureux si je les ai tracés comme vous les auriez exprimés vous-mêmes !

L'HOMME, né imitateur, parce que l'étude de tous les arts et de toutes les sciences doit commencer par l'imitation, a cherché, dès les premiers instans, à peindre les phénomènes de la nature qui affectoient ses sens, et les pensées qui l'agitoient à cette vue. Il a fait plus, il a donné des traits et un corps à des êtres allégoriques ou abstraits qui n'existèrent jamais que dans son imagination. C'est à peindre ces êtres fantastiques et les êtres réels qu'il employa d'abord le geste, seule langue universelle; il y joignit bientôt des assemblages de sons articulés, appelés mots. Le chant et la poésie, toujours associés chez les peuples sauvages, aidèrent la mémoire et fixèrent les tableaux des anciens événemens leur emploi a donc eu le même but que celui de la décla

mation.

Jusque-là l'homme n'avoit exprimé ses pensées et ses souvenirs qu'à l'aide de ses organes: bientôt il s'élança hors de cette étroite sphère; il demanda de nouveaux moyens de communication aux corps sonores, aux substances colorées, au marbre même, qu'il parvint à dépouiller des parties étrangères à son objet principal. Sa noble hardiesse fut couronnée du succès, et il fut à la fois le mélodieux Orphée, l'ingénieux Dibutade et l'audacieux Prométhée. Ainsi les mêmes besoins, le même

instinct, firent éclore la pantomime, les langues, la grammaire pratique, la déclamation, la poésie, le chant, la peinture et la sculpture.

Art brillant et utile qui élevez des palais somptueux pour les représentans des peuples libres, qui préparez des asyles salubres pour l'indigence et le malheur, et qui construisez enfin des séjours commodes pour l'heureuse médiocrité, on ne distingue pas aussi facilement votre berceau parmi ceux des autres arts; l'analogie cependant vous assigne, dès les premiers âges, une place au milieu de vos émules.

Au moment où un artiste voulut retracer un événement du siècle de ses aïeux, il consulta la mémoire des vieillards et de ceux qui, par goût, reportoient souvent leurs pensées sur les temps écoulés, sur les usages de leurs ancêtres, et sur les rustiques monumens qui en consacroient le souvenir : telle fut l'origine de l'étude des antiquités.

Ces rapprochemens des diverses sections de notre classe leur ont fait découvrir une source commune et presque simultanée. J'ai dû rappeler ici leur filiation, parce que d'elle seule dériveront les avantages que leur réunion produira dans ce lieu.

Les artistes qui peignent à l'aide des couleurs ou du ciseau, s'échaufferont aux accens des poètes. Quoiqu'ils ne retracent qu'un moment précis, et que les descriptions poétiques embrassent le passé, le présent et l'avenir, cependant le même feu doit animer les uns et les autres. Le génie poétique brillera sur le marbre et

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